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Réactualisation portrait du jour de Véronique Fau-Vincenti du 21 février 2019.
Conformément à la politique éditoriale élaborée le 21 octobre 2020, nous republions les portraits du jour criminocorpus sur la page Culture et justice
Véronique Fau-Vincenti docteure en histoire. Elle travaille notamment sur l’histoire de la psychiatrie médico-légale et sur l’imprégnation sociétale de l’aliénisme.
Bienvenue Frédérique sur la page Culture et justice.
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"Actuellement responsable des collections dans un musée où l’histoire du mouvement ouvrier et social est à l’honneur, ma relation à l’histoire a été tant abreuvée de révolte que teintée de sentimentalisme. Et il suffit parfois de se remémorer quelques lointains souvenirs pour saisir d’où peut provenir le goût de l’histoire. Pour ma part, du plus loin qu’il me souvienne, ce sont celles et ceux passés inaperçus qui ont éveillé ma curiosité. Est-ce un jour d’avoir monté, enfant, l’escalier en pas de vis de Notre-Dame de Paris ? Étonnée de gravir des marches incurvées, j’avais demandé pourquoi la pierre était lustrée et cambrée. On m’expliqua que des milliers et des milliers de personnes avaient, bien avant nous et pendant des siècles, empruntées ces mêmes marches au point d’éroder la pierre. Et de m’imaginer, en rêveuse contemplative, ces personnes qui, une à une et collectivement à la fois, avaient contribué à rendre ces marches courbes, chacun mettant ses pas dans les pas de l’autre, ignorant de ceux passés comme de ceux à venir. Au même âge, les régulières visites dominicales faites à un homme âgé, vêtu d’un pyjama, qui sortait d’un bâtiment pour fumer dans un grand jardin près de chez nous, à Neuilly-sur-Marne, m’avaient impressionnée. D’autres comme lui se tenaient sur des bancs avec leurs visiteurs, les yeux dans le vide et parfois quelques uns maugréaient ou déclamaient. Visites dont on m’avait intimé l’interdiction formelle de ne parler à quiconque et qui suscitèrent bien des questionnements d’enfant une fois qu’on lui eût dit que l’homme était son grand-père et qui, plus tard, comprit que l’hôpital était psychiatrique.
Vinrent ensuite les cours d’histoire au collège et un enseignant passionné qui me faisait découvrir – enfin ! - qui avaient pu être les hommes et les femmes qui avaient creusé de leurs pas les marches des cathédrales de France et de Navarre alors qu’un professeur de français et de grec me fit découvrir à 15 ans la galaxie de la révolte en littérature. Mes lectures m’ont alors rapidement ouvertes les portes du militantisme politique et salariée après mon bac, j’ai pu m’inscrire à Paris VII, une des seules universités qui proposait des enseignements du soir dont celui de Gérard Noiriel consacré à l’histoire du mouvement ouvrier. J’ai pu également profiter des enseignements de Pierre-Vidal Naquet, de Françoise Bock, de Pierre Brocheux et de Michelle Perrot dont je lisais avec avidité (c’est toujours le cas) les travaux dès leur parution. Toutes ses recherches me passionnaient et donnaient corps et épaisseur à mes préoccupations : histoire du mouvement ouvrier dont je me sentais redevable, histoire des femmes dont j’étais témoin et actrice et histoire des en-dehors dont je me sentais solidaire. Découverte alors de Michel Foucault, de son Histoire de la folie pour un objet qui me fascinait viscéralement et lecture marquante de l’essai de Victor Brombert dédié à la prison romantique. Et c’est au hasard d’une lecture que je rencontrais le terme « aliéné criminel » et le concept d’« aliéné difficile ». Le sujet n’ayant pas été traité, je le proposais pour un mémoire de maîtrise à Michelle Perrot qui l’accepta et me sollicita ainsi que d’autres étudiant.e.s afin de participer au séminaire qu’elle animait avec Robert Badinter à l’EHESS. Alors particulièrement timide et en retrait, j’ai côtoyé nombre de jeunes ou de futurs historien.ne.s qui, pour la plupart, ne se rappellent pas m’y avoir vue tant mon effacement confinait à l’invisibilité.
Puis, inscrite en doctorat, je n’ai pu donner libre cours à ma recherche tant pour des raisons matérielles que logistiques. Embauchée alors au musée de l’Histoire vivante, je me suis en revanche plongée avec émerveillement dans des fonds d’archives, de gravures, d’objets divers ou de manuscrits qui me permettaient de côtoyer à pleine main les mânes de figures anonymes ou célébrées, avec une mention spéciale pour Louise Michel et certains de ses manuscrits inaboutis ou inédits. L’occasion aussi de me joindre aux recherches initiées dès 1995 par Xavière Gauthier mais aussi de m’investir durant plusieurs années comme secrétaire dans le projet ambitieux, et si bien réussi, mené par Christine Bard à la création d’Archives du féminisme en 2000.
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Cependant, bien que gérant pour partie les collections du musée de l’histoire vivante et en m’inscrivant régulièrement commissaire d’exposition, l’idée de retravailler sur les « aliénés difficiles » ne m’avait pas quittée tout à fait d’autant que personne ne s’y était réattelé. Et c’est à la faveur d’échanges avec Marc Renneville que l’idée est devenue un projet qui a pris forme. Et grâce au soutien des membres actifs de Criminocorpus, j’ai pu de 2012 à 2015 me consacrer aux aliénés difficiles internés de 1910 à 1960 à Villejuif, le tout munie de l’autorisation du médecin-chef de l’UMD Henri-Colin et dotée d’une allocation doctorale de la région Ile-de-France.
La parution du Bagne des fous - occasion de ce portrait - est ainsi une version remaniée de ma thèse tardive à la soutenance de laquelle Michelle Perrot m’a fait l’honneur et le plaisir d’assister. De retour en poste au Musée de l’histoire vivante en 2016, j’ai retrouvé ses collections diverses et variées qui m’ont valu, au fil des ans, de nouer des relations amicales avec nombre de chercheur.e.s et d’historien.ne.s que je remercie de leur amitié.
Pour autant, Le Bagne des fous n’est pas une fin et deux projets m’animent pour 2019 et 2020 : tout d’abord la publication aux éditions de l’Atelier d’un manuscrit inédit d’un insurgé de juin 1848 transporté en Algérie puis en Guyane. Et à suivre je l’espère, un essai qui est pour l’heure une esquisse plus personnelle dédiée Au prime de l’aliénisme et à sa lumière réfractée sur la société française du 19e siècle."
Louise Michel, Le livre du bagne, précédé de Lueurs dans l'ombre, plus d'idiots, plus de fous et du Livre d'Hermann Édition établie, présentée et annotée par Véronique Fau-Vincenti
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Louise Michel entreprit la rédaction du Livre du bagne en 1872. Elle venait alors d'être transportée de la prison des Chantiers de Versailles à la centrale d'Auberive, en Haute-Marne. En 1877, déportée depuis trois ans en Nouvelle-Calédonie, elle reprit son récit. Après son retour en métropole en 1880, elle laissa de côté l'ouvrage, puis confrontée à de nouvelles prisons, elle ajouta une troisième partie depuis la maison centrale de Clermont en 1884.
Regroupé avec les textes Lueurs dans l'ombre, plus d'idiots, plus de fous, datés de 1861, et Le Livre d'Hermann, écrit vraisemblablement avant la Commune, ce corpus qui mêle nouvelles et essais se réfère à l'appréhension de l'enfermement asilaire ou carcéral. Louise Michel s'interroge à propos de la folie et de la criminalité : Que faire pour le fou ? Que faire du criminel ? Existe-t-il, au-delà de la communauté de sort, une parenté entre ces deux états, si ce n'est la privation de liberté qu'ils induisent ? Enfermer les fous, est-ce pour les soigner ou les reléguer ? Incarcérer les criminels, est-ce pour les amender ou les punir ?
Écrits à quelques années d'intervalles, Le Livre du bagne et Lueurs dans l'ombre, plus d'idiots, plus de fous se font écho et reflètent les débats qui animent les dernières décennies du XIXe siècle. Œuvre de jeunesse pour Le Livre d'Hermann ou œuvre de maturité pour Le Livre du bagne, ces textes révèlent l'intérêt que Louise Michel portait « à la grande famille indéfinie et confuse des anormaux » (Michel Foucault). Elle ne fait pas qu'effleurer les débats, elle pose la question, au travers de ses nouvelles, des origines et de la parenté éventuelle entre crime et folie. Elle examine en dernier ressort les conduites à adopter et les remèdes à apporter afin « d'éveiller l'intelligence » des fous et des idiots. Ces textes inédits jusqu'alors nous permettront de découvrir une Louise Michel partagée entre ferveur religieuse et positivisme assidu.
Articles
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« Corps en guerre, raison désaxée : anatomie et représentations artistiques des pithiatiques de Guerre », in Expériences de la folie - criminels, soldats, patients en psychiatrie, éd. PUR.
Pour qui visite aujourd’hui le musée des armées de l’hôpital militaire du Val de grâce éprouve un choc violent à voir les photos et les cires des « Gueules cassées » de la Guerre de 14-18. […] A quelques mètres de là, une autre vitrine sollicite l’attention : des statuettes d’hommes nus, certains soutenus par des béquilles, d’autres courbés vers l’avant ou penchés sur le coté… non pas des hommes amputés ou aux plaies apparentes, juste des corps à l’intégrité physique pleine et entière mais pliés et figés dans des postures biscornues. […] Ces blessés sans blessures, ces éclopés sans écorchures […] retrouvés ensevelis après le combat, terrorisés par les éclatements d’obus, figés dans une posture dont ils se retrouvaient prisonniers, le tout sans que soient décelées, y compris par la radiologie des lésions concrètes. […] que médecins, psychiatres et premiers neurologies ont tenté de « redresser » pour qu’ils renouent avec leur stature d’homme quitte à ne pas les ménager. Car ces corps ou membres désaxés dérangent en renvoyant à la perspective de corps possédés par la peur qui aurait triomphé du courage patriotique… et ces hommes réchappés de l’enfer se retrouvent ainsi placés au « purgatoire » hospitalier que constitue l’asile psychiatrique. Un guerrier se doit d’être dressé face à l’ennemi. […]. Là où les blessés mortifiés - ainsi des gueules cassées qui laissent supposer une ardeur au combat pour s’en être pris « plein la gueule », là où les amputés ont offert une part d’eux-mêmes - les plicaturés s’apparentent à des handicapés purement « suggestionnés », dont les postures d’éreintement balayent l’image d’un combattant valeureux, viril, courageux, à la droiture morale et physique.
* « Vers les UMD, questionnements, tâtonnement et mise en œuvre », in Expériences de la folie - criminels, soldats, patients en psychiatrie, éd. PUR.
Sous l’impulsion de la médecine hygiéniste – en germe dès la création de la Société Royale de médecine en 1774 - les médecins estiment que leur travail ne finit pas aux portes des hôpitaux et que la médecine n’a pas seulement pour objet d’étudier et de guérir. Pour reprendre Cabanis, le médecin est tant « le surveillant de la morale » que tant « de la santé publique ». Et dès le au moment où la réclusion s’impose, les médecins vont être invités à participer aux réformes pénitentiaires qui entendent rendre la prison conforme aux mœurs d’une nation policée. […]
Extraire les détenus aliénés du milieu carcéral est une idée partagée tant par les médecins qui souhaitent les protéger et soigner que par l’administration pénitentiaire confrontée à la difficulté à gérer ces prisonniers. A l’identique, les aliénistes préconisent de séparer les aliénés ordinaires de ceux ayant commis des actes criminels dont la présence « et l’attitude » est à même de générer des conflits et de fragiliser le tissu asilaire.
* Véronique Fau-Vincenti, « Aliénés et rebelles : Quérulence et protestation en milieu asilaire (1910-1959) », Criminocorpus [En ligne], Les rebelles face à la justice, Article mis en ligne le 06 octobre 2014.
http://journals.openedition.org/criminocorpus/2832
* Véronique Fau-Vincenti, « Valeur du travail à la 3e section de l’hôpital de Villejuif : entre thérapie et instrument disciplinaire », Criminocorpus [En ligne], Savoirs, politiques et pratiques de l'exécution des peines en France au XXe siècle, Communication mise en ligne le 12 septembre 2014.
http://journals.openedition.org/criminocorpus/2788
* « De morbo democratico : la maladie démocratique, les aliénistes et la Révolution de 1848 ». Le Monde diplomatique.
https://www.monde-diplomatique.fr/2010/09/FAU_VINCENTI/19665
Quelques expositions
* 1848 et l’espoir d’une république universelle démocratique et sociale
* Ouvrier-patron/Patron-Ouvrier
http://www.museehistoirevivante.fr/expositions/anciennes-expositions/ouvrier-patron
* La parole captive : la détention politique en France
* Les exclu(e)s du suffrage universel
* Napoléon, Aigle ou Ogre ?
http://www.museehistoirevivante.fr/expositions/anciennes-expositions/napoleon-aigle-ou-ogre
* Prénom : Louise – nom : Michel
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A propos du site : Musée - Histoire de la justice, des crimes et des peines | Criminocorpus propose le premier musée nativement numérique dédié à l’histoire de la justice, des crimes et des peines. Ce musée produit ou accueille des expositions thématiques et des visites de lieux de justice. Ses collections rassemblent une sélection de documents et d’objets constituant des sources particulièrement rares ou peu accessibles pour l’histoire de la justice."
Relecture et mise en page Ph.P et S.P.
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Biographie, bibliographie, lecteurs et citations de Véronique Fau-Vincenti. Véronique Fau-Vincenti est docteure en histoire. Responsable des collections au Musée de l'Histoire ..
https://www.babelio.com/auteur/Veronique-Fau-Vincenti/519732
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Politique éditoriale de la page "Culture et Justice" - Le blog de Philippe Poisson
Le carnet de recherche de Criminocorpus a été créé en 2008 sur la plateforme Hypotheses avec l'objectif de couvrir l'actualité de la recherche en histoire de la justice. Il s'est progressiveme...
https://portrait-culture-justice.com/2020/10/politique-editoriale-de-la-page-culture-er-justice.html