La police française se dégrade-t-elle ? Une vaste encyclopédie restitue son historicité à l’histoire des polices en France tout en l’analysant au regard des enjeux contemporains. Tâche imposante, rendue possible par le choix du temps long et d’une perspective géographique élargie.
Il est rare qu’un contexte de publication vienne à ce point justifier le bien-fondé d’une entreprise éditoriale de longue haleine, qui plus est collective. Ce fut pourtant le cas lors de la parution en 2020 de L’histoire des polices en France des guerres de Religion à nos jours sous la plume de Vincent Milliot, Emmanuel Blanchard, Vincent Denis et Arnaud Houte. Les réactions aux opérations de maintien de l’ordre lors du mouvement des Gilets jaunes, le retentissement international donné au meurtre de George Floyd (mai 2021) et la visibilité accrue à ses possibles équivalents hexagonaux, le « rassemblement citoyen en soutien aux forces de l’ordre » à l’appel de quatorze organisations syndicales en mai 2021, ou encore le succès controversé rencontré par le film Bac Nord à sa sortie en août 2021, ont semblé rétrospectivement donner raison aux auteurs qui soulignaient en introduction la nécessité de faire entendre les historiens, « minoritaires et parfois difficilement audibles », face aux « multiples formes de récits de l’action policière, souvent partielles et partiales, liées à des entreprises communicationnelles, fictionnelles, corporatistes, dénonciatrices, militantes » (p. 8). La contribution apportée par la discipline historique consiste à dénouer dans le temps l’écheveau des réactions polarisées autour de la place accordée à la police en France. Il s’agit pour les auteurs de « comprendre le rôle que joue cette institution singulière dans la construction de l’État, de la monarchie des Bourbons à la Ve République ». Le lecteur perçoit ainsi dès l’introduction l’intérêt de ne pas comprendre le problème sous le seul angle psychologisant – en plus d’être intemporel et fonctionnaliste – des relations d’amour/haine des Français vis-à-vis de leur police, mais de le faire sous l’angle d’une question politique : la construction de l’État en France...
Yann Philippe est maître de conférences en histoire et civilisation américaines à l’université de Reims-Champagne-Ardenne. Il est affilié au CIRLEP (Centre Interdisciplinaire de Recherche sur les Langues Et la Pensée-URCA) et membre associé au CENA (Centre d’Études Nord-Américaines-EHESS). Il travaille sur l’histoire policière, politique, sociale et culturelle de New York, notamment sur la diversité des modes de relation entre police et société et la période de l’entre-deux-guerres. Il a récemment publié « Community Mothers or Impromptu Actresses ? The multifaceted experience of women in the New York Police Department (1900-1941) », Law Crime and History, On Line Journal, (2011) vol.1 issue 1, p. 35-61.