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24/03/2014 - Que sont devenus les harkis restés en Algérie au lendemain des accords d'Évian du 18 mars 1962 accordant au peuple algérien le droit à l'autodétermination ? Quelles furent les conditions de détention des dizaines de milliers de ces supplétifs abandonnés par la France et prisonniers du nouveau régime ? Combien moururent ?

Cet ouvrage éclaire une sinistre page de l'histoire. En s'appuyant sur la consultation d'archives inédites de la mission qu'effectua le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) dans l'Algérie indépendante entre février et septembre 1963 et sur les témoignages des rescapés de cette tragédie, Fatima Besnaci-Lancou révèle les conditions dans lesquelles de nombreux harkis furent emprisonnés, torturés, massacrés au mépris des accords d'Évian et des conventions internationales. Affectés sans aucune protection au déminage des lignes de défense Challe à la frontière marocaine et Morice à la frontière tunisienne, des milliers d'entre eux périrent en effectuant ces travaux forcés. La France, bien qu'informée de ces faits, demeura indifférente. Seuls deux intellectuels, Maurice Allais et Pierre Vidal-Naquet, et un journaliste, Jean Lacouture, exprimèrent leur indignation. Le gouvernement français consentit à accueillir des harkis libérés ou évadés entre 1963 et 1969. Ces anciens prisonniers durent se battre pour obtenir la nationalité française qu'ils avaient perdue.

Ce livre apporte un élément essentiel à la connaissance des suites immédiates de la guerre d'Algérie. Il montre la reproduction de la violence par le nouveau régime sur les lieux mêmes où elle fut infligée par la puissance coloniale.

Ballottés par l'histoire, les harkis prisonniers du gouvernement algérien furent doublement vaincus : proscrits dans leur pays, indésirables en France, ils ont été victimes d'un crime d'États perpétré par l'Algérie et la France.

Fatima Besnaci-Lancou est historienne. Auteure de nombreux ouvrages sur la condition des harkis publiés aux Éditions de l'Atelier dont Fille de Harkis (2003) et Les Harkis dans la colonisation et ses suites (2008), elle a codirigé un numéro de la revue Les Temps modernes consacré à cette question, paru en décembre 2011.

 

24/03/2014 - Extrait de l'introduction - Après l'enrôlement, l'abandon

Au croisement des ambiguïtés de la colonisation et de la guerre d'indépendance, la question des harkis ne cesse de s'affirmer comme l'une des plus épineuses de l'histoire franco-algérienne. Le terme de «harki», mot arabe qui signifie «en mouvement», désigne les auxiliaires qui ont combattu dans l'armée française pendant la guerre d'Algérie, entre 1954 et 1962. Ces supplétifs représentent une réalité humaine complexe, regroupée en cinq catégories distinctes : les harkis, les groupes d'autodéfense (GAD), les aassès, les moghaznis, et enfin les groupes mobiles de police rurale (GMPR) qui deviennent en 1958 les groupes mobiles de sécurité (GMS). Aujourd'hui, le mot «harki» englobe non seulement la totalité des supplétifs, sans doute parce qu'ils étaient les plus nombreux, mais aussi l'ensemble des «pro-Français» de la période de l'Algérie française. C'est donc tout naturellement que, pour cet ouvrage, le mot «harki» est retenu pour désigner l'ensemble de ces prisonniers.

Ces hommes ont été engagés ou enrôlés, suivant les cas, par des préfets puis par l'armée française. Il s'agissait de lutter contre la «rébellion» de nationalistes menée par le Front de libération nationale et prolongée par l'Armée de libération nationale (ALN). Les raisons qui ont amené ces hommes à combattre aux côtés de l'armée française puisent leurs racines dans la double violence de la guerre. C'est dire si elles sont multiples, souvent contradictoires, mais rarement idéologiques. D'un côté, le FLN, impatient de faire basculer dans son camp une population jugée trop attentiste, n'hésite pas à sanctionner, parfois jusqu'à la mort, ceux qui ne prennent pas partie pour lui. De l'autre, l'armée coloniale convoite, pour les enrôler, des hommes en âge de combattre, et n'hésite pas non plus à punir ceux qu'elle soupçonne de soutenir le camp opposé. Cette violence, l'historien Jacques Frémeaux la décrit comme résultant de deux manichéismes qui s'affrontent :

«Chacun des deux adversaires place son but si haut, et en fait un enjeu si sacré, que le simple fait pour l'autre de vouloir l'empêcher de l'atteindre est considéré, non pas comme un obstacle, mais comme une sorte de sacrilège. Il importe d'insister sur ce manichéisme, dans lequel on peut voir une des explications de la violence de ce conflit.»

Hormis certains anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale ou encore de la guerre d'Indochine restés fidèles au drapeau français, il est rare que l'engagement s'effectue par patriotisme. Lakhdar, un des harkis patriotes, expliquera plus tard son trouble face à cet engagement : «Vous voyez toutes mes médailles de guerre : pendant longtemps, j'ai pensé qu'elles avaient une valeur. Avant la guerre d'Algérie, je servais en Indochine. J'ai souvent risqué ma vie pour la France. Je pensais, vraiment, être français.»
Des actions psychologiques ont été également mises en place par l'état-major français pour «retourner» les prisonniers pris les armes à la main (appelés communément les «PAM»), et en faire des harkis. Le général Raoul Salan, qui soupçonne les harkis, à juste titre, de manquer de convictions politiques, avait refusé d'en faire une force autonome. Il craignait de les voir se constituer en structure qui aurait «jeté les bases d'une future armée algérienne, matérialisant ainsi le principe d'une nation algérienne». Toutefois, si leur engagement n'a pas été motivé par un quelconque sentiment idéologique, des témoignages d'officiers de l'armée française relatant la loyauté de «leurs hommes» et la confiance qu'ils leur témoignaient sont nombreux. Nombreux sont aussi les anciens appelés français qui, aujourd'hui, déclarent avoir eu la vie sauve pendant une embuscade contre des combattants de l'ALN, grâce à leurs compagnons d'armes, des harkis. Si les actions des harkis sont bien réelles, leur statut très précaire de journaliers ne se voit officialiser que très tardivement, le 6 novembre 1961, par le décret n° 61-1201.

Auteur : Fatima Besnaci-Lancou

Préface : Todd Shepard

Date de saisie : 24/03/2014

Genre : Documents Essais d'actualité

Editeur : Ed. de l'Atelier, Ivry-sur-Seine, France

Des harkis envoyés à la mort : le sort des prisonniers de l'Algérie indépendante (1962-1969)
Des harkis envoyés à la mort : le sort des prisonniers de l'Algérie indépendante (1962-1969)
Tag(s) : #Guerre d'Algérie
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