... Le 6 janvier 1868, la Virginie sert de ponton à Brest, avant d'être transformée en navire de transport en 1870.
En 1872, la Virginie est armée à Toulon et, sous les ordres du capitaine de frégate Launay, est utilisée pour le transport des forçats et déportés en Nouvelle-Calédonie (voir itinéraire (page 1, page 2, et carte d'Emile GIFFAUT). Emile GIFFAUT, communard, fut condamné en 1872 pour complicité d'incendie, à la peine des travaux forcés, à l'âge de 22 ans. Contrairement aux autres communards, il ne sera pas déporté, mais transporté, et effectuera sa peine à l'île Nou. Il sera rapatrié par la Creuse en 1880, suite à l'amnistie générale des communards.
Un autre communard faisait partie du voyage. Arrêté le 10 septembre 1871, Simon Mayer, major de la place Vendôme pendant la Commune, est condamné à mort par le Conseil de Guerre en novembre 1872. Cette peine est commuée en travaux forcés à perpétuité. Simon Mayer arriva au bagne de Toulon le 3 mars 1872 et en sortit 3 mois et demi après, entre le 20 et le 24 juin, embarqué sur la Virginie pour être transféré au bagne de Nouvelle-Calédonie. Amnistié par la loi de 1880, il fut rapatrié par la Picardie.
Il nous raconte son arrivée à bord de la Virginie : "Notre chaland aborda la Virginie, où nous entrâmes par un étroit bastingage. J'ai dit que l'on nous avait distribué des habits nouveaux. Chacun de nous était vêtu d'une blouse en toile grise, d'un pantalon en laine grise, chaussé de godillots neufs et coiffé d'un immense bonnet en laine marron, qui lui tombait jusqu'au milieu du dos. Devant nous, à l'entrée du bastingage, se tenait debout et immobile le commandant du bord, M. Launay. Au fur et à mesure que nous défilions, il fixait sur chacun de nous un regard froid et pénétrant. A ses côtés se tenait un surveillant qui indiquait de la main aux condamnés l'entrepont où on les faisait descendre.".
L'entrepont de la Virginie était divisé en trois parties. Au milieu il y avait les animaux embarqués pour la nourriture, et de chaque côté il y avait les cages, formées de gros barreaux de fer. Il y avait 94 condamnés de chaque côté, et devant la porte de chaque cage était braqué un canon. D'autres cages plus petites se trouvaient dans le prolongement. Une était destinée à recevoir les femmes, qui étaient 40 dont 38 condamnées de droit commun et 2 condamnées politiques, " elles avaient toutes les cheveux ras, de petits bonnets blancs et une robe de bure grise" et 2 enfants. "Le petit garçon était blond, délicat, un peu maladif, gracieux pourtant. La petite fille était brune, Elle était vêtue de bure, comme sa mère. Elle avait de grands yeux noirs". L'autre cage était pour isoler certains forçats des autres condamnés.
D'après Simon Mayer, M. Launay avait "les chevaux d'un blond ardent. Il était d'un tempérament sanguin. Il avait les joues très rouges. C'était un homme extrêmement sévère". Le chef de la chiourme était un nommé Nutzbaum, "gros, brun et d'une taille au-dessus de la moyenne, grosses moustaches brunes. Il avait presque toujours la tête à demi baissée, l'arcade sourcilière froncée, l'œil en dessous, le regard circulaire". Le surveillant de 2ème classe Argentier, était préposé aux vivres "était maigre Il avait de longues moustaches de nuance châtain". Il essayait de défendre autant que possible l'intérêt des condamnés. Le surveillant Leblanc était "blond. Il avait une figure sympathique. il était assez intelligent". Le surveillant Lecomte "louchait. C'était un sergent ne connaissant que la lettre de la consigne".
Le 1er juillet, la Virginie était en face de Gibraltar. Le 12 juillet, à 15h00, le navire jetait l'encre en rade de Gorée, au Sénégal. Le 9 août l'équateur était franchi à 14h00 et les condamnés eurent droit à une heure pour se divertir dans leur cage. Les condamnés se baptisèrent entre eux et après avoir dansé une farandole, on leur distribua un extrait de baptême. Quelque jours avant d'arriver au Brésil, une tentative d'évasion fut découverte. Le 29 août la Virginie fait relâche à Sainte Catherine, au Brésil.
Ce même 29 août 1872, naît en mer Georges François Virginie MOURIN, fils de Rieul MOURIN, 39 ans, cultivateur domicilié à Paris 20ème, et de Sabine TONY, son épouse, âgée de 30 ans, tous deux passagers. Les témoins sont Pierre Hippolite MOIROUX, 38 ans, domicilié à Lorient (56), et Gustave GARNIER, 33 ans, médecin de 1ère classe, domicilié à Toulon (83). L'acte est transmis au Ministère de la Marine le 25 novembre 1872, par le Commissaire aux Armements de Nouméa, où le navire a fait escale le 24 novembre, veille de la transmission.
En 1875, la Virginie cesse le transport des forçats et des déportés de la Commune vers la Nouvelle-Calédonie.
En 1881, la Virginie est rayée des listes et sert de magasin de salaisons à Brest de 1882 à 1888.
7ème convoi de déportés
La Virginie, sous les ordres du commandant Launay, quitte Brest le 5 août 1873, avec à son bord 61 déportés en provenance du fort de Quélern. Le navire met le cap sur l'île d'Aix, où il mouille le 7 août. Prennent place à bord 88 déportés qui étaient internés à la citadelle de Saint-Martin-de-Ré le 9 août. 20 femmes qui avaient été détenues à la maison centrale d'Auberive et ont été expédiée à La Rochelle quelques heures avant leur embarquement viennent compléter le "chargement". Il faut noter la présence parmi eux de quelques "figures" de la Commune, tels Henri Rochefort, Henri Messager et Louise Michel (une rue de Saint-Etienne dans la Loire porte son nom).
Henri messager raconte son embarquement et ses premières heures à bord : "C'est à bord de La Comète que nous sommes venus rejoindre la Virginie. Nous avons, grâce à la bonté du commandant de La Comète, qu'à nous louer de cette première étape. Nous sommes donc depuis hier soir à bord de la Virginie. Ma première impression, en me voyant enfermé avec 75 hommes dans une cage que l'ombre dont elle était entourée me faisait voir plus petite, a été mauvaise. Puis pour débuter, mes chers camarades ont su conserver les hamacs qu'on avait distribué, un pour deux hommes, et mon escouade et moi avons dormi sur le pont. Ce n'est rien d'être serrés les uns contre les autres, ce n'est rien encore de coucher par terre, ce qui est affreux c'et d'être pendant quatre mois en rapport avec des gens grossiers pour la plupart et pour lesquels je n'ai pas de sympathie, mais je me suis imposé de tout supporter et de ne rien dire et je ne faillirai pas à cette règle de conduite. C'est le commandant Launay qui commande la Virginie, des déportés qui l'ont connu sur les pontons me disent qu'il est très affable et que nous n'aurons qu'à nous louer de faire la traversée avec lui. Rochefort a déjà été fort malade, je suis depuis mon arrivée séparé de lui et je le le croyais tout d'abord à l'infirmerie, mais il est dans une cage séparée, peut-être pourrais-je le voir quand nous aurons levé l'ancre. Je n'ai pas ma caisse, arrivera-t-elle à temps, je crains que non...".
Une femme allaitait un bébé de 7 mois né en prison. Trois femmes condamnées à des peines de prison ou de réclusion, qui partent comme volontaires pour rejoindre un compagnon ou un mari sont parmi les passagères. Il s'agit de Augustine Marie Hamel, née Brest, concubine d'un nommé Pierre Bayle, condamné aux travaux forcés, de Marie Theron, née Lafond, et de Marie Braun (ou Broun).
Le rapport médical (voir pièce n° 6), qui nous donne une idée assez précise des conditions dans laquelle les déportés vont effectuer la traversée, fait état que les " emménagements affectés à tous les déportés sont situés dans la batterie. Ils consistent en quatre compartiments grillés; deux grands, ayant 24 mètres de long et 3 de large, étendus de l'Hopital avant à 8 pieds sur l'arrière du grand mat; deux plus petits ayant 10 mètres de longueur, et partant de l'échelle de commandement pour se terminer à la cloison de l'ancien carré des officiers.
Les deux grandes cages et la petite de babord renferment les hommes. Elles sont suffisamment vastes , à grillages bien espacé, accessibles de tous les bords, à l'extérieur, grâce à une coursive ménagée entre elles et la muraille du batiment; disposition qui rend la surveillance, l'aération, le nettoyage et l'assèchement plus faciles. Les bouteilles sont commodes et disposées de façon à corriger autant que possible les inconvénients qui s'attachent à leur présence.
Dans ces trois compartiments inégaux, les hommes ont été répartis proportionnellement. Ils peuvent s'asseoir, se coucher, se promener sans encombrement.
Le compartiment des femmes situé à tribord arrière est plus petit eu égard à leur nombre, mais encore suffisamment vaste. Pour des raisons de convenance il n'a été grillagé qu'au tiers supérieur de la cloison et ce grillage est recouvert par des panneaux pleins ,mobiles, qu'on applique ou qu'on enlève suivant l'heure, la température, les raisons d'un autre ordre. Trois sabords s'ouvrant dans ce compartiment le désavantage que je viens de signaler se trouve insignifiant au point de vue de l'aération.
Ces dispositions réalisent le but qu'on s'est proposé. Elles sont en effet telles que la batterie n'est pas obstruée, qu'elle reçoit l'air et la lumière par ses nombreuses ouvertures restées libres. Quand les sabords sont forcément fermés, quatre larges panneaux reçoivent la brise des ralingues de basse voiles et l'air circule de bout en bout, balayant le méphitisme et l'humidité
Une partie de la cage de tribord, sur l'avant a été affecté au service de l'infirmerie, c'est dire aux hommes autorisés pour raison de santé à garder leur hamac pendant le jour. Cette disposition a été prise dans le but de faciliter les détails du service de santé et d'éviter l'encombrement des compartiments dans plusieurs points à la fois. Dans le cas d'affections graves ou contagieuses commandant l'isolement des malades, un ou plusieurs lits devaient êtres montés dans l'Hopital avant resté libre dans cette prévision.
Les femmes ont été traitées dans leur compartiment. On eut avisé pour un cas exceptionnel.
Toutes les femmes ont leur hamac. De plus il existe des couchettes sur le pourtour de leur cage. En rabattant la tablette de devant, on en fait des bancs.
Les hommes sont amatelotés. Ils couchent soit dans le hamac soit sur le plancher de deux jour l'un, mais toujours avec une couverture de laine...".
Deux sœurs de l'ordre de Saint-Joseph embarquent pour la surveillance des déportées, et des surveillants militaires accompagnés de leur famille font aussi partie du voyage, ainsi que le bébé dont nous avons parlé plus haut, et qualifié de chétif par le médecin du bord, et un autre enfant qui accompagnent leur mère en déportation.
Le 10 août la Virginie quitte l'île d'Aix pour entamer la grande traversée. Le 12 le navire est dans le golfe de Gascogne. Les déportés peuvent monter sur le pont. Le lendemain, après une nuit calme, à 5h30 le réveil sonne, les hamacs sont pliés et commence le lavage des batteries. La nourriture semble convenir aux déportés. Le 14, la Virginie est toujours dans le golfe de Gascogne et le 15, malgré une allure lente, le cap Finistère est doublé. Le 16 le temps est magnifique. Cela fait huit jours que les déportés sont à bord. Le 17, le vent est bon et le navire marche bien. On est à 5 ou 6 jour de Ténérife qui devrait être la première escale. Le 18, alors que le temps est toujours au beau fixe, la Virginie se trouve par le travers des côtes du Portugal.
Le 22 août, la Virginie fait escale non à Ténérife, mais à Palmas aux îles Canaries, et la frégate mouille à une lieue du port. Les déportés peuvent rêver de liberté, mais ils apprennent que les Canaries sont utilisées par l'Espagne comme colonie de déportation ! Le 24 août, par beau temps, la Virginie reprend la mer. Elle file 8 nœuds. On approche des tropiques car un poisson volant est entré par un des sabords ouverts. Le 31, la température est de 35° et il y a toujours des poissons volants. Mais c'est le calme plat : la vitesse n'est que d'un demi-nœud. Dans l'après-midi, la vitesse remonte à 6 nœuds. Henri Rochefort a été très malade.
Le 3 septembre, on travers le "pot-au-noir". La mer est mauvaise. Le 8 dans la soirée, les roches de San Paolo sont en vue, alors que le navire a quitté la France depuis 29 jours. Le 9 la "ligne" (l'Equateur) est passée et c'est la fête à bord, sauf pour les déportés. Ils entendent des chants et il y a un feu d'artifice. Le 11 septembre il y a promenade sur le pont, sous la surveillance de 7 factionnaires et 2 gardiens. Le 13, le navire avance à une bonne allure et le 16, les déportés ont étant tranquilles, ils ont reçu la permission de chanter dans les batteries. Il pleut à verse, et Henri Rochefort est toujours malade. Le 21 l'allure est toujours de 8 nœuds. La nourriture est mon bonne, mais Rochefort va mieux. Henri Messager pense à son installation en Nouvelle-Calédonie, à cultiver des légumes et élever des poules. Le 24, un très mauvais temps fait dériver le navire, mais le 25 c'est le calme plat et les côtes du Brésil sont en vue. Le 26 septembre, l'ancre est mouillée après que le navire ait été obligé de louvoyer toute la journée pour entrer dans la passe séparant l'île Santa Catarina de la côte. La Virginie aura mit 47 jours pour atteindre le Brésil. Le 27, la Garonne arrive au mouillage. Ce navire transporte un chargement de forçats en provenance de Toulon. Le médecin de bord de la Virginie, le médecin-major Perlier semble être apprécié des déportés. Le 29 septembre, Henri Messager reçoit une lettre datée du 13 août. Le commandant Launay autorise les prisonniers à cacheter les lettres qui partiront par un navire anglais. Mais cette mesure ne concerne pas tous les déportés.
Le 30 septembre, la Virginie appareille, le plein en vivres et en eau étant effectué. Il reste 3 600 milles marins avant de doubler le cap de Bonne Espérance, soit environ 23 jours de navigation. Il ne semble pas qu'une escale à Cap Town ait été prévue, au regard de la vitesse du navire et de sa date d'arrivée à Nouméa. Après avoir doublé Le Cap, la Virginie navigue entre les 48ème et 50ème parallèles, zone des mers froides. Dans ses souvenirs, Louise Michel parle des haubans et des cordages couverts de glace. Le commandant Launay, l'ayant plusieurs fois vue pieds nus dans sa cage, et de crainte de la vexer, lui fait parvenir une paire de chaussons par l'intermédiaire d'Henri Rochefort. Mais le lendemain, elle est toujours pieds nus, car elle a fait don de ce présent à une autre déportée plus malheureuse qu'elle !
Après 120 jours de traversée, la Virginie entre en rade de Nouméa le 8 décembre 1873. Un hébergement particulier a été prévu dans la commune de Bourail par l'Administration Pénitentiaire, pour les femmes condamnées à la déportation en enceinte fortifiée. Mais Louise Michel et toutes les autres femmes refusent de quitter leurs compagnons d'infortune et menacent de se jeter à la mer si elles n'obtiennent pas satisfaction. Les autorités seront obligées de céder et les femmes embarquées sur la Virginie rejoindront la presqu'île de Ducos comme les autres déportés en enceinte fortifiée.
Il faut noter qu'aucun décès ne fut à déplorer, ni de malade à débarquer sur les 169 déportés qui effectuèrent la "grande traversée" sur la Virginie...
10ème convoi de déportés
La Virginie effectuera une autre traversée au départ de Brest. 170 déportés seront embarqués le 29 août 1874. Ce sera le 10ème convoi, qui arrivera à Nouméa le 4 janvier 1875. Le navire fait escale à Ténériffe la plus grande île des Canaries. Il y aura aussi une escale à Gorée et le navire coupera la ligne de l'équateur le 7 octobre. Une fête est organisée à bord pour respecter la tradition. La Virginie mouillera en face de Santa Catarina au Brésil en novembre. Il y aura un décès en mer qui, selon Roger Perennès, n'a pas été consigné sur le registre de la déportation, d'où l'impossibilité de connaître l'identité de ce déporté. La traversée est longue et le scorbut fait des ravages, mais le commandant est humain. Compte tenu de la durée de ce voyage, 128 jours, il semblerait que la Virginie ait eu à subir des vents défavorables sur une partie de son parcours, à moins qu'une escale prolongée à Santa Catarina, ou ailleurs, ait été faite. (Dossier complet en consultant l'excellent dossier de Bernard Guignard - lien ci-dessous)
la Virginie - Bernard-guinard.com
www.bernard-guinard.com/arcticles%20divers/.../la_Virginie.html
Ce sont des navires de 2300 tonneaux avec un équipage moyen de 470 ... après