NOUVEAU : Un portrait du jour que nous affectionnons beaucoup à Culture et justice ...
Née à Perpignan, chroniqueuse sur France Bleu Roussillon, Hélène Legrais a travaillé à France Inter et à Europe 1, avant de retourner dans sa Catalogne natale pour se consacrer à l’écriture. Elle a été récompensée par le prix Méditerranée Roussillon 2012 pour Les Héros perdus de Gabrielle...
Bienvenue Hélène sur le très discret et prisé Culture et Justice
Crédit photographique de Georges-Patrick Gleize avec son aimable autorisation pour la publication du portrait d'Hélène.
"J’ai toujours été curieuse, avide de découvrir, d’apprendre. A cinq ans, mes parents me surnommaient « l’agence Havas » … sans m’expliquer ce que cela voulait dire. Du coup je me voyais en une sorte d’agent secret ! Et le secret qui m’intriguait le plus, qui m’attirait, me faisait rêver, c’était celui que renfermaient ces petites malles aux trésors qu’on appelait des livres. J’attendais avec impatience d’entrer au CP pour intégrer la cour des grands, des « lecteurs ». Je me revois remonter la rue vers la maison après la première leçon de lecture de Mme Ané, mon institutrice, sur un manuel dont le héros était Mico, l’ours en peluche d’une petite fille prénommée Milène. Je répétais encore et encore, ravie, « m – i, mi » avec la sensation d’entrer, enfin, dans un nouveau monde.
C’était le début d’une grande aventure. Les années suivantes, je dévorais tout ce qui me tombait sous la main, de Pif Gadget à « Pêcheurs d’Islande ». Peu importe si l’ouvrage n’était pas de mon âge et si je n’en comprenais pas toutes les subtilités : je me laissais bercer par la musique des mots et des images naissaient. Dans ses souvenirs d’enfance, Marcel Pagnol raconte qu’il faisait collection de mots, que dès qu’il en entendait un nouveau dont la sonorité lui plaisait, il le notait dans un carnet et qu’il avait un faible particulier pour « manivelle ». Mon mot préféré était « anacoluthe ». Selon le dictionnaire, c’est une rupture dans la construction d’une phrase, une définition plutôt aride, mais cela m’évoquait plutôt le nom d’une fleur, grimpante comme un liseron, et je me voyais fort bien écrire : « j’entrais dans un jardin plein de volubilis et d’anacoluthes ». Car bien sûr, lire me donnait envie d’écrire. Des histoires inspirées des enquêtes du Club des Cinq, « Le mystère de la meule de paille » ou « Le secret de la villa des Oiseaux » que les plus jeunes de mes sœurs – je suis l’ainée de cinq enfants – dévoreront des années plus tard. Passionnée par la Grèce antique et la mythologie, j’imaginais des tragédies sorties tout droit d’Homère. Et en vers s’il vous plaît … enfin, disons en rimes ! Et quand je ne mettais pas en scène des ministres félons, des faux messagers, des reines éplorées et des bergers volant à leur secours, je donnais dans le boulevard, entre portes qui claquent et quiproquos comme je le voyais à la télévision dans « Au théâtre ce soir ». J’embrigadais les copains du quartier pour jouer ces intrigues à rebondissement. J’écrivais tout le temps : des poèmes, des chansons. Et quand je n’écrivais pas, je lisais. Mes professeurs de Français se régalaient en me concoctant des sujets de rédaction, mettant au défi mon imagination … qui n’avait pas de limites ! Une scolarité heureuse – je sais, ce n’est pas « tendance », de nos jours il est d’usage de se revendiquer cancre - où je testais tout ce qui me passait par la tête avec la bénédiction du corps enseignant. Un peu moins celle de mes parents qui ne comprenaient pas d’où leur venait ce drôle d’oiseau. Il faut reconnaître qu’il y avait de quoi être perdu : après avoir obtenu mon Bac C avec mention Très Bien et 20/20 en Physique-Chimie, j’ai tout laissé tomber pour entamer des études d’Histoire, une de mes passions, à l’université de Perpignan avant d’intégrer la 58e promotion de l’Ecole Supérieure
de Journalisme de Lille dont je suis sortie major en 1984. Et là encore, au lieu de rejoindre la TV qui me tendait les bras, j’ai opté pour le service des sports de France Inter, le multiplex de football et le Tour de France sur la moto. Je ne vais pas où on m’attend mais où mon cœur me porte. La notion de « plan de carrière » m’est tout à fait étrangère. Seules comptent la curiosité, l’envie de rencontrer des gens, de découvrir des histoires, de vivre intensément. Et j’ai été servie ! Je raconte mes débuts compliqués dans ce monde misogyne, 100% masculin, qu’était le journalisme sportif à l’époque dans mon nouveau roman, « Nous étions trois », paru début octobre. France Inter puis Europe1. Être reporter c’est aussi écrire. Transmettre. Certes court, en évitant les adverbes, les phrases trop longues, les digressions. Aller à l’essentiel afin que le message passe, c’est le credo de la radio. Parfois un peu frustrant. Mais je savais qu’un jour j’écrirais sur la longueur, avec autant de détails que je le souhaiterais. Un jour …
Ce jour est arrivé en 1994, après la naissance de mon fils. Je me suis retrouvée seule avec lui alors qu’il n’avait que deux mois. Tout ce en quoi je croyais a volé en éclats. Pour ne pas sombrer dans la dépression, il fallait que je trouve un moyen de m’évader de ce quotidien si douloureux. Ce moyen, c’était ma plume. C’est souvent un accident de la vie qui vous pousse à passer à l’acte. Ça devient vital.
Parce que j’avais besoin de sentir la tramontane et les parfums enivrants de la garrigue de mon sud natal, j’ai écrit « La Damoiselle d’Aguilar ». Un roman historique, évidemment. Je n’imaginais même pas qu’il pouvait être publié. Je l’écrivais pour moi. Pour me sauver. Et savoir aussi si j’en était capable. Si, dans l’état où je me trouvais, j’avais encore le cran de relever de nouveaux défis. C’est pourquoi, prenant mon courage à deux mains, j’ai osé demander à Jacques Duquesne qui venait chaque semaine enregistrer une chronique sur Europe1 de lire mon manuscrit. Il m’a encouragé fortement à l’adresser à des éditeurs. J’ai fait une liste et j’ai commencé à l’envoyer par la Poste. J’ai reçu des refus, sept si mes souvenirs sont bons. J’ai passé le cap du comité de lecture de Plon mais le directeur de la collection l’a refusé en dernier recours : une histoire de femme médecin au Moyen Age ne l’intéresse pas, il voulait de l’Egypte antique. Nous étions en pleine période Christian Jacq ! Malgré la déception, j’ai persisté. Je m’étais promis d’envoyer mon manuscrit à tous les éditeurs de ma liste ; si tous le refusaient, alors je n’aurais aucun regret, je garderais le monde issu de mon imagination pour moi. C’est alors que j’ai reçu un coup de téléphone des plus surprenants : il émanait de Gérard Watelet qui dirigeait les éditions Pygmalion … à qui je n’avais pas envoyé mon manuscrit ! Jeannine Balland qui l’avait reçu aux Presses de la Cité et regrettait de ne pas pouvoir le publier car il n’entrait pas dans sa collection, le lui avait apporté en lui assurant qu’il était pour lui. Se faire éditer la première fois quand personne ne vous connaît est un vrai parcours du combattant frustrant, désespérant même, mais il y a parfois de belles histoires. C’est ainsi que je suis devenue auteur publié. Je n’oublierai jamais l’émotion qui m’a submergée quand j’ai tenu dans mes mains un exemplaire de « mon » livre, avec mon nom sur la couverture et mes mots, mes phrases, mes rêves imprimés sur les pages. C’était magique. Un petit miracle.
Ce n’était que le premier d’une longue série, vingt à ce jour, un par an, mais je ne le savais pas encore.
J’avais trouvé ma bonne fée. Après m’avoir ouvert les portes de Pygmalion, Jeannine Balland m’a prise dans l’équipe de « ses » auteurs – et le possessif prend ici, affectueusement, maternellement, tout son sens – aux Presses de la Cité avant de m’emmener avec elle chez Calmann-Levy. Je lui dois énormément. Elle nous a quitté au printemps dernier, pendant le confinement. « Nous étions trois » est le premier de mes romans qu’elle n’aura pas lu. Nous n’étions pas toujours d’accord et j’ai parfois dû batailler pour imposer le sujet que j’avais choisi mais pour finir elle me laissait écrire ce que je voulais, une liberté qui n’a pas de prix.
Pour concocter un roman, j’ai besoin de deux, non trois ingrédients : le soleil catalan sur le Canigou que je vois de mes fenêtres depuis mon retour au pays en 2000 d’abord, rien de mieux pour soutenir mon inspiration, un événement, un métier, un phénomène de société tombé injustement dans les oubliettes de l’Histoire et une intrigue romanesque universelle qui le fait entrer en résonnance avec ce que nous vivons aujourd’hui. J’ai souvent mis en lumière des combats de femmes … parce que personne n’en avait parlé avant. Les transbordeuses d’oranges en grève, les paperetes de JOB, les ouvrières des poupées Bella, les femmes de chambre, les prostituées, les résistantes, les soignantes, les reporters de guerre, les volontaires humanitaires comme Elisabeth Eidenbenz, fondatrice de la maternité suisse d’Elne. Et même les journalistes sportives donc. Tous ces « Territoires » labourés et conquis, pour reprendre le nom de la collection dans laquelle je suis éditée.
Depuis une douzaine d’années je vis, modestement, de ma plume. Directement par la vente de mes livres et indirectement par le biais d’ateliers d’écriture, de conférences ou de projets culturels en milieu scolaire. C’est mon choix, c’est mon luxe.
Je donne aussi des cours de journalisme à l’Université de Perpignan. La transmission, toujours. Et toujours aussi passionnée !"
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