25/05/2013 - 1954, la guerre d'Indochine touche à sa fin. Dans un hôpital militaire français de Hanoï, Mai, une jeune Annamite qui aide les équipes médicales, croise le regard de Yann, un soldat breton blessé à la poitrine. C'est le coup de foudre. La fougue, la candeur, la jeunesse leur font croire qu'ils pourront vivre librement leur passion. Mais le père de Mai, juge influent, l'a promise à un autre. Elle s'insurge, elle est bannie de la famille...
A peine marié, Yann doit rejoindre les bataillons de la cuvette de Diên Biên Phu. Pluie, bombardements, boue, corps-à-corps : c'est l'apocalypse. Après la défaite, Yann n'est que l'un des milliers de prisonniers condamnés aux marches infernales vers les camps d'internement. Mai est prête à tout pour le tirer de l'abîme.
Dans une langue précise, poétique, avec grâce et pudeur, Hoai Huong Nguyen peint le Vietnam d'hier et un amour, frêle esquif, qui affronte la violence d'une guerre. L'histoire de Mai et de Yann laisse percer la lumière des humbles héros qui croient à la liberté et à l'absolu malgré les vicissitudes de l'Histoire.
Hoai Huong Nguyen, dont le prénom signifie "se souvenir du pays", est née en 1976, en France, de parents vietnamiens. Détentrice d'un doctorat de Lettres modernes portant sur "L'eau dans la poésie de Paul Claudel et celle de poètes chinois et japonais", elle est actuellement enseignante.
25/05/2013 - Le regard perdu dans le fleuve, Mai se disait qu'il lui faudrait attendre l'aube, dans la noirceur de l'eau froide jamais elle ne pourrait ; elle voyait se dresser la silhouette démoniaque de la nuit qui l'attirait irrésistiblement. Sous ses pieds ensanglantés, les flots s'agitaient et leurs vagues furieuses lui rappelaient ce que Yann lui avait dit de l'océan. Certains jours de tempête, on croirait qu'il pleut, mais c'est une averse qui s'élève du bas de la falaise et projette son écume à travers toute l'île ; on ne pouvait voir ce phénomène qu'en s'agrippant au sol, écrasé par le vent. Pourtant, l'océan lui-même ne pouvait rien contre la puissance de l'ombre.
Les eaux s'écoulaient en un flux étrange, invisible. Les vagues de l'après-midi avaient lutté de toutes leurs forces contre la nuit. Tendres et paisibles vagues, arrondies et lumineuses, elles avaient mené cet éternel combat contre l'obscurité. Tristes et patientes, elles avaient souri à un espoir peut-être. Mais, comme toujours, la nuit avait triomphé, transformant ces pauvres fidèles en ombres transies ; elle avait posé ses pas sur l'eau, étreignant ses profondeurs, la saisissant aux cheveux ; enlaçant les dernières lueurs du crépuscule, elle les avait noyées dans ses glaces mouvantes. Dès lors, le ciel s'épanouissait en lointaines étoiles, miroitantes et inaccessibles.
Étrange clarté qui baigne le monde de sa mélancolie. La lune était lumineuse dans le ciel troublé, un fin croissant de lune. Sa blancheur évoquait dans l'esprit de Mai ce vieux poème que Yann lui avait lu ; elle en avait appris quelques vers pour les avoir toujours avec elle, car avec un poème, on n'est jamais seul - rêvons, c'est l'heure - il parlait d'un saule - c'est l'heure exquise - d'un saule noir qui pleure. C'était de mauvais augure, pourquoi fallait-il qu'il ait choisi ce poème et pas un autre ? Les hommes n'ont aucun discernement, très intelligents, mais sans sagesse. S'il avait préféré un sonnet clair et joyeux, peut-être l'histoire aurait-elle été différente; mais non, c'étaient la lune et le saule qui l'avaient séduit et tout était bien. Elle ne regrettait rien puisqu'ils avaient eu une journée entière, et la vie n'est-elle pas comme une journée ?