Le récit du procès de Mendès France, en mai 1941, injustement accusé de « désertion devant l'ennemi » par un tribunal pétainiste.
Pierre Mendès France est le symbole même de ces juifs qui ont identifié leur destin avec celui de la République. Né en 1907, ce jeune homme pétri de dons, sous-secrétaire d’État au Trésor dans le second cabinet Blum (1938), est, dès septembre 1939, volontaire dans l’aviation. Faisant partie des députés qui refusent l’idée d’un armistice, il s’embarque pour le Maroc à bord du Massilia (juillet 1940). Sous le prétexte qu’il n’est pas démobilisé, Vichy le fait arrêter pour désertion, le fait interner et juger à Riom parmi les responsables de la défaite. Le procès, sans fondement juridique, finira par être suspendu, mais il donnera l’occasion à Vichy de donner libre cours à l’antisémitisme le plus grossier. Mendès France sera, de tous les accusés de Riom, celui qui se défendra avec le plus d’ardeur et de conviction. Jusqu’à la fin des années 1950, il se battra juridiquement pour sa réhabilitation avec panache et ténacité, tant il croit aux principes républicains.
« Vient l'ultime formalité : la signification de l'arrêt au condamné. Elle a lieu dans la salle d'audience qui a été évacuée. Ni le public ni les juges ne sont plus là. La garde assemblée présente les armes. C'est le greffier qui donne, solennellement, lecture de l'arrêt : "Le lieutenant Mendès France est-il coupable de désertion à l'intérieur en temps de guerre ?" À la majorité de six voix contre une, oui, l'accusé est coupable."
Mendès France l'interrompt : "Le tribunal a menti."
Le greffier, décontenancé, s'est arrêté un moment. Puis il enchaîne : "Sur la seconde question, à la majorité, il existe des circonstances atténuantes." En conséquence, le tribunal condamne le lieutenant de réserve Mendès France Pierre, Isaac, Isidore à la peine de six ans d'emprisonnement et à la perte du grade..."
Le greffier arrive au bout de sa lecture. À peine s'est-il arrêté que le condamné se tourne vers la garde. Les soldats sont blêmes. Mendès France s'avance vers eux. Il leur dit : "On vient de condamner un innocent par haine politique. Ce n'est pas la justice de la France, c'est celle de Hitler. Ne désespérez pas de la France." » (L'auteur)
Jean Denis Bredin : Un tribunal au garde à vous - Vidéo Ina.fr
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