« Mon but n’est pas d’accabler les protagonistes mais de ranimer un moment de l’histoire », écrit Benoît
Duteurtre. C’est bien dans l’enchantement de l’histoire qu’il nous remmène, dans cette France en noir et blanc qu’il affectionne particulièrement, lui, l’arrière petit fils du Président René
Coty.
Le 28 avril 1960 s’ouvre à la 15ème Chambre du Tribunal de la Seine le procès dit des « ballets
roses ». Des vingt trois inculpés, le chroniqueur judiciaire René Héricotte écrit : « un invraisemblable cocktail : un coiffeur à la mode, deux ou trois restaurateurs, une
demi-douzaine d’hommes d’affaires, deux policiers égarés, des commerçant ayant pignon sur rue… » A dire vrai, c’est le procès de trois personnes ou plutôt de trois personnages.
Jean Merlu qui se dit ancien de la DST alors qu’il n’avait été que le chauffeur d’un des directeurs ; Elisabeth Pinajeff, ex starlette de cinéma (elle a tourné une trentaine de films) qui se dit « comtesse » et artiste peintre ; enfin, André le Troquer, 74 ans, ancien Président de l’Assemblée nationale, gaulliste de la première heure, socialiste de toujours, grand client des maisons closes qui fermeront par la loi Marthe Richard votée sous sa présidence…
Ils sont accusés d’avoir organisé des soirées coquines avec des filles mineures (quatorze-quinze ans… !) aux frais de la république, au Butard (édifice pour les bacchanales de Louis XV), résidence affectée au Président de l’Assemblée nationale. Georges Gherra, journaliste à France-Soir, trouve l’expression Ballets roses pour suivre ses reportages sur l’affaire. Le mot fait fantasmer : ballet, c’est joli ; rose, c’est ravissant. Les deux mots collés donnent le frisson : frisson coquin dans l’imaginaire de la populace ; frisson d’effroi aussi.
L’affaire est importante : le deuxième personnage de l’Etat est inculpé. Et l’homme a sa réputation : « Du théâtre parlementaire aux coulisses de l’opéra, il n’y a qu’un pas. Sous son chapeau, sa moustache de Français moyen et son éternel nœud papillon, le troquer éprouve une véritable fascination pour les actrices ».
Que s’est-il passé ? En même temps que le
Troquer perdait de son crédit politique face au général de gaulle, il reçut Jean Merlu chez lui, rue d’Assas et au Butard. Merlu était accompagnée de jeunes filles de quatorze à dix-huit ans qui
étaient ses maîtresses et qu’il emmenait prendre le thé chez le Président. En réalité, elles y buvaient du whisky et, partiellement éméchées acceptaient d’être dévêtues par la
« comtesse », caressées et regardées. Le Troquer a alors 70 ans !
Toute la France se passionne et lit avidement les papiers qui font vendre la presse. Au milieu des sensations analysées et décryptées dans les journaux, François Mauriac cherche à comprendre. « Il veut mettre en garde contre ces fleurs empoisonnée de l’imagination quand elles tournent à l’obsession, et quand elles veulent à tous prix se transformer en actes », commente Duteurtre. « Ce trouble déraisonnable de la conscience doit être contenu pour ne pas entraîner toutes sortes de complications sociales fâcheuses ».
Affaire de mœurs ou affaire d’Etat ? Dans ces années, Nabokov publie Lolita. Duteurtre analyse : « Si la pédophilie au sens strict suscite un dégoût assez général, l’adolescence est par nature un pôle de fixation ambigu de la libido. Elle impose son imagerie omniprésente dans la société contemporaine avec ses lolitas, ses éphèbes, ses modèles pornographiques qui doivent paraître tout juste l’âge autorisé, comme si leur public restait fasciné par cette limite fragile ».
Une affaire de mœurs qui au regard du procès d’Outreau ou de l’affaire de Toulouse qui visait scandaleusement Dominique Baudis sera jugée avec retenue. Aujourd’hui, le climat émotionnel autour de ce type d’affaire peut faire perdre le sens d’un juge, d’un juge d’instruction, des enquêteurs ; on l’a vu. Les ballets roses ne seraient plus qualifiés d’ « incitations à la débauche » mais de viols collectifs.
Les attendus du procès reprochent aux familles leur légèreté. Ce n’est pas seulement le procès d’une « bande d’adultes pervers mais celui d’une jeunesse moralement inconsciente, guidée par la seule quête du plaisir » (sic) André le Troquer écopera d’un an de prison avec sursis, la cour ne voulant pas l’humilier davantage… En appel, le Tribunal réduira même le montant des dommages et intérêts accordés aux familles, en raison de « leur aveuglement et leur défaut de surveillance ».
Une affaire d’État, alors ? Pour André le Troquer, le rôle du général de Gaulle dans ses déboires judiciaires ne faisait aucun doute. Jean Merlu était-il vraiment un agent de la DST ? Lui qu’on verra saluer Charles Pasqua en 1995 ? « La police secrète l’aurait utilisé comme un agent, en misant sur sa facilité à nouer des relations ». Qui est vraiment Merlu ? Benoît Duteurtre le rencontre, l’interroge. L’homme parle trop pour ne rien dire de précis… Le Troquer (beau-père d’Edgar Pisani, ministre sous Mitterrand) est une haute figure : blessé au bras droit à la guerre, proche de Jaurès et de Léon Blum, ayant rallié de Gaulle à Londres, député du XIIème arrondissement de Paris, proche de René Coty qui le reçoit dans une égale courtoisie… Ce livre en brosse la carrière et exprime aussi la capacité d’un homme parti de rien à gravir peu à peu les échelons de la République.
Duteurtre agit en historien (les passages sur ses recherches aux Archives sont savoureuses « où « le passé semble exister physiquement »), en enquêteur (il pose à plat tous les éléments) et surtout en écrivain. Avec ce regard bienveillant qu’il ne cesse de développer au fur et à mesure de ses livres, il visite l’histoire en noire et blanc, celle dont il est issu par son histoire familiale. « L’injustice, écrit-il, serait de réduire André le Troquer à ce scandale ». Livre d’enquête, livre aussi de moraliste qui invite à cet autre regard sur les faits et les hommes pour n’avoir pas à les figer dans des jugements hâtifs : « si je soulève des pages refermées, parfois graveleuses, mon seul but est de ranimer les protagonistes dans leur complexité, de les rendre plus vivants –et plus intéressants- que les traits sommaires conservés par la mémoire politique ou judiciaire ». C’est pleinement réussi.
www.dailymotion.com/.../x9dnig_duteurtre-les-ballets-roses-zemmour_n...18
mn - 23 mai 2009
|
Autres vidéos pour les ballets roses »