Magné de Marolles, Représentation de la Bête furieuse, v.1765 (© BnF)
Une rubrique animée par Fatima de Castro pour Culture et justice
Idée : Un doute raisonnable ?
Argumentaire : présenter mensuellement un fait-divers criminel ancien qui a laissé les contemporains dubitatifs. Soit que l’affaire n’ait jamais abouti ; soit qu’elle ait connu des remises en question tout au long de son déroulement ; soit qu’elle présente des étrangetés permettant par exemple d’opter pour l’accident ou la mort volontaire. Dans tous les cas, le doute doit nimber l’affaire.
But : donner les éléments à l’internaute pour qu’il se fasse sa propre idée et intervienne en donnant son point de vue s’il le souhaite.
"À moins d’avoir été exilé un long moment sur la planète Mars ou subi une hibernation au long cours, tout le monde a entendu parler de la fameuse Bête du Gévaudan. Livres, documentaires, films évoquent sans fin cette affaire qui a ébranlé le pays au cours du 18e siècle. On a tout dit, tout extrapolé, tout supputé. Un loup difforme, retravaillé par la taxidermie, a été ramené à Versailles pour satisfaire le roi et rassurer le peuple. Soldats, louvetiers, prêtres, chacun à sa manière a voulu mettre fin à l’hécatombe qui a causé une centaine de victimes dans la province du Gévaudan, entre 1764 et 1767. Armes et foi ont tenté de vaincre l’incompréhensible : un animal, décrit comme jamais vu dans la contrée, attaquait et dévorait femmes et enfants. Quelques hommes aussi, mais en nombre plus réduit. La guêpe n’était pas folle ; elle s’en prenait aux plus faibles.
Aujourd’hui, l’Aubrac présente encore une géographie désertique, ponctuée de reliefs à perte de vue, d’amas granitiques et de forêts. Ces dernières étaient plus rares à l’époque. L’imagination y prend ses aises, évoquant ici et là l’approche sournoise de l’animal qu’elle voit par delà le temps avancer en rampant, un grognement sourd à la gueule, la queue de feu dressée dans les airs, prêt à fondre sur la victime qui n’a aucun moyen de fuir. On regarde autour de soi et l’on se demande quelle échappatoire aurait été possible. Il n’y en a pas. Courir ? Pour aller où, dans cette immensité faite de lande ? Crier ? Qui aurait entendu dans ce vide où rien ne respire à des kilomètres à la ronde ? Les rares survivants sont ceux qui ont fait face, piquet à la main, ou que leur troupeau de vaches a protégés. Les autres ont fini en charpie, un amas de chairs fouillées tel que personne n’avait jamais vu ça à l’époque. Et l’imagination, encore elle, va bon train : loup hors norme, animal sauvage exotique, bête enragée ou issue d’un croisement agressif. La mémoire populaire donne des noms évocateurs : beste cruelle, beste farouche, beste féroce, beste dévorante, male beste… Toujours des bêtes, l’animal sauvage n’étant pas le meilleur ami de l’homme.
Le Gévaudan, qui ne connaît pas cette histoire devenue mythe ? Mais si j’écris ici Bête de Langeais (1693-1694), Bête de Rambouillet (257 victimes entre 1677 et 1683, le Gévaudan peut aller se rhabiller), Bête du Gâtinais (1652-1657), Bête d’Orléans (1712) ou encore Bête de la vallée de l’Eure qui tua 17 jeunes enfants entre 1711 et 1714, cela évoquera-t-il quelque chose ? Et pourtant, toutes ces « Bêtes » ont sévi bien avant celle qui est entrée dans la mémoire collective, tout aussi actives et néfastes. En y regardant de plus près, la période entre le milieu du 17e et le 18e siècle a recouvert toute la France de ces êtres sauvages qui massacrèrent femmes et enfants avec délectation.
Le registre paroissial de Bailleau-l’Évêque, petit village non loin de Chartres en Eure-et-Loir, détaille les morts tués par la Bête qui porte le nom de la commune. Elle sévit au lieu-dit du Bois de Dangers, entre 1687 et 1695. Trente-neuf victimes comptées, dont dix-neuf femmes entre 20 et 75 ans. Si je m’arrête à cet exemple précis, c’est qu’un acte en particulier a attiré mon attention. Le curé, méticuleux, y a indiqué les causes de la mort d’un enfant qu’il mit en terre le 13 décembre 1692 : Gilles Pioche, 5 ans, étranglé par la Bête. Un loup mord au cou ou à la nuque, il n’étrangle pas. Alors le doute peut s’insinuer, ce qu’il n’a pas manqué de faire au début du 20e siècle. Un médecin écrivit une thèse en reprenant l’étude des rapports rédigés dans le Gévaudan sur l’état des victimes retrouvées. Il en conclut que les ravages constatés ne peuvent avoir été causés par un animal, mais par un humain. Cette idée fut reprise en 1977 dans un article d’Alain Decaux, La Bête du Gévaudan était-elle un sadique ?, paru dans le magazine Historia.
Alors, ces « Bêtes » avec un B majuscule sont-elles bien toutes de simples bêtes un peu trop friandes de chair humaine ou le cas par cas pourrait-il dévoilé que, parfois, un esprit dérangé s’est arrogé le titre de Bête ? Ah, si seulement Nicolas Le Floch avait existé à l’époque…"
Fatima DE CASTRO
Octobre 2023
Pour aller plus loin : Jean-Marc Moriceau, La Bête du Gévaudan : la fin de l’énigme ?, Rennes, Ouest-France, 2015 ; François Fabre, La Bête du Gévaudan, Romagnat, éditions De Borée, 2004 ; Michel Loui, La Bête du Gévaudan, [Paris], éditions Perrin, 2003 ; Abel Chevalley, La Bête du Gévaudan, Paris, Gallimard, 1936 ; Cruelles bêtes beauceronnes, article sur le site https://bestiairedysengrin.monsite-orange.fr
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