13/07/2013 - Après la défaite de la France, Hitler se trouve sur le rivage de la Manche et regarde en direction de l'Angleterre, désespéré que l'invasion s'avère une entreprise si difficile. Moïse apparaît soudain à côté de lui et dit : «Eh oui, si tu n'avais pas persécuté mes Juifs, je pourrais t'indiquer le truc de la mer Rouge.» Avant qu'il n'ait le temps de dire ouf, les gardes du corps d'Hitler lui mettent le grappin dessus et le forcent à parler sous la torture : «Il m'a suffi de tenir le bâton donné par Dieu horizontalement au-dessus de l'eau ; celle-ci s'est écartée et la mer était sèche !» Hitler, en criant : «Où est le bâton ? Donne-moi le bâton !» Mais Moïse hausse les épaules : «Il est conservé au British Museum !»
Est-il permis de rire d'Hitler ? La question fait toujours débat en Allemagne où, à la lumière des horreurs commises, il est difficile pour bon nombre d'Allemands de considérer le IIIe Reich avec humour. Il existe pourtant une longue tradition de blagues sur les nazis. Durant les premières années du Reich, les blagues sur Hitler et ses sbires étaient légion. Elles ont largement participé de ce rire libérateur qui servit de soupape de décompression durant ces noires années. Au fur et à mesure que le régime se durcissait, l'humour, en particulier l'humour juif, se fit plus grinçant, plus cynique. Car tous les Allemands ne furent pas dupes, et Herzog va délibérément à l'encontre de l'argument souvent avancé au lendemain de la guerre, selon lequel les gens ignoraient tout des manoeuvres d'Hitler. La vérité est beaucoup plus trouble : les Allemands savaient beaucoup de choses, ont plaisanté à l'occasion sur le sujet... et n'ont cependant rien fait.
De la suppression de la scène de cabaret anti-nazie des années 1930 aux «blagues chuchotées» publiées au lendemain de la guerre, Rudolph Herzog retrace l'histoire du comique et de l'humour sous le IIIe Reich et dresse, sous un angle inédit, un tableau passionnant de l'époque la plus sombre de l'Allemagne.
Rudolph Herzog est réalisateur. Son documentaire sur l'humour sous le IIIe Reich, Laughing With Hitler, a obtenu un véritable succès en Allemagne. Il est le fils du réalisateur Werner Herzog.
Peut-on rire d'Hitler ? La question réapparaît régulièrement, comme un feu follet, au sein du débat public. Le doute n'est pas possible : la dimension de l'horreur et de l'Holocauste est telle qu'il est difficile de jeter un regard satirique sur le IIIe Reich ; on est vite soupçonné d'en minimiser et d'en dédramatiser l'abomination. Pourtant, les humoristes se sont régulièrement attaqués à ce sujet délicat. L'humour antinazi s'avère le plus efficace là où il se veut démystificateur et laconique. Est-il dès lors légitime d'aborder Auschwitz également par le biais de la satire ? Ou bien banalise-t-on ainsi ce qui est fondamentalement indicible ? Une chose est en tout cas certaine : on riait d'Hitler, notamment pendant les douze années que dura le IIIe Reich. Les blagues politiques étaient même légion sous la dictature ; de nos jours, certaines restent de bonne facture, tandis que d'autres paraissent banales, mauvaises, innocentes. Leur trait commun réside surtout dans le fait qu'elles donnent un aperçu du véritable état d'esprit de la Volksgemeinschaft (communauté populaire) hitlérienne. Les remarques sarcastiques, moqueuses, concernaient généralement des sujets d'une urgence littéralement brûlante pour le peuple. Les comiques manièrent eux aussi l'humour politique pendant l'époque nazie : c'étaient soit des opposants de gauche, soit d'autres qui, par leurs blagues, apportaient leur soutien aux dirigeants en chemises brunes. L'analyse des blagues politiques permet d'arriver à une perception étonnamment proche de ce que les habitants du «Reich millénaire», aujourd'hui disparu, pensaient vraiment, de ce qui les contrariait, les faisait rire, mais aussi de ce qu'ils savaient et occultaient savamment. La réaction du pouvoir, qui était régulièrement nargué par les comiques et les raconteurs de blagues, nous apprend en même temps quelles étaient les blagues que ses détenteurs craignaient. Ce livre est donc conçu comme un voyage dans une époque décrite comme sans humour - non pas pour faire rire le lecteur, mais pour étudier sous un autre angle la société allemande de ces années horribles. Le débat moral de l'après-guerre n'est pas négligé pour autant, mais il ne se trouve pas au centre de notre réflexion.
Ce livre a comme sources les récits de vingt témoins de l'époque, originaires de différentes villes et interrogés dans le cadre d'un projet cinématographique réalisé parallèlement à celui-ci. Parmi eux se trouvaient par exemple les compagnons de route d'un prêtre assassiné par les nazis, le fils d'un célèbre dresseur de singes et le cabarettiste Dieter Hildebrandt. Les biographies de comiques renommés et les «anthologies de blagues chuchotées» de l'après-guerre ont également joué un rôle important : une bonne demi-douzaine de livres contenant des blagues politiques datant des années de la dictature nazie parurent après la guerre et leurs éditeurs voulurent faire croire que celui qui riait d'Hitler entre ses quatre murs était en réalité un adversaire des nazis ou même un résistant ; il a fallu attendre les recherches récentes pour montrer le caractère affabulatoire de cette conception, belle en soi, mais irréaliste.2 Les blagues politiques n'étaient pas une forme de résistance active : elles servaient plutôt de soupape permettant à la colère refoulée du peuple de s'exprimer, se racontaient à la table des habitués, au café, dans la rue - histoire de se défouler un instant dans un éclat de rire libérateur. Tout cela ne pouvait que convenir au régime nazi, qui se voulait en apparence totalement dépourvu d'humour. Beaucoup d'Allemands étaient bien sûr conscients des travers de la société nationale-socialiste ; les mesures de contrainte, les «bonzes» du parti nazi et l'arbitraire étatique les irritaient, mais ils ne se rebiffaient pas pour autant. Pour formuler les choses en exagérant un peu, celui qui donnait libre cours à sa colère au moyen de plaisanteries acerbes ne descendait pas dans la rue ni ne défiait l'autorité d'une quelque autre façon. (...)