Les rayures semblent nous venir d’Amérique. Ce serait, vers 1760 dans les colonies pénitentiaires du Nouveau Monde que serait apparu ce costume pour la première fois. La France utilise quant à elle la symbolique des couleurs. En effet, les costumes bagnards, et non pas ceux des établissements « classiques », affichaient du rouge, du vert, du jaune, entre autres.
« Il suffisait de regarder chaque forçat pour savoir à quelle catégorie il appartenait. S’il est vrai qu’ils portaient tous une casaque rouge garance en mouï (c’est une étoffe de laine grossière qui tire son nom de la ville de l’Oise où elle est tissée).1 Et un pantalon jaune, les « premières classes » se distinguées par un collet de même couleur. Les « récidivistes » avaient une des deux manches en mouï jaune ou rouge et les « indociles » avaient les deux manches de couleur différente. Ce costume leur avait valu à Rochefort le surnom d’Arlequin. L’amiral Julien de la Gravière, lors de son passage à Rochefort, mis fin à cette mascarade.
Ils portaient également un bonnet, mais de couleur différente, selon les cas. Celui des forçats de « première classe » était généralement violet. Ceux qui n’avaient plus que quelques mois à faire en portaient un brun. Les bonnets verts étaient réservés aux condamnés à perpétuité. Les autres forçats portaient des bonnets rouges. « A Toulon, nous dit Maurice Alhoy, dans son ouvrage « Les bagnes » (1848), on encadre le bonnet des indisciplinés d’une bande de drap jaune, qu’on désigne sous le nom poétique et oriental de turban ». C’est sur ce bonnet qu’était fixée la plaque d’immatriculation du forçat. La forme de ce bonnet posa quelques problèmes en 1793, lorsqu’on s’aperçut qu’il ressemblait singulièrement au bonnet phrygien adopté par les révolutionnaires.2 On interdit donc aux forçats de le porter, mais cette interdiction ne fut suivie en réalité d’aucun effet. Les forçats avaient grand besoin de leur bonnet pour se préserver des intempéries ».3
Seuls les bagnes coloniaux de Guyane ont vu ses « pensionnaires » revêtus du costume rayé.
Michel PASTOUREAU explique la spécificité du costume rayé pour les prisonniers à travers une analyse étymologique. En français, le verbe « rayer » offre plusieurs sens. Rayer, c’est retrancher, supprimer, éliminer. C’est aussi corriger, d’où notamment le nom de « maison de correction ». C’est enfin barrer, avec une allusion forte à l’utilisation des barreaux dans les prisons. Si l’on compare avec la langue allemande, on constate que le verbe « streifen » qui signifie rayer, se rapproche beaucoup du verbe « strafen », c'est-à-dire punir. La langue anglaise, pour sa part, comporte les verbes suivants : « to strip » ou dévêtir, priver ; « to strike off » ou biffer, barrer, exclure d’une liste. En langue latine, enfin, le verbe « stringere » veut dire serrer, rayer, priver et le verbe « constringere » se traduit par emprisonner. Tous ces verbes ci-dessus énumérés ont une racine commune « stri ». A confronter toutes ces langues et le sens qu’elles donnent tour à tour au mot rayer, on peut en déduire que, globalement : rayer c’est exclure.
De nombreux individus, réels ou imaginaires, ont été dotés, dans l’Occident médiéval, de vêtements rayés, par la société, la littérature ou l’iconographie : ce sont les exclus et les réprouvés, le juif et l’hérétique, le bouffon et le jongleur, le lépreux, le bourreau, la prostituée, le chevalier félon, l’insensé, le personnage de Judas. La rayure vestimentaire affiche alors un caractère dévalorisant, péjoratif ou nettement diabolique. La rayure casse, en quelque sorte, l’uniformité traditionnelle des étoffes, dont sont tirés les vêtements des gens « normaux ».
Le costume rayé est tout d’abord imposé en France aux aliénés qui remplissent les asiles. Ces malheureux étaient exclus sans être soignés – de la société qui représentait la norme…
Pour en savoir plus :
Jean Pierre DELMAS SAINT HILAIRE, « les vêtements du détenu », RSC,Chronique pénitentiaire, avril-juin 1980, page 471.
François BOUILLANT, « La prison sans fin. Droguets / Bures / Cilices / A propos de la tenue pénale », Revue Actes, juin 1982.
Jacques GOMBERT, La vie quotidienne dans les bagnes et les prisons françaises au XIXe siècle, mémoire, 13e promotion de sous-directeurs, Ministère de la Justice, E.N.A.P., octobre 1985.
Emmanuelle JULLIEN, Costume pénal ou vêtements personnels : quel équilibre entre intérêt des détenus et missions de l’Administration pénitentiaire ? Mémoire de directrice stagiaire, 29e promotion, Ministère de la Justice, E.N.A.P., 2000.
Jean Pierre FOURNIER, La vie des forçats de Saint-Martin-de-Ré à la Guyane, Editions les Créations du Pélican.
Julien MOULARD, « La tenue et ses effets. Etude du statut de l’uniforme dans l’Administration Pénitentiaire », 25e promotion d’élèves-directeurs, 1992.
Michel PASTOUREAU, « L’étoffe du diable. Une histoire des rayures et des tissus rayés », La Librairie du XXe siècle, Seuil, 1991.
Philippe POISSON – Formateur des Personnels
Ecole Nationale d’Administration Pénitentiaire
Le 06 janvier 2006
1 Il s’agit de la ville de Mouy.
2 Bagnards et bonnet phrygien. Histoire et éducation civique au service historique, dossier interne Philippe POISSON diffusé le 4 janvier 2004.
3 J. GOMBERT, La vie quotidienne dans les bagnes et les prisons françaises au XIXe siècle, mémoire, 13 ème promotion de sous-directeurs, Ministère de la Justice, E.N.A.P., octobre 1985.
À gauche : Tatouages. Roux. face. Entre 1906 et 1910. À droite : Tatouages. face II. Entre 1906 et 1910. « Les fouilles que l’on opère à bord de La Loire sont des prétextes à exhibition de tatouages inédits, qui abondent sur la poitrine de ces anciens pensionnaires de nos prisons centrales. La plupart des condamnés portent, en effet, des dessins tatoués sur les mains, les bras, la poitrine, le dos, l’abdomen le ventre et même la face. Cette coutume, en honneur chez les races inférieures, dénote chez eux un état précaire de l’esprit. La cause de telles pratiques est sans doute dans la curiosité, le désœuvrement, l’amour de l’art et surtout l’idée de se distinguer, de se singulariser. Il y a bien aussi le tatouage dit érotique, au moyen duquel le tatoué poursuivrait un autre but, bien défini... » (...) « La plupart de ces tatouages ne manquent pas d’imprévu ou d’ingéniosité. On y trouve depuis des figures banales, cœurs percés d’une flèche, noms d’une femme chère, ancre ou décoration attestant une ancienne profession de marin ou de militaire, femmes nues, bouquets ou guirlande de fleurs, têtes de femmes polychromes, aux lèvres carminées, aux yeux grands et bien dessinés, à la chevelure abondante, tibias entrecroisés, paire de lunettes autour des yeux, jusqu’à de véritables scènes : une chasse au renard, dont les épisodes artistement agencés, couvrent tout le corps jusqu’au point où le renard suivi d’une meute de chiens disparaît devant le chasseur. Et des inscriptions fatalistes ou lubriques inscrites sur les bras, le front, la poitrine, les reins, etc. Les plus courantes de ces inscriptions sont les suivantes : sur le ventre robinet d’amour, plaisir des dames, saute-moi devant, sur les reins, calorifère à air chaud, passez par derrière, etc. Sur le front, tête pour Deibler, enfant du malheur, mort aux vaches, encore un c... qui me regarde, etc. » (note du docteur Léon Collin).
À gauche : Tatouages. face III. Entre 1906 et 1910. À droite : Tatouages. Dos IV. Entre 1906 et 1910. « Les dessins les plus fins et les plus originaux proviennent en général des prisons des compagnies de discipline et des bataillons d’Afrique du sud algérien. Il y a là-bas une véritable école d’artistes tatoueurs, qui ne cèdent en rien aux indigènes professionnels cependant réputés du Laos, de l’Inde, du Japon, du Congo, de la Nouvelle-Zélande, des Florides ou de la Terre de feu. On doit dire que des gens remarquables, comme le grave, l’impavide M. Ribote et un de nos illustres littérateurs de la marine Pierre Loti, ont bien sacrifié eux aussi, à cette manie étrange et douloureuse » (note du docteur Léon Collin).
Le médecin militaire Léon Collin a débuté sa carrière en accompagnant un transport de prisonniers vers la Guyane, avant de partir en Nouvelle-Calédonie où il a assisté aux dernières années du bagne en 1924. Au cours de ces voyages, le docteur Collin va réaliser un reportage photographique, composé principalement de 125 plaques négatives. Il va les tirer par contact puis les assembler dans des cahiers tapuscrits, où sont compilés les témoignages qu’il a accumulés auprès de chacun des forçats (et que nous reproduisons tels quels en légendes). Cet officier va diffuser ces « interviews » en gardant l’anonymat dans plusieurs magazines du début du XXe siècle, et dénoncer ce mode de châtiment judiciaire. Mediapart en publie des extraits et ouvre ainsi une collaboration régulière avec le musée Nicéphore Niépce de Chalon-sur-Saône.
Philippe Poisson est ancien formateur des personnels à l'administration pénitentiaire. Spécialisé sur l'enseignement de l'histoire pénitentiaire et l'histoire des bagnes coloniaux, il a notamm...