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Les jeunes en France

Un ouvrage sous la direction de Bernard Roudet

(Les presses de l’Université de Laval, INJEP, 2009)

Par Delphine Moraldo [1]



http://www.decitre.fr/gi/56/9782763787756FS.gifPublié dans la collection « Regards sur la jeunesse du monde », qui convoque des chercheurs en sciences sociales pour répondre à différentes questions et thématiques portant sur les jeunes, ce dernier ouvrage collectif dirigé par Bernard Roudet, et préparé avec l’appui de l’INJEP [2], tente de dresser un portrait social de la jeunesse française (formant actuellement 1/5 de la population). Au travers de thèmes comme le monde étudiant (chapitre 2), l’entrée dans le vie active (chapitre 3), les pratiques culturelles (chapitre 4), l’engagement politique et citoyen (chapitre 5), les jeunes des banlieues (chapitre 6), ou le rapport au corps (chapitre 7), des sociologues souvent reconnus pour leurs précédents travaux sur ces sujets, dressent en une vingtaine de pages un tableau complet et concis de l’état des savoirs sur ces différents sujets. Mais la perspective adoptée est également diachronique, comme dans les chapitres consacrés à l’apparition de la « jeunesse » comme catégorie à part entière dans la vie sociale et politique ainsi que dans les représentations communes et savantes (chapitre 1), ou encore à l’émergence de l’adolescence et ses transformations récentes notamment sous l’influence des nouvelles technologies de la communication (chapitre 8). Enfin, l’ouvrage se conclue sur une note comparative : dans le chapitre consacré aux valeurs des jeunes (chapitre 9), Olivier Galland examine comment se positionnent les jeunes vis-à-vis des autres classes d’âge dans les différents pays européens, et met en avant les spécificités des jeunes Français.

Qui sont alors les jeunes Français ? Des différentes contributions, on peut retenir [3] tout d’abord, grâce à l’article de Chantal de Linares et Céline Metton-Gayon, que l’apparition de la notion particulière d’ « adolescence » , différente de celle de « jeunesse », comme période de la vie et comme concept dans les sciences psychologiques date du XIXème siècle, mais fait une apparition beaucoup plus tardive en sociologie. Bernard Roudet, qui s’intéresse quant à lui à la construction de la catégorie des « jeunes », montre que ces derniers ne commencent à être considérés comme une génération, un groupe social, mais aussi une catégorie sociologique à part entière (initiant à la même occasion une suite de débats et controverses portant sur la réalité de cette catégorie) que dès les années 1960 (un ouvrage clé étant celui d’Edgar Morin publié en 1967, Commune en France, la métamorphose de Plozevet), plus de 20 ans après sa prise en compte par la sociologie américaine.

L’apparition de cette catégorie nouvelle tient aussi à l’augmentation de la population étudiante, de plus en plus présente dans le paysage social français. Valérie Erlich montre ainsi que la massification scolaire a eu pour effet de banaliser et de « juvéniliser » l’identité étudiante, mais a également soulevé des problèmes inédits : comment s’adapter au nouveau public étudiant ? Comment dans ce nouveau contexte sélectionner les étudiants ? Des adaptations réciproques entre institutions et acteurs (car on ne peut attribuer au seul étudiant la responsabilité de son échec) sont devenues nécessaires pour résoudre les contradictions au sein des mondes étudiants (le pluriel est désormais de mise). De même dans le monde du travail, étudié par Léa Lima : conséquence de l’allongement de la durée des études (le taux d’emploi des jeunes de moins de 25 ans est inférieur à 30%, contre près de 50% en moyenne dans les pays de l’OCDE) et d’un taux de chômage des jeunes important, les modalités de transition entre l’école et l’emploi ont évolué, et les différences des parcours d’insertion sont bien réelles entre jeunes diplômés et jeunes sans qualifications, entre garçons et filles, mais aussi entre jeunes d’origine française et jeunes issus de l’immigration (toutes choses égales par ailleurs).

En ce qui concerne les pratiques culturelles, présentées par Olivier Donnat, les évolutions enregistrées en France apparaissent largement portées par les jeunes. Si les pratiques culturelles des jeunes varient en fonction du genre, du milieu social ou de l’âge, l’effet générationnel est de plus en plus prégnant en ce qui concerne les pratiques culturelles, et cela particulièrement depuis les années 1970 qui marquent une « juvénilisation de la culture ». Les pratiques culturelles des jeunes, influencées par les médias, tout comme la socialisation entre pairs et la sociabilité amicale, prennent ainsi une place croissante dans l’émergence d’une culture adolescente et des représentations autour de cet âge de la vie, analysées par Chantal de Linares et Céline Metton-Gayon. Le rapport au corps est également un élément essentiel dans la construction d’une identité adolescente ou jeune, même s’il est très peu étudié par la sociologie de la jeunesse. Vicenzo Cicchelli et Bernard Andrieu reviennent sur cet objet sociologique à part qu’est le corps et sur les paradoxes qu’il soulève. En particulier, le corps juvénile (à travers les diverses expériences, voire épreuves, auxquelles il est soumis) permet de comprendre le changement de l’identité et la construction d’un soi autonome qui caractérise la période adolescente.

Enfin, trois articles peuvent être rattachés au thème des attitudes politiques et citoyennes des jeunes : Valérie Becquet dresse un panorama des comportements des jeunes en matière d’engagement politique et met en évidence des transformations à l’œuvre sur le long terme (et notamment un détachement des formes conventionnelles de participation politique), ainsi que des « espaces d’engagement » de plus en plus investis, comme l’espace associatif ou l’espace institutionnel (comme les conseils de jeunes, qui apparaissent dans les années 1990). Eric Marlière s’intéresse aux jeunes des banlieues, nouveau groupe social ayant émergé sur la scène politique et médiatique française, il y a une vingtaine d’années, et à la question des émeutes urbaines. Il montre que des variables comme l’âge, le pays d’origine, la religion, les pratiques spatiales, les pratiques scolaires sont essentielles pour comprendre qu’il existe une socialisation spécifique à l’origine de ce phénomène. Enfin, Olivier Galland, dans le dernier chapitre de l’ouvrage, revient sur les valeurs des jeunes : plus individualistes que la moyenne des jeunes européens, les Français sont notamment plus défiant vis-à-vis des institutions et du fonctionnement de l’économie.

L’ouvrage se place dans une optique délibérément explicative et pédagogique : replaçant chaque thème dans un contexte précis, rappelant les différents travaux sur le sujet, les évolutions historiques ayant conduit aux différents phénomènes étudiés, s’appuyant sur des enquêtes quantitatives et qualitatives avec bien souvent des statistiques à l’appui permettant de mesurer les changements passés et présents, et présentant des encadrés fort utiles tant sur les dernières données démographiques ayant trait aux jeunes, que sur l’organisation de l’enseignement supérieur français ou la chronologie des mouvements lycéens et étudiants en France, Regard sur les jeunes en France fait le tour de la question, aborde les problématiques majeures, et donne les principaux outils et résultats sociologiques pour questionner et comprendre la génération des « jeunes »... Sans oublier une réflexion plus épistémologique sur la catégorie « jeunes » : sa construction, son apport pour penser les autres générations et les différents phénomènes sociaux qui ne sont pas uniquement relatifs à la jeunesse. Ainsi, comme le précise Bernard Roudet dans son éclairant chapitre introductif sur la construction sociale de la catégorie « jeunes », la jeunesse représente bel et bien un point d’observation privilégié des transformations de la société française dans son ensemble, et un reflet des principaux changements sociaux à l’œuvre.

http://www.liens-socio.org/article.php3?id_article=6333

[1] Élève en sociologie à l’Ens de Lyon

[2] Institut National de la Jeunesse et de l’Education Populaire, établissement public du ministère de la Santé, de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative

[3] Il ne s’agit que de conclusions partielles tirées des différentes contributions. Cette liste ne prétend pas à l’exhaustivité mais entend seulement donner un aperçu de certains points et conclusions abordés tout au long de l’ouvrage.


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