Nouveau : Portrait du jour sur la page FB "Culture et justice" - En attendant de publier ce portrait dans la nouvelle version "Culture et Justice" de l'association Criminocorpus, nous mettons en ligne celui de Catherine Grd-Bnt
Encore une très belle journée ensoleillée sur "Culture et Justice" avec l’interview réalisé par notre amie Armèle Malavallon concernant Catherine Giraud-Bonnet.
Catherine Giraud-Bonnet est arrivée à la Brigade des Stupéfiants, 36 quai des Orfèvres à Paris en 1992, comme Inspecteur de Police.
Elle passe quatorze ans , dans ce milieu terrible, celui du monde des dealers et des victimes de la drogue.
Elle est l'une des premières femmes à faire de l'infiltration, une méthode de travail inédite dans les années 90.
Elle est la première femme Directeur du CIFAD (Centre interministériel de formation anti Drogue) en Martinique et y partage son expérience avec les forces de sécurité de l'Amérique Latine et des Caraïbes.
Rentrée en métropole, elle intègre en disponibilité le Groupe IDES, spécialisé dans les domaines de la Sûreté et de la Sécurité et dirige depuis 2014 un cabinet de recherches privées, dédié à la lutte contre la fraude...
Petite, Armèle Malavallon voulait être Dian Fossey ou Simone de Beauvoir. Elle est devenue vétérinaire, a frayé avec les maladies infectieuses et la vaccinologie en Provence, les cochons et les poulets au Vietnam et les chimpanzés au Congo. Entre autres. En 2011, elle écrit deux chapitres du polar interactif Connexions lancé par l’émission de TF1 « Au Field de la Nuit » et publié chez Plon. Elle a participé aux deux dernières saisons de “L’exquise Nouvelle” en 2012 et 2013. Elle vit dans le sud de la France...
Bienvenue Catherine et Armèle sur le très prisé et discret Culture et justice.
L'interwiew
"J'ai rencontré Catherine Giraud-Bonnet il y a un an au Salon du Livre de Vierzon, ville dont elle est originaire. J'avais beau dédicacer mes livres à côté de la comédienne Anny Duperey, pour moi, la star du Salon, c'était définitivement Catherine. Impossible de passer à côté de sa flamboyante chevelure blonde, de son sourire chaleureux et de sa bonne humeur communicative. Venue présenter son ouvrage "Infiltrée, une femme aux stups", elle était heureuse d'être là et ça se voyait. Le public ne s'y est d'ailleurs pas trompé qui s'est arraché tous les exemplaires de son livre en quelques heures à peine.
Difficile d'imaginer que cette femme si gracieuse, si souriante, si pleine de vie, puisse être une ex-flic ayant mené de périlleuses missions d'infiltration dans le dur milieu de la drogue. On était loin de l'image d’Épinal du flic dépressif, alcoolique ou drogué, à l'allure sombre et négligée, si souvent rencontré dans les polars et les films policiers. Et pourtant... Catherine Giraud-Bonnet est bien commandant de police (actuellement en disponibilité). Jeune flic dans les années 90, elle a intégré très vite, à force de travail et de volonté, la brigade des stups, au mythique 36, quai des Orfèvres et elle a été l'une des premières femmes à infiltrer les réseaux de la drogue. Pour remonter les filières françaises, turques ou colombiennes, elle côtoie aussi bien des toxicos et des petits dealers que des narcotrafiquants ou des jet-setters accros. Après un stage de formation "undercover" extrêmement dur, elle parvient à s'imposer dans un univers ultra masculin grâce à sa gouaille explosive et sa capacité d'improvisation exceptionnelle qui lui permettent de déjouer la méfiance des criminels. Devenue une référence dans la lutte contre le trafic de drogue, elle va être appelée à l'étranger pour former les policiers locaux aux techniques d'infiltration les plus pointues. Elle est maintenant à la tête d'un cabinet de recherches privées et raconte son parcours hors-norme dans son livre "Infiltrée" paru aux éditions Nouveau Monde.
Je l'ai retrouvée cet automne avec bonheur au Salon du polar d'Aubigny-sur-Nère et c'est avec un plaisir non dissimulé que je vais la passer à la question."
- Chère Catherine, pour commencer, je vais me permettre de paraphraser ta cousine et de reprendre ainsi l'incipit de ton livre : "Mais qu'est-ce qui t'as pris de vouloir être flic ?" C'était une vocation profonde ? Un rêve de petite fille ?
En fait, j’ai toujours eu besoin d’action, de mouvements ; quand j’étais à la fac, je me voyais juge… Mais quand je me suis rendue compte que je ne sortirais surement jamais d’un cabinet d’instruction avec seule perspective visuelle qu’une montagne de dossiers, je me suis dit que c’était un mauvais choix.
Le voyage intérieur c’est bien mais cela a ses limites…
Je n’ai passé qu’un seul concours celui d’Inspecteur de Police. Cela faisait écho à ma passion pour les polars, les films de flics et les voyages ; en effet adolescente j’étais attirée par les trafics de stupéfiants, passion virtuelle entendons-nous bien ! je me passionnais pour les guerres de l’Opium, la French Connection et autres aventures qui me paraissaient fascinantes et qui correspondaient à la fois à ma soif d’aventure et à mon désir de voyager !
J’ai fait au début des années 90 de multiples voyages dans le triangle d’or, en pleine zone de trafic, un bonheur !
- Dans "Infiltrée", tu nous racontes très bien les débuts de la vie de flic, les tâches ingrates, les affaires peu intéressantes, la routine d'un commissariat de quartier, passage obligé avant d'accéder à des postes plus importants. Tu n'as jamais eu la tentation de renoncer ? L'envie d'atteindre ton but ultime, le 36, a toujours été la plus forte ?
Alors le renoncement, je ne connais pas ; je suis très pugnace, quand j’ai un but je le poursuis jusqu’au bout même si parfois je dois reprendre de l’élan pour sauter les obstacles.
Je voulais absolument entrer à la Brigade des Stups , il n’y avait aucune alternative ! Je voulais voir cette héroïne du Triangle d’Or, cet Opium d’Afghanistan, cette cocaïne colombienne et ce cannabis du Rif ! Les stups c’est lié à la géopolitique, ce qui donne une dimension hors du commun à la lutte contre les trafics.
- Tu décris le manque de moyens dans la police à l'époque, les locaux vétustes, le peu de matériel,.. Est-ce que les choses se sont arrangées avec les nouvelles technologies (téléphones portables, matériel informatique, etc...) ou au contraire se sont-elles dégradées encore plus ?
La Police a suivi l’évolution de la société, mais comme d’habitude (sauf services ultra spécialisés…) les policiers ont vite un wagon de retard, car les budgets ne sont pas extensibles. Les locaux sont souvent à la limite de la ruine, le matériel doit durer malgré l’obsolescence programmée… Alors c’est la débrouille, on a du « matériel perso », c’est-à-dire qu’on achète des menottes plus pratiques par exemple, des kits et des accessoires pour améliorer le quotidien. Moi mes menottes de dotation étaient lourdes et tellement dures à manier qu’à la première utilisation j’ai failli casser le bras d’un type.
Néanmoins, le « 36 » était vieux, hors normes, mais tellement chargé d’histoires, que la perspective d’un immeuble pratique et rutilant n’a pas emballé tous les fonctionnaires lorsqu’il leur a fallu partir de cet endroit magnétique.
- Tu évoques les suicides dans la police, notamment celui de ton compagnon et collègue. Qu'est-ce qui permet de tenir dans ces moments-là ? Comment garde-t-on la foi ?
C’est très difficile de répondre, car justement je n’avais pas la Foi, au sens religieux du terme ; mais j’avais foi en ma mission.
On se raccroche à ses collègues, à ses amis, qui sont parfois les mêmes d’ailleurs ; on cherche la rage de vivre et de ne pas capituler ; on cherche des réponses qui n’arrivent jamais, alors on décide qu’être fort est la seule solution, et on poursuit son chemin, un peu plus cabossée.
- Tu peux nous parler de ton chat Nikita ?
Ce chat a eu toute sa vie une place particulière dans mon cœur où il réside toujours. J’ai toujours eu des chats, depuis que je suis née.
Je me suis fait tatouer au début des années 90 une tête de chat dans le dos ; c’était bien plus osé qu’aujourd’hui et surtout plus rare. Un chat des forêts norvégiennes tout auréolé de sa couronne de poils !
Quelque mois plus tard, mon compagnon m’offrait le chaton idéal, totale réplique du tatouage. Je l’ai appelé Nikita comme l’héroïne du film de Besson, et comme en russe c’est un prénom masculin, j’ai décidé que cela irait très bien à mon petit chat des steppes !
A la mort de Gérald, j’ai continué ma vie avec ce chat, dernier souvenir vivant d’un amour disparu.
- Après avoir intégré le 36, quai des Orfèvres, tu es sur un petit nuage. Tu écris : "Les deux premières années aux Stups sont passées aussi vite qu'un rêve." Pourquoi les Stups et pas un autre service ? Comment savais-tu que c'était exactement ce qui te conviendrait ?
Comme je te le disais précédemment, la matière me fascinait avant même que je ne monte les escaliers du mythique 36.
Même si chaque jour n’était pas rose, j’étais là où j’avais rêvé d’être. Intuitivement, je savais depuis longtemps que j’allais être à ma place.
Découvrir ces stupéfiants qui avaient parcouru des milliers de kilomètres dans des conditions incroyables me comblait. Interpeller des trafiquants sans état d’âme, côtoyer des toxico déprimants ou attachants c’était mon quotidien, et j’ai aimé viscéralement cette vie. Je dis « cette vie », car ce n’était pas « un travail ».
Un travail a des heures de commencement et des heures de fin, où l’on rentre chez soi, sans trop penser à celui-ci. Moi j’étais un peu « habitée », tout tournait autour des planques, des interpellations, des gardes à vue, des enquêtes.
- Lors de tes missions d'infiltration, tu peaufines ton look qui est un élément essentiel de ta mission. Te sentais-tu comme une actrice qui se prépare à endosser un rôle ?
Il y a sûrement des similitudes, mais l’enjeu diffère et surtout, dans le cas que tu évoques, c’est « one shot », il n’y a pas de répétition !
Il faut se créer une légende, la maîtriser, avoir un look en rapport avec les « rencards » du jour, une façon de parler, de se mouvoir… Tout doit être raccord ! La société est composée de strates socio-culturelles qui ne se mélangent pas, si on veut qu’un inconnu nous fasse confiance, il faut lui envoyer des signaux qu’il comprend. Sinon ça ne fonctionne pas ! Donc, oui il y a un côté actrice, un jour les talons hauts et le look sexy et d’autres fois des styles opposés!
- Contrairement aux actrices de cinéma, tes rôles à toi te faisaient courir un réel danger. Tu es l'une des seules femmes à participer à ces missions d'infiltration, ce qui te rend précieuse pour les enquêtes. Le goût de l'adrénaline était-il plus fort que la peur ? Tu as toujours eu ce goût de l'aventure ?
J’aime les émotions fortes, j’aime que mon cœur batte à la chamade.
Mais je n’aime pas la peur. D’ailleurs la seule chose dont j’ai peur c’est d’elle.
Mais j’ai fait des concessions avec elle, car la peur est primordiale, elle te conseille, elle te guide, donc il faut l’apprivoiser comme un petit animal tapi au fond de toi qui t’empêche de faire quelque chose d’insensé et c’est encore elle, mon ennemi de départ qui peut te sauver.
Donc c’est un exercice très personnel, mélange d’adrénaline et de préparation, qui te demande de te surpasser. Tu as un objectif, point. Mais pour l’atteindre tu vas parfois devoir improviser et c’est toujours là que le pépin peut arriver.
- On parle beaucoup des violences policières, mais très peu des violences faites aux membres de la police. Lors des arrestations, des interrogatoires, vous vous faites insulter, humilier, on vous agresse, vous êtes même souvent en danger de mort et cette violence-là est très peu reconnue. Comment expliquer cela et surtout comment faites-vous pour le supporter ?
Il y a des gens (j’en connais malheureusement) qui considèrent que l’on a choisi d’être flic, et que de ce fait on a aussi choisi la maltraitance et la violence qui nous sont faites. D’aucuns pensent même que mourir est un simple risque du métier.
Les blessures sont quotidiennes et peu poursuivies… Pourtant les textes sont clairs : s’attaquer à un policier c’est une circonstance aggravante…
Aux stups, quand on en avait trop marre on faisait quand c’était possible au niveau timing une procédure d’outrage ou de coups et blessures… Qui se révélait sans suite la plupart du temps… Les magistrats ayant d’autres chats à fouetter…
Souvent je suis sidérée par le discours anti Forces de l’ordre de certains français ; je leur conseille une petite expatriation dans un grand nombre de pays que je connais bien et je pense qu’au retour, ils vont nous adorer.
Le droit français encadre chaque millimètre de l’action de la Police, alors passer pour des tortionnaires c’est franchement choquant. Quand on écoute le discours des personnes interpellées, c’est toujours la même rengaine… Elles ont des droit… Elles oublient tous les devoirs… Elles oublient leur transgression systématique des règles de la République.
Mon mari et moi étions amis avec Arnaud BELTRAME, héros de la nation. Quand je vois les polémiques autour de lieux devant porter son nom, je suis catastrophée. Comme s’il n’était le héros que d’une partie de la population… Comme si on ne voulait pas nommer les raisons de sa mort….
- Il apparaît d'ailleurs que certains juges ne semblent pas très enclins à défendre les policiers. La parole du prévenu qui peut inventer n'importe quel mensonge, bien aidé en cela par son avocat, vaut souvent plus que la parole d'un policier. Avez-vous le sentiment que la "machine judiciaire" se retourne bien trop souvent contre vous ?
Il y a parfois chez les magistrats une sorte de snobisme à être méprisant à notre égard. Ils mettent des mois voire des années à disséquer des moments d’interpellation qui n’ont duré que quelques secondes. Eux, ils ont le temps de la réflexion, par contre sur le terrain, les policiers sont confrontés à la vie qui s’égrène en temps réel. Les magistrats nous voient comme la main gantée du pouvoir, eux se drapent dans leur « indépendance », qui semble à leurs yeux conférer un sacré plus.
Quant aux avocats, ils sont tous différents ; certains évidemment préfèrent défendre les voyous, alors qu’on est loin des « damnés de la terre », mais franchement ce qui est fou, c’est que des délinquants notoires puissent s’offrir des as du barreau, quand les lambdas ne le peuvent pas. Ah, l’argent sale ne fait pas peur à tout le monde !
- Et pourtant, malgré tout ce que je viens de décrire, tu ne comptais pas tes heures et tu enchaînais des journées de travail au "bureau" et des soirées voire des nuits entières de surveillance et de filature. C'est un véritable sacerdoce... Ou l'instinct du chasseur jamais rassasié ?
Les deux avec un bémol !
Je n’aime pas le mot sacerdoce car il est lié à la religion ; les flics ne sont pas des fous de dieu. Les policiers auxquels je pense ne sont pas des fonctionnaires, ils sont flics ; leur devoir dépasse beaucoup d’autres notions, comme celles des horaires, des week-end garantis, pour atteindre celle de la mission ; la mission dépasse tout le reste. Un lien quasi charnel avec une profession qui est plus que cela…
Quant à l’instinct du chasseur, mille fois oui ! Quand on a cet instinct, on le garde ! Je l’ai toujours et il me sert chaque jour dans mon travail d’enquêteur privé.
La traque c’est quelque chose d’extraordinaire, mélange d’excitation, de patience, et parfois de coups de génie !
- Peux-tu nous parler du stage undercover ?
Non…
Je peux juste te dire qu’il m’a changée à tout jamais et que je me sers toujours de mes automatismes. Je me programme quand c’est nécessaire ….
- Un peu par dépit, tu te diriges vers la formation. Est-ce que cela a été un déchirement pour toi ?
Certes au début, la formation n’était pas ma tasse de thé, mais j’y ai eu des amis formidables. Et puis grâce à elle, j’ai pu vivre quasiment 6 années basée en Martinique, à sillonner toutes les Caraïbes et les Amériques pour former les services étrangers.
- Dans ce livre, tu racontes avec précision des scènes qui se sont déroulées il y a 20-30 ans. Cela paraît incroyable. Penses-tu que l'adrénaline fixe les choses de façon très précise dans la mémoire ?
J’ai une mémoire d’éléphant, ce qui peut paraitre un plus dans la vie, mais c’est parfois un ennemi ! Pour trouver la paix, il faut parfois mettre sa mémoire en off…
- Comment est venue l'idée d'écrire ce livre ? Comment s'est passé l'écriture ?
Ce livre est l’histoire d’une rencontre avec l’éditeur de « Nouveau Monde », qui se trouvait dans le public à Sciences Po où j’avais été invitée pour animer une conférence sur la clandestinité et Infiltrée est né là, en plein Saint Germain.
Épaulée par ma fidèle Madeleine SULTAN, journaliste et écrivain, Infiltrée a vu le jour moins d’un an après, ce fut un exercice subtil de partage que je n’oublierai jamais.
- As-tu un autre livre en préparation ? Penses-tu t'essayer à la fiction ?
Un autre livre ? C’est ce que me demandent mes lecteurs et même mes amis. J’ai dit non, puis peut être…
Aujourd’hui j’ai beaucoup réfléchi, j’ai envie de me lancer dans un polar, j’ai déjà un squelette dans la tête…
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