Berthe Morisot la fascinante par Manet.
En d'autres temps elle aurait été cantonnée dans le registre de demoiselle ayant un petit talent et se livrant pour son divertissement à la peinture. En son temps, où déjà grondait la revendication des femmes à se voir considérée avec un oeil qui n'est plus celui du macho conquérant , Berthe Morisot, fille de la haute bourgeoisie, gagne son statut de peintre de "haute main", en apprenant, découvrant (copies au Louvre), mais surtout donnant, peu à peu, avec un singulier courage, toute la force singulière de son tempérament, au risque de se voir (dans le cadre de l'aventure des Impressionnistes) en concurrence avec la monde des hommes.
Mais au regard qu'elle porte sur le monde (encore très féminin ce qui est bien le moindre) elle est perçue en tant que femme, et à commencer par son beau-frère Edouard Manet, fasciné par l'intensité de son regard.
Ce n'est pas la femme de talent qu'il contemple, dont, après tout, il se sent relativement éloigné en tant qu'artiste, c'est la femme en tant que telle, et d'une sublime liberté de ton, de comportement, et de laquelle émane ce qui est bien le feu ardent d'une beauté intérieure.
Elle passe par son regard. Son intensité, son audace, sa droiture, sa pénétration.
"Le Balcon", sans sa présence, ne serait qu'une anecdote. Il est, au delà de la prouesse technique et de l'originalité de sa conception, un aveu d'amour (de désir) auquel Manet ne semble pouvoir échapper.
Il peindra souvent Berthe Morisot, fasciné qu'il est par sa beauté tranquille, insolente et fière.
Mais c'est encore quand il ne la place pas comme un personnage de fiction dans une scène, quand il l'affronte sans sujet prétexte, qu'il est le plus convaincant, et elle, plus irrésistible.. .Texte de Jean-Jacques Lévêque