Réactualisation du portrait du jour de
Culture et justice développe la rubrique Portrait du jour, ouvre ses pages aux fidèles lecteurs de la page et reçoit avec infiniment de plaisir
Romancier, parfois poète...
Bienvenue sur le très prisé et discret Culture et justice.
D'où vient votre envie d'écrire ?
Écrire, écrire, je le dis souvent, un besoin, une nécessité... Depuis l'enfance, j'ai aussi tellement lu... J’avais sept ans et demi lorsque tout a commencé... Pas sûr, toutefois, que la lecture m'ait à elle seule inoculé le virus de l'écriture. Sans doute, il y eut aussi l'attrait pour ces signes que l’on m'a tout d'abord appris à tracer sur le papier : les lettres ; des signes auxquels on a donné un sens, qu'on m'a appris à prononcer, à comprendre, puis à agencer pour former des mots, des groupes de mots, puis des phrases entières ? Quel miracle que de découvrir un jour ce premier : « Je suis. » C'est à dire : « J'existe ». Quel miracle, ensuite, que de pouvoir se dire : « Et pourquoi pas moi ? » Tout ça, cet éveil à la lecture, à l'écriture, en un temps si limité, qui conduisit l'enfant que j'étais à écrire son premier poème. Ce premier poème, oui ! Toute une histoire, en fait, que je n’ai pas le temps de raconter ici. Mais qui m’a bien fait rire, il y a de ça quelques mois. Elle sera dans ce bouquin que je suis en train d’écrire, qu’un éditeur acceptera peut-être, où je dis comment, au fil du temps, l’enfant nu que j’étais, devenu grand, est arrivé, maladroit, à se glisser dans son habit d’écrivain. Quelle volonté, quand j’y pense. Rien à voir avec celle de ces gens qui se lancent en écriture la retraite venue, histoire de passer le temps. Rien de comparable, ça non…
Et, tout d'abord, si vous vous présentiez ?
Se présenter, c’est parler de soi. Et ce n’est pas toujours évident... Alors, voilà ! Je suis né en 1944. Un 2 juillet. A Montgeron, dans l'Essonne. A l'époque, c'était la Seine et Oise. Ce jour-là, paraît-il qu'il pleuvait. Dois-je à cette pluie mon côté parfois chagrin ? Possible. Mes premiers souvenirs sont de l’été 47, sur la côte normande – le bruit de la mer et son va-et-vient m’agressent –, mais pour singulier que ce soit, mes joies d’enfant, je les dois à la maladie. Une primo infection tuberculeuse me cloue au lit pendant des mois. C'est à ce moment que je découvre la lecture ; nous sommes en 1952. Et puis... Et puis il y a ce long séjour à Chamonix, au préventorium des Soldanelles, et là, c’est l’émerveillement… Pendant mes études secondaires, je suis gâté. J’ai tout d’abord, pour professeur de français/latin, l'écrivain Jean Markale, spécialiste de la littérature celtique ; puis René Khawam, orientaliste renommé ; et, en terminales, première et philo, Roger Vrigny, prix Femina, pour La Nuit de Mougins, puis Grand Prix de l’Académie française, qui me fait rencontrer Jacques Brenner, alors éditeur chez Julliard, ensuite chez Grasset. L'un et l'autre m’encouragent à poursuivre mes débuts littéraires. Parce que je leur ai déjà fait lire quelques-uns de mes textes. En 1977, Roger Vrigny, devenu directeur littéraire chez Calmann Lévy, publie mon premier roman : Holçarté. En 1981, chez Hachette, sortent les Contes du Pays Basque, un ouvrage destiné aux adolescents et, en 1994, au Livre de Poche Jeunesse, 3 contes du Pays Basque… Entre temps, le droit, puis l'Administration des Finances que je quitte assez rapidement. Un univers qui n'était pas pour moi. Enfin, bref… Aujourd'hui, je partage mon temps entre l'Ile de France et la Bretagne, bien que mon cœur soit resté là-bas, dans cette vallée, ce temple au pied du Mont-Blanc, qui, voici plus de soixante-cinq ans, m’a rendu la joie de vivre. Nostalgie d’un paradis perdu, malgré le sentiment d’abandon qui m’a blessé au plus profond, lorsque je me suis retrouvé seul, là-bas, sans mère ni père, et ne m’a jamais quitté depuis ? Oui, sans doute... Dur à vivre pour soi et pour les autres… Aujourd’hui, je ne me consacre plus qu'à l'écriture. Ecrire, ce besoin que j’assume toujours avec autant de joie. Si je devais ne plus pouvoir écrire, je ne sais pas ce que je deviendrais.
Pourquoi écrire des romans ?
Et pourquoi pas ? J'écris également des nouvelles. De la poésie aussi, cela va sans dire : c'est par là que j'ai commencé. J'ai d’ailleurs publié un recueil de poésie : Nostalgie 89. Il est paru aux Editions du Cygne, en 2019. En France, la poésie est mal accueillie. Comme la nouvelle. Le théâtre m'a toujours également intéressé : c'est la lecture en trois dimensions. L'un de mes ouvrages, Une Poupée dans un fauteuil, paru chez Orizons, en 2008, met en scène un dramaturge qui décide de monter lui-même sur les planches. Son action se déroule devant une salle pleine, où l'acteur, dans un long monologue, interpelle parfois les spectateurs. Il y est question des derniers mois de ma mère. Le livre auquel je tiens le plus, certainement, avec un autre, sorti en 2020, chez Ramsay : Tête de paille. Deux ouvrages qui me sont très proches, comme c'est le cas de L'Enfant des Soldanelles, sorti en 2019, aux Presses de la Cité. Pour moi, le roman est ce qu'il y a de plus naturel dans la pensée. On se raconte des histoires. Sans arrêt. Que fait-on d'autre lorsque, tout seul, on soliloque dans notre coin ? On s'invente un monde. Un monde plus ou moins proche de notre vie présente, qui met en lien le passé et le futur. Un roman, ce n'est rien d'autre qu'une rue, une place de village, une pièce avec ou sans fenêtre, un lieu quelconque que traversent des personnages. Un monde où chacun se reconnaîtrait s'il n'y mettait ses propres limites. C'est d'ailleurs ce qui fait tout l'attrait, tout l'intérêt du roman. Donc, oui, j'écris des romans. J'ajouterai que le roman, dans la durée, me permet de vivre avec des personnages que je ne rencontrerais sans doute jamais. Il m'arrive d'avoir la larme à l'œil, lorsque je suis obligé de les quitter...
L'écriture vous sert-elle de résilience ?
Ce que je sais, c'est que j'ai besoin d'elle. Indispensable à mon existence, au même titre que l'oxygène. Sans elle, ce serait l'asphyxie. Grâce à l'écriture, j'ai su affronter des épreuves, j'ai su rebondir. Les épreuves, souvent, je les ai tenues à distance. J'ai refusé de les affronter. Je les ai mises de côté. Alors, bien sûr, toutes ont fini par me rattraper. Comme ce non-amour avec mon père, que l'on retrouve, inversé, dans Et le ciel se refuse à pleurer..., sorti en 2018, aux Presses de la Cité, et, certainement, dans cet autre roman, Gailland, père et fils, publié chez le même éditeur en 2021. Je vous parlerai encore de ce non-amour que je traine avec moi, comme une casserole, depuis des temps infinis, avec mon plus jeune frère, handicapé mental, mort en 1984. Je lui dois un récit, à lui seul une histoire : ce Tête de paille dont j’ai déjà parlé. Il faut s'accrocher pour vivre, pour tenter d'être heureux et, parfois, y parvenir. Sans oublier les autres, nos proches, car eux aussi ont droit à leur part de bonheur. Il faut savoir prendre sur soi et, cette part, la leur préserver. J’ai parfois du mal. Oui, l'écriture peut être salvatrice. J’en veux pour dernier exemple, encore une fois, L'Enfant des Soldanelles. Un ouvrage qu'il me fallait écrire à tout prix. Dont l'écriture m'a rendu malade. Malgré cette félicité folle, éprouvée au plus profond de moi, j'imagine, comme une mère sent croître en elle son enfant. Encore une chose, tenez, qui n’est pas sans importance : souvent, ou toujours, le point de départ d’un roman, c’est une réalité, un vécu, une souffrance, rarement, voire jamais, un accès soudain de bonheur ; et puis là-dessus, peu à peu, tout naturellement, se greffe la fiction, une enquête souvent, et la trame du roman, alors, se fabrique d’elle-même ; j’ai l’impression de n’y être pour rien ; un autre monde m’emporte, auquel je n’oppose aucune résistance, où je me sens bien, que je découvre. C’est
ce que je tente d’exprimer d’une autre manière dans mon dernier roman, Juste avant l’Espérance, que publient les Editions Christine Bonneton. Il y a la mort, ou la nuit, c’est comme on veut, ce qu’elles avouent, une fois tombées, nous avoir caché la vie ou le jour durant, puis ce qu’elles nous dévoilent ensuite, si du moins l’on s’intéresse à elles ; et alors, après la nuit, la mort, apparaît l’espérance, cette espérance qui nous fait vivre, ce lever de soleil en bord de mer ; cette espérance qui, quoi qu’on fasse, nous conduira nous aussi jusqu’au dernier soupir, avec l’idée d’avoir nous aussi accompli quelque chose de bien, ou de pas assez, ou de nouveau, de secret en tout cas, que l’on n’aura pas dit ou que l’on n’aura pas su dire ; ce quelque chose que les autres après nous, nos survivants, nos miraculés de la vie, auront à découvrir à leur tour, dans leur autre monde, et ainsi de suite ; j’allais écrire : jusqu’à la fin des temps… L’espérance, je crois, c’est ce qui est toujours là, devant nous, dont on ne distingue pas vraiment la silhouette, mais qui nous attire et nous permet de vivre.
Vos influences littéraires ? Vos auteurs de références ?
J'ai d'abord écrit de la poésie, puis des nouvelles. Le premier texte que j'ai soumis à mon professeur, Roger Vrigny, s’intitulait : La comtesse d'Hyvermanth. Par la suite, lorsqu'il m'en a parlé, il m'a dit que l'idée était très bonne mais que tous les défauts du romantisme s'y retrouvaient, réunis dans un condensé difficilement supportable. Je n'ai rien compris, il m'a tout expliqué. Ça le faisait sourire. De lui, je venais de lire La Nuit de Mougins, le prix Femina d'alors. Par la suite, j'ai tenté le polar. J’aimais bien. Charles Exbrayat a été intéressé un moment. Il a même tenu à présenter l'un de mes manuscrits à un prix, je ne sais plus lequel. Que je n'ai pas eu, naturellement. Longtemps, je suis resté en relations avec les éditions du Masque. Et puis, il y a eu Holçarté, chez Calmann-Lévy. C'était en 1977, à ce moment, on ne parlait pas de littérature de Terroir… Je n’en veux pas aux libraires. Après tout, l’idée de mettre un peu d’ordre dans leur rayonnage n’était pas si sotte. Mais c’était ouvrir la porte à l’entre soi germanopratin qui n’a pas tardé à promouvoir sa littérature – la soi-disant bonne, la blanche –, le reste, tout le reste n’étant plus que sous-littérature, comme c’était déjà le cas du polar, cette littérature de hall de gare. Ils oubliaient, les libraires en tête, que la veille encore, ils encensaient les Giono, Pagnol, Mauriac, Queffelec, je parle du père bien sûr, Genevoix, Chabrol, Carrière, Moustiers, Michelet, je vous en citerais cent autres, tous à l’immense talent et loin de la dégénérescence actuelle. A ce Terroir dévalué dois-je ajouter Balzac, Sand, Flaubert, Maupassant ou Proust, ce dernier bien souvent dans sa cambrousse, qui ne l’a pas remarqué, ou au bord de la mer ? Bien sûr, tous ces auteurs je les ai lus et je m’en flatte. Et combien d'autres encore éloignés ou non de la terre ? Je pense notamment aux auteurs des éditions de Minuit : Pinget, Robbe-Grillet, Becket, Duras, Echenoz, Rouaud qui ont fait et font toujours mes délices… Oui, oui, des bons, des écrivains véritables, il en existe encore même si l’on parle rarement d’eux. Parmi mes classiques, je ne peux pas ne pas citer Marguerite Yourcenar, et à nouveau Roger Vrigny, et Le Clezio, et Hervé Guibert. Et Simenon. Et un dernier encore, cerise sur le gâteau : Pierre Silvain. Quelle plume ! Voilà, je crois que tous m'ont influencé ou m’influencent Que chacun, par son univers, a façonné ou façonne l'écrivain – romancier, poète – que je tente d'être un peu plus chaque jour.
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