14/07/2013 - «Je ne veux pas mourir, mon petit Journal ! Je veux vivre, même si je dois être la seule à rester ici ! Je me cacherai dans une cave, un grenier ou n'importe quel trou jusqu'à la fin de la guerre.»
C'est la dernière note du Journal. Quelques jours plus tard, Éva Heyman est envoyée avec ses grands-parents vers Auschwitz, où elle est morte dans une chambre à gaz le 17 octobre 1944. Elle avait treize ans.
Commencé le 13 février 1944 et interrompu le 30 mai 1944, ce bref Journal a été écrit en partie entre les murs du ghetto d'Oradea, le plus grand du nord-ouest de la Transylvanie, considéré comme un modèle par les autorités fascistes de Budapest.
La jeune adolescente y consigne avec une lucidité troublante son inquiétude qui, au fil des jours, devient panique devant l'évolution des événements : «Je pense toujours que nous avons vécu le pire et après je me rends compte que tout peut toujours être pire et même pire que pire...» À treize ans, Éva connaît et comprend des faits que d'autres, bien plus âgés, ignorent. Ses parents sont des intellectuels progressistes et donnent une appréciation lucide de l'évolution de la guerre, ressentent le danger de mort qui les guette.
Ce texte, d'une grande sensibilité, montre une fillette intelligente, pleine de vie, qui veut se réjouir de la beauté des choses, qui aime les gens et a confiance en eux. Ainsi, sans le vouloir, et dans un récit d'une sincérité et d'une pureté impressionnantes, Éva Heyman a légué à la postérité l'une des plus importantes sources documentaires sur le sort des Juifs de cette région.
Le Journal d'Eva Heyman est paru en hongrois en 1948, en hébreu en 1964, en anglais en 1974 et en roumain en 1991.
14/07/2013 - Extrait de la préface de Carol Iancu
Nous devons être reconnaissants aux éditions des Syrtes d'avoir eu la bonne initiative de faire traduire et publier pour la première fois en français le Journal tenu en langue hongroise par Éva Heyman, une adolescente juive de treize ans, dans la ville d'Oradea (Nagyvárad), en Transylvanie du Nord, pendant les mois qui ont précédé sa déportation à Auschwitz, en juin 1944.
Cet écrit bouleversant fait penser obligatoirement au Journal d'Anne Frank, jeune Juive allemande réfugiée aux Pays-Bas à la suite de l'occupation de ce pays par les armées de Hitler. C'est pendant «sa vie clandestine» - elle resta cachée deux ans dans une maison à Amsterdam avec sa famille - qu'elle rédigea son Journal, commencé lorsqu'elle avait treize ans, comme Éva, et achevé quelques jours avant l'arrestation des Frank, en 1944. C'est le père, Otto, le seul survivant (Anne Frank est morte du typhus dans le camp de concentration de Bergen-Belsen), qui fit publier, en 1947, le Journal, récupéré par une personne dévouée (Miep Gies), après l'arrestation de la famille Frank. Si ce témoignage a connu une audience mondiale, s'il reste l'une des oeuvres emblématiques de la littérature de la Shoah, il ne constitue pas un cas unique. En effet, des Anne Frank, bien que peu nombreuses, ont existé dans d'autres pays, alliés, occupés ou soumis à l'Allemagne nazie. Serge Klarsfeld, à qui l'on doit tant de travaux remarquables sur la Shoah en France, a fait publier les lettres d'une lycéenne âgée de dix-sept ans, préparant son baccalauréat, et qui fut arrêtée le 1er septembre 1941, parce qu'elle ne portait pas l'étoile jaune. Il s'agit de Louise Jacobson qui, avant sa fin tragique à Auschwitz où elle fut déportée par le convoi n° 47 du 11 février 1943, avait été incarcérée tour à tour à Fresnes, Drancy, Beaune-la-Rolande et de nouveau à Drancy, et c'est pendant son emprisonnement qu'elle rédigea ses émouvantes lettres qui ont été aussi adaptées au théâtre.
«Louise Jacobson est notre Anne Frank», a écrit Serge Klarsfeld et, dans la même perspective, nous pouvons et devons affirmer qu'Éva Heyman est une Anne Frank transylvaine ! Ce n'est pas un hasard si, dans l'introduction à la traduction roumaine du Journal d'Éva Heyman, Oliver Lustig, lui-même transylvain, déporté à Auschwitz, mais qui a survécu, considère cette dernière comme une «Anne Frank de la Transylvanie du Nord envahie par les horthystes».
Comme ce fut le cas pour le Journal d'Anne Frank, publié grâce au seul membre survivant de sa famille - son propre père -, le Journal d'Eva Heyman fut lui aussi publié par les soins du seul membre de sa famille qui survécut - sa mère -, qui put s'enfuir du ghetto d'Oradea et échapper à la déportation à Auschwitz. Ce Journal lui fut remis par Mariska Szabo, la cuisinière de ses parents, qui l'avait reçu des mains d'Eva avant l'«évacuation» vers le tristement célèbre camp d'extermination en Pologne, et qu'elle avait gardé jusqu'au retour de Suisse de la mère d'Eva et de son deuxième mari, Béla Zsolt. Ce dernier, dans un livre publié en hongrois en 1946, Kilenc koffer («Neuf valises»), raconte les circonstances de son évasion et de celle de son épouse du ghetto. Aidé par le docteur Németi, chef de l'hôpital du ghetto où il était caché sous un faux nom, il fut transféré dans le bâtiment réservé aux maladies contagieuses (notamment le typhus), où il devait rencontrer son épouse à laquelle le docteur Németi avait promis qu'elle y retrouverait aussi ses parents et sa fille. C'était un pieux mensonge et lorsque, trois jours plus tard, elle apprit que ces derniers ne se trouvaient plus dans le ghetto, elle s'évanouit et tomba dans la mélancolie, refusant de s'alimenter.
http://www.lechoixdeslibraires.com/livre-131352-j-ai-vecu-si-peu.htm#415047