L’organisation collective des prisonniers politiques pendant la Seconde Guerre est-elle de nature résistante ou consiste t-elle en une simple subversion des règles imposées par le système prison ? Si on reprend la définition de François Bédarida, la Résistance est « l’action clandestine menée au nom de la liberté de la nation et de la dignité humaine par des personnes volontaires, s’organisant pour lutter contre la domination de leur pays par un régime nazi ou fasciste ou allié ». Il dénonce la perte de clarté et de rigueur du concept, au fur et à mesure que l’on étend son champ d’application en y intégrant toutes les conduites d’insoumission et d’entraide1. L’approche de la Résistance comme une histoire sociale2 permet d’inclure ces conduites d’aide et de services rendus dans le champ résistant. Cependant, les règles d’appréciation ne peuvent être les mêmes à l’extérieur que dans le cadre de la prison où le résistant est directement sous surveillance. En prison, le règlement commun pour tous implique une riposte commune. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les formes d’action des prisonniers politiques s’apparentent-elles, à une réaction classique de la communauté carcérale3, ou sont-elles le prolongement de l’engagement résistant dans la lignée du combat commencé à l’extérieur ? Quelle est la part du matériel, du symbolique et du politique dans les revendications ? Les exemples sont pris parmi de nombreuses prisons, même si l’analyse monographique permet d’approfondir l’analyse. Nous disposons de sources très riches concernant la centrale d’Eysses en 1943-1944 qui apparaît comme un modèle perfectionné d’organisation. Le fait que convergent dans cette centrale l’ensemble des condamnés politiques de zone sud, puis, des flux de prisonniers venus de maisons d’arrêt du nord, renforce l’intérêt de la centrale d’Eysses et atténue considérablement l’effet de singularité de l’objet d’étude. La comparaison avec des organisations mises en place dans les prisons de femmes (la Roquette, la centrale de Rennes) permet d’introduire une lecture sexuée du politique et d’examiner si les femmes qui ont rarement à l’extérieur des rôles dirigeants dans la Résistance mettent à profit la prison – lieu entièrement féminin – comme espace d’émancipation. L’ensemble permet d’esquisser une synthèse des formes de résistance dans les prisons françaises entre 1940 et 1944...
Corinne Jaladieu est agrégée et docteure en histoire, professeur en hypokhâgne et khâgne au lycée Daudet de Nîmes et au lycée Joffre de Montpellier. Ses travaux de recherche portent sur la prison politique sous Vichy. Elle est l’auteure de La prison politique sous Vichy. L’exemple des centrales d’Eysses et de Rennes, Paris, L’Harmattan, 2007.