Document 12/05/2011- « Ton père était un soldat allemand ! » C'est ce qu'a appris le jeune Gilbert à l'âge de onze ans, en 1955. Sa mère, Madeleine, qui lui fit cet aveu, était tombée follement amoureuse, à seize ans, de Günther, un beau Feldgendarme de la Wehrmacht. C'était à Thouars, en 1941.
Traumatisé par la révélation de ce secret, le garçon a, dès lors, été hanté chaque jour de sa vie par son identité singulière. Après avoir passé son enfance à Niort, chez ses grands-parents, il n'a eu de cesse de connaître sa famille allemande. Des années de recherches lui ont permis de la retrouver et il a ainsi pu reconstituer l'histoire de son père. Gilbert s'est trouvé plongé au cœur du Troisième Reich puisque Günther, emporté par l'exaltation hitlérienne, a adhéré au parti nazi à dix-huit ans, en 1933, puis est entré dans l'Allgemeine SS en 1939 avant de faire toute la Seconde Guerre mondiale en France où il rencontra une charmante petite Française...
L'histoire de Gilbert est un témoignage entièrement authentique et profondément bouleversant, celui d'un homme atteint
d'une blessure inguérissable et qui tente désespérément de réconcilier les deux parties de son être.
François Pairault est agrégé de l'Université, docteur ès lettres et maître de conférences honoraire d'histoire contemporaine à l'université de Limoges. Il a consacré sa thèse au baron Eschassériaux de Saintes, publié une biographie de Gaspard Monge, le fondateur de Polytechnique ainsi que de nombreux ouvrages d'histoire régionale, à titre personnel ou en collaboration.
Extrait de l'introduction de François Pairault - Peut-on vraiment concevoir qu'aujourd'hui encore, pour certains Français, la guerre de 1939-1945 ne soit pas finie mais toujours là, présente, obsédante et énigmatique ? Ils s'appellent eux-mêmes les «Enfants de la Guerre» et ils vivent parmi nous, les cheveux un peu plus blonds et les yeux un peu plus clairs que la plupart d'entre nous. Ils sont nés d'une mère française et d'un père soldat allemand. Ignorés de leurs concitoyens, ils cachent au plus profond de leur coeur le secret de leur naissance. Tous ont un point commun, celui d'être isolés, incompris, clandestins dans leur propre pays et ils ne peuvent révéler qu'à de rares intimes le lourd secret qui les tourmente et la souffrance indicible qui est la leur.
Dans l'immédiat après-guerre, alors que la France traumatisée se relève de ses ruines, compte ses morts et prend conscience de l'horreur de l'Holocauste, apprendre que l'on est un « fils de Boche » provoque un choc terrible. Cette révélation vous marque à jamais du sceau de la honte et de l'infamie. Dans le contexte de cette époque, une Française qui a entretenu des rapports amoureux avec un soldat d'outre-Rhin ne peut être qu'une débauchée, une vicieuse, une pronazie ou, au mieux, une parfaite inconsciente. Ce « faites l'amour, pas la guerre » avant l'heure apparaissait inacceptable. À la Libération, il n'y eut pas de mots assez forts pour condamner une telle attitude. On a ainsi parlé de « collaboration sentimentale », et avoir partagé la couche d'un Allemand apparut presque comme la pire des collaborations, car elle traduisait une soumission totale au vainqueur, une transgression du devoir national, une trahison vis-à-vis de sa communauté d'origine, et cet acte inqualifiable faisait surgir des fantasmes inavouables.
Pourtant, des milliers de Françaises sont tombées amoureuses de militaires du Troisième Reich. Envers et contre tout, des hommes et des femmes se sont sincèrement aimés sans penser au conflit et sans savoir que le devoir leur commandait de rester « ennemis ». Alors que les relations sentimentales occupent une place essentielle dans la vie de chaque individu en période de paix, pensait-on vraiment qu'il pouvait en être autrement en période de guerre ou d'occupation ? Il est vrai que tous les conflits ne génèrent pas de telles relations, mais force est de reconnaître que la présence allemande en France, du moins à ses débuts, a été moins sévère et plus humaine qu'ailleurs et en rien comparable à l'attitude sanguinaire des soldats du Kaiser dans le Nord et dans l'Est durant la guerre de 1914-1918. Tout soldat de la Wehrmacht reconnu coupable de viol risquait la peine de mort ou bien, par la suite de la guerre, l'envoi sur le front russe, ce qui revenait à peu près au même.
L'historiographie de la Seconde Guerre mondiale s'est largement désintéressée de ce thème demeuré longtemps méconnu et même
tabou pendant plus d'un demi-siècle, car, à vrai dire, il remettait en cause la vision d'une France tout entière dressée contre l'occupant, n'acceptant ni sa défaite ni l'Ordre Nouveau, et ne
songeant qu'à entrer dans la résistance afin de prendre sa revanche de 1940. Mais ces « Enfants de la Guerre », qui ont aussi été des « Enfants de l'Amour », étaient trop nombreux pour qu'on les
oublie éternellement puisque, selon certaines études récentes, ils seraient près de deux cent mille ! Comment a-t-on pu ignorer un phénomène social d'une telle ampleur ? Or, depuis quelques
années, ces « Enfants », qui ont tous la soixantaine, osent enfin sortir de leur clandestinité et révéler le mystère de leur origine.
Auteur : François Pairault
Date de saisie : 12/05/2011
Genre : Biographies, mémoires, correspondances...
Éditeur : Geste, La Crèche, France
Collection : Témoignage
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