La milice française en Août 1944. ©Getty - © Keystone-France / Collection Gamma-Keystone
Les procès de l’épuration ne sont pas l’honneur de notre justice. Antoine Garapon en discute avec Jacques Dallest, procureur général à Grenoble et l'historienne Michèle Cointet, spécialistes de la question.
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Jacques Dallest Magistrat honoraire, consultant judiciaire, ancien Procureur de la république à Marseille (2008 à 2013).
Lors d'un des plus grands procès, celui qui se tint au Grand-Bornand, en Haute-Savoie, entre le 23 août 10 h du matin et le 24 août 1944, à 5h du matin, 97 miliciens y furent jugés cinq jours après leur arrestation, et 76 d’entre eux furent condamnés à mort et fusillés. Il n’est pas inintéressant de revenir sur les modalités de ce procès : Comment se déroula l’enquête ? De quelle manière furent traités les prisonniers ? Ont-ils bénéficié d’une véritable défense ? Qui étaient les juges ? Quels étaient les chefs d’accusation ?
Il faut revenir également sur le contexte, c’est-à-dire sur l’ambiance fiévreuse des jours qui suivirent immédiatement la Libération. Il ne faut pas céder, en effet, à la facilité du jugement moral d’une époque sur une autre époque sans chercher à la comprendre. Était-il possible de faire autrement que cette justice expéditive ? De contrôler la vengeance des vainqueurs qui avaient souffert au maquis de la violence des miliciens ? Esprit de justice va tenter de rendre justice à cette justice en vous proposant un double regard sur ces procès, celui d’une historienne spécialiste de la Milice, Michèle Cointet, auteure de nombreux ouvrages et notamment de La milice française (Fayard, 2013), et celui d’un professionnel de la justice, Jacques Dallest, Procureur général près la cour d’appel de Grenoble, qui vient de publier L’Épuration. Une histoire interdite. Les miliciens de Haute-Savoie, (éditions du Cerf, 2022).
Michèle Cointet "Le contexte d'abord : il y a la date (fin août 1944) : le débarquement, c'est à peine deux mois avant, et là, nous sommes en plein moment de la libération de Paris. Ça explique bien des choses, mais l'ensemble de la France est encore occupée. [...] Vichy s'est écroulé et on a le deuxième débarquement dans le midi qui date d'une semaine."
Michèle Cointet "C'est le deuxième département (la Haute-Savoie) qui s'est libéré par lui-même. C'est un ensemble alpin qui a connu une très forte résistance, qui tient, largement, je pense, à la géographie, aux montagnes, au plateau des Glières, par exemple..."
Jacques Dallest "Il y a un peloton d'exécution formé de FFI (Forces Françaises de l'Intérieur), avec un officier à la tête, qui les fusille, et les cercueils sont juste derrière les poteaux d'exécution et tout ça se fait devant la foule rassemblée. Sur des photos, on voit des femmes, des enfants, des adolescents qui sont là. Tout le monde vient au spectacle."
Pour aller plus loin
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Biographie de Jacques Dallest (Site Lisez.com) et sa page twitter.
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Autre biographie et bibliographie de Jacques Dallest (Site Babelio).
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Article Jacques Dallest, procureur général de Grenoble : « On est dans l’inflation des textes » du 6 janvier 2022 (Site l'Essor Isère).
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Page wikipédia de Michèle Cointet.
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Biographie et bibliographie de Michèle Cointet (Site Babelio).
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Page wikipédia du maquis des Glières (évoqué pendant l'émission).
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Page wikipédia sur la milice française.
Michèle Cointet "Ce mouvement (de la milice française) n'est pas né en Savoie. Il est né à Nice parce que Joseph Darnand s'y trouvait avec quelques autres hommes aussi, et parce que Nice était menacé par les Italiens. [...] Darnand a fondé un groupe patriote qui réunit 67 000 personnes dans le département, parce qu'on n'aime pas les Italiens et qu'on a peur d'un coup de force de Mussolini. [...] Comme ça marche bien, Darnand, qui dirige le gouvernement, se dit :"c'est une belle force que je mettrais bien à mon service", et c'est ainsi que la milice va entrer en politique jusqu'à devenir finalement une police supplétive."
Jacques Dallest "On voit que pour certains, c'est par pure conviction qu'ils entrent dans la milice. Pour d'autres, c'est par pur opportunisme et même pour d'autres, c'est le hasard. En voulant aller au maquis, certains se sont retrouvés bloqués par une patrouille de police, on leur a dit "maintenant, tu iras à la milice", alors qu'ils auraient pu prendre les armes comme maquisards. C'est ça qui est étonnant !"
Jacques Dallest "Pour des gens qui n'étaient pas grand chose ou peu considérés, ils se retrouvent porteurs d'un uniforme, d'armes, dans un encadrement avec une discipline et la possibilité de contrôler des personnes dans la rue, pouvoir qu'ils se sont arrogés. [...] Tout ça a joué beaucoup dans le recrutement, qui n'a pas été aussi massif que la milice l'aurait souhaité dans le département (Haute-Savoie), mais qui a été tout de même important."
Jacques Dallest "De Gaulle a tout fait pour qu'on mette fin à ces cours martiales de la résistance qui étaient un défi à l'État de droit. Très vite, il a fait en sorte que des cours de justice plus dignes de ce nom se réunissent et les choses n'ont pas duré."
Esprit de justice
Retour sur un procès de l'épuration : le Grand-Bornand, août 1944
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