Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

 Portrait du jour : Richard Marlet,  ancien patron de l'identité judiciaire au 36, quai des Orfèvres

Reprise du portrait du jour criminocorpus - En attendant de publier ce portrait du jour dans la nouvelle version "Culture et Justice" de l'association Criminocorpus, nous mettons en ligne celui de Richard Marlet  sur mon blog personnel

"Bonjour Philippe - Je vous remercie très sincèrement pour vos mots qui me touchent énormément. A mon tour de vous féliciter, vous et toute l'équipe de Criminocorpus, pour le travail formidable que vous faites. Je ne cesse de conseiller votre site à mes étudiants. Hier soir encore je le conseillais à une journaliste de France 2 qui doit faire un documentaire sur le 36.

Je réponds très favorablement à votre proposition et vous adresse dans un premier temps un document que j'avais écrit pour une revue que dirige un professeur d'histoire, Serge Bouchet, à l'université de l'Ile de la Réunion. Dites moi comment vous souhaitez qu'il soit modifié. Je peux le reprendre notamment sur mon travail à l'identité judiciaire et à la documentation criminelle.

Je suis évidemment à votre entière disposition. Bien à vous. Richard" -  3 juillet 2018  à 7 heures 39' .

"Des meurtriers en série Guy Georges et Mamadou Traoré (le tueur aux mains nues], à l’accident mortel de Lady Di sous le pont de l’Alma en passant par la tuerie du conseil municipal de Nanterre commise par Richard Durn, le commissaire Marlet a su débrider les traces pertinentes qui deviennent des indices. Il a écrit Les experts, mode d’emploi puis Profession, chiens policiersLe Bertillon des temps modernes, selon les mots du préfet de police qui l’a décoré de la légion d’honneur, a quitté l’IJ en 2005 pour s’occuper des archives et de la documentation criminelle. Mais enseigne toujours la criminalistique à la fac..." Le commissaire Marlet s'en va - Les Jours

Les mots ne suffiront pas pour exprimer toute notre reconnaissance à Richard Marlet pour ce portrait joint ci-dessous. Toute la rédaction de Criminocorpus partage cet instant de vif plaisir. Merci à vous Richard pour l'énorme travail effectué avec notre ami  l’historien Pierre Piazza sur notre site. Ph.P.

"Des Etrusques au quai des Orfèvres

Expliquer que l’on peut être commissaire divisionnaire, travailler au 36 quai des Orfèvres, porter le chapeau et fumer la pipe sans être l’incarnation de Jules Maigret n’est déjà pas chose facile. L’exercice se complique encore davantage lorsque celui qu’un préfet de police a surnommé « le Bertillon des temps modernes » ne se reconnait comme seuls diplômes qu’une licence de lettres classiques et une maîtrise d’archéologie étrusque !

Mais, après tout, reconstruire une histoire en tirant patiemment tous les fils qui s’offrent à vous, en se défiant toujours des apparences, n’est-ce pas le secret d’une enquête criminelle réussie ?

Tout est affaire de rencontres. Pendant mes années de première et de terminale au lycée Colbert sur le 10ème arrondissement de Paris, j’étais le seul élève de grec. J’ai donc pu profiter de l’enseignement particulier de monsieur Blanchard. Et particulier, il l’était ce professeur de lettres classiques ! Été comme hiver, il portait un imperméable tout aussi informe que celui de l’inspecteur Colombo. Au cigare, il préférait la pipe qui laissait derrière lui une odeur âcre de tabac gris. Le chapeau qui recouvrait son crâne dégarni et qu’il ne posait que pour entrer en classe devait être celui qu’il portait pour aller taquiner le goujon sur les bords de Loire pendant ses congés.

Grâce à lui, j’ai eu une presque révélation. Les heures passées à apprendre mes conjugaisons et mes déclinaisons me permettaient maintenant de voir, à ses côtés, dans les désinences des mots autant d’indices qui me guidaient dans la compréhension d’un texte, qui me faisaient redonner vie à une langue que l’on dit morte. Patiemment, prudemment, il me fallait poser mon hypothèse de traduction, l’évaluer et éviter les erreurs fatales, contresens, faux sens, barbarismes et autres solécismes. Traduire avec lui les dialogues de Platon ou Œdipe Roi de Sophocle, c’était entrer dans le siècle de Périclès, revivre les concours de tragédie, se promener sur l’Acropole et frémir aux destins des Atrides et des Labdacides.

Pour Jean Blanchard, il fallait tout lire. Il n’y a pas de sous-littérature, il n’y a que de mauvais auteurs. Qu’il s’agisse de science-fiction ou de roman policier, j’ai lu les maîtres du genre : Asimov, Bradbury, Van Vogt, Lovecraft. J’ai découvert le chevalier Dupin, le héros récurrent d’Edgar Allan Poe, et sa méthode de raisonnement qui lui permet de résoudre le mystère du double assassinat dans la rue Morgue ou celui de la lettre volée. J’ai été fasciné par le sens de l’observation de monsieur Lecoq, le policier d’Emile Gaboriau qui élucide l’affaire Lerouge et le crime d’Orcival. Évidemment, je suis devenu très vite incollable sur le locataire du 221bis Baker Street, le prince des détectives, Sherlock Holmes. Ses formules sont restées gravées : « vous connaissez ma méthode, elle est basée sur l’observation des riens » ou « jamais je ne devine, c’est une habitude détestable qui détruit la faculté de raisonner ».

Lors de mon inscription en première année de lettres classiques à la Sorbonne, je n’ai pu faire le choix entre « initiation à l’ancien français » et « civilisations préromaines ». J’ai donc pris les deux unités de valeurs. Le talent du professeur Alain Hus pour parler des Etrusques, des mystères de leur origine ou de leur langue, de leur étrange sourire a décidé de ma spécialisation. Mon sujet de maîtrise peut faire sourire les « non-initiés » : les représentations de l’Héraclès grec, de l’Hercule romain et de l’Erklé étrusque sur les dos de miroirs de bronze ! Trouver dans les représentations du héros ce qui relevait de l’une ou l’autre culture, ce qui était trouvaille ou appropriation. Comme l’aurait dit Holmes découvrir le détail « qui semble compliquer un cas mais qui devient pour peu qu’il soit considéré et manié scientifiquement, celui qui permet au contraire de l’élucider le plus complètement. »

De toute ma scolarité, timidité et manque de confiance en moi, je n’ai pu faire un seul exposé oral. Je me suis donc interdit la profession d’enseignant. C’est encore une rencontre qui va me décider à passer le concours d’inspecteur de police. Un ami et collègue de mon frère aîné, Alain Bontemps était inspecteur de police à l’Office Central du Vol des Objets d’Art. L’atavisme familial et la « génétique » ont fait le reste : mon père était gardien de la paix et mon frère Gérard chef de groupe à la Brigade de Recherches et d’Interventions, l’antigang.

J’étais à peine affecté à l’état-major du 36 quai des Orfèvres que mon frère m’a inscrit au concours de commissaire de police. Reçu aux épreuves écrites, j’ai dû ma réussite à l’épreuve du grand oral à Sophocle. A la première question de , culture générale : « on dit qu’Œdipe Roi est une grande tragédie policière, racontez-nous l’histoire et dites-nous ce que vous en pensez », j’ai été intarissable !

A la sortie de l’École Nationale Supérieure de Police, j’ai choisi d’être commissaire de quartier. Pendant plus de 10 ans j’ai vécu une véritable police de proximité ou de sécurité du quotidien avant donc qu’on en invente les mots et redécouvre le concept ! J’étais, comme l’écrit Camus dans « les Justes » au centre des choses. Ce métier passionnant je l’ai exercé sur les 18ème, 1er, 9ème et 13ème arrondissements de Paris jusqu’à un jour de juin 1995 où le directeur de la police judiciaire m’a proposé de devenir le chef des sections techniques de recherches et d’investigations de l’identité judiciaire, la police technique et scientifique du quai des Orfèvres. J’ai occupé le poste dix ans, un record de longévité pour un commissaire de police. De 1995 à 2005 ou pour le dire autrement des attentats parisiens au tsunami, en passant par les affaires Guy Georges, Mamadou Traore, le tueur aux poings nus, l’accident de Lady Di, la tuerie du Conseil Municipal de Nanterre, le crash du Concorde …

Lorsque l’actualité m’en laissait le temps, je lisais les grands criminalistes de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème : une généalogie des concepts de base de la criminalistique. Les « instructions signalétiques » du premier et le « traité de criminalistique » du second sont devenus mon Gaffiot et mon Bailly1. Chez Alphonse Bertillon, l’obsession de l’identification. Comment distinguer un individu d’un autre, le reconnaître lorsqu’il change d’identité et de physionomie. En un mot, s’abstraire de cette notion floue qu’est une identité fondée sur un nom, un prénom et une date de naissance dont on peut changer à volonté. Pour ce faire, dégager et regrouper des caractéristiques invariables qui, en nature et en quantité, sont propres à cet individu et à lui seul.

Chez Edmond Locard, le principe de l’échange, fondamental en criminalistique : « la vérité est que nul ne peut agir avec l’intensité que suppose l’action criminelle sans laisser des marques de son passage…Les indices dont je veux montrer l’emploi sont de deux ordres : tantôt le malfaiteur a laissé sur les lieux les marques de son passage, tantôt, par une action inverse, il a emporté sur son corps ou sur ses vêtements les indices de son séjour ou de son geste ».2

La trace doit donc être considérée comme le vestige d’une présence et/ou d’une action. La trace est pertinente, elle fait sens, lorsqu’elle est la conséquence d’un transfert entre la victime et l’auteur, l’auteur ou la victime et la scène de crime, l’auteur avec l’arme ou le butin, etc. Cette trace pertinente, en voie d’acquérir le statut d’indice, renvoie au moment où elle a été produite. Elle permet de remonter le temps jusqu’à l’instant de l’acte criminel. Par sa nature, sa forme, son emplacement, elle aide à reconstruire la scène, à comprendre ce qui s’est passé. Le pouvoir individualisant de certaines de ces traces (digitales ou génétiques) conduisent directement à leur source (la personne qui les a produites). Pour d’autres (souliers, oreilles, outils), il faudra découvrir une source potentielle et procéder à une comparaison pour valider une hypothèse.

Pour permettre à une trace de devenir une preuve matérielle, il faudra évidemment que sa collecte, sa protection, son acheminement, son exploitation et son interprétation ne connaissent aucune faille depuis la scène de crime jusqu’à la barre du tribunal.

Du quadrillage des lieux, de leur préservation, de la gestion de la scène, de l’ordre et du choix des prélèvements, comment ne pas être frappé par la similitude avec le traitement d’un site archéologique ? Il s’agit de remonter le temps avec la plus grande vigilance, en distinguant les traces contemporaines d’une époque ou d’une action de celle produites avant ou après cet instant de question.

Tout comme l’historien ou l’archéologue ont besoin des connaissances d’autres spécialistes, le gestionnaire de scène d’infraction doit s’appuyer sur celles du médecin légiste, du spécialiste en incendie ou en explosif, du généticien, du spécialiste en morpho analyse des traces de sang, etc. La manifestation de la vérité judiciaire passe par la pluralité des disciplines et des points de vue.

Dans mon dernier poste à la direction de la police judiciaire de Paris, je me suis occupé de l’alimentation et de la mise à jour des grands systèmes de documentation criminelle (traitement des antécédents judiciaires, fichier des personnes recherchées, fichier des objets et des véhicules surveillés …) Evidemment, outre la connaissance des problématiques de l’identité, il faut allier rigueur et sérieux. Je ne doute pas que mes études aient contribué à me donner ses qualités. Après 37 ans d’activité policière, je n’ai jamais regretté mon choix professionnel. D’autant que depuis près de quinze ans j’enseigne la police technique et scientifique dans l’amphithéâtre de l’Institut de Criminologie." Richard Marlet 

 

 

Culture et justice rassemble des informations relatives à l’actualité culturelle sur les questions de justice. Histoires, romans, portraits du jour, salon de livres... 

Page indépendante sans but lucratif administrée par Philippe Poisson et Camille Lazare, membres de l'association Criminocorpus.

https://www.facebook.com/pageculturejustice

A propos du site : Criminocorpus propose le premier musée nativement numérique dédié à l’histoire de la justice, des crimes et des peines. Ce musée produit ou accueille des expositions thématiques et des visites de lieux de justice. Ses collections rassemblent une sélection de documents et d’objets constituant des sources particulièrement rares ou peu accessibles pour l’histoire de la justice.

Nos autres sites : REVUE

Tag(s) : #Coup de coeur du jour, #portrait du jour criminocorpus
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :