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De la naissance à la mort, la chambre est l’espace pluriel du sommeil, de l’amour, de la lecture, de l’écriture. En quoi la chambre est-elle un espace ambigu, entre intimité et mise en scène, entre refuge et violence ?

Avec

  • Michelle Perrot, historienne, professeure émérite des universités, spécialiste de l'histoire des femmes

La chambre est un objet qui se caractérise par sa grande diversité, des chambres bourgeoises aux garnis ouvriers, en passant par la chambre de bonne ou la chambre du roi. Seul point commun peut-être, la présence d’un lit, qui reste un élément définitoire de la chambre. Le mot vient de kamara en grec (camera en latin) et désigne le lieu où plusieurs personnes dorment ensemble. Au Moyen Âge apparaît la chambre conjugale dans le donjon seigneurial. La chambre se généralise seulement aux 18ᵉ et 19ᵉ siècles.

Écrire l’histoire de la chambre implique de se demander comment elle est aménagée et décorée, avec des variations selon les classes sociales. Certains meubles sont caractéristiques : le lit, la table de nuit ou l’armoire à glace. Aux 18ᵉ et 19ᵉ siècles, la chambre comporte souvent un prie-Dieu et un crucifix, qui mettent en évidence la dimension intime du lieu, qui est propice à la méditation et à la prière, voire à l’examen de conscience, et parfois même, pour les croyants les plus fervents, à la mortification.

Parmi les nombreuses chambres domestiques, la chambre conjugale occupe une place privilégiée. Lieu de l’intimité du couple et de la sexualité, elle est aussi souvent l’espace où accouchent les femmes. Elle peut aussi être le lieu de la domination et de la violence masculine, notamment à travers le supposé "devoir conjugal". Les femmes sont souvent cantonnées à cette sphère privée et familiale qui est considérée comme la leur, à l’inverse des hommes qui seraient voués à la sphère publique. La chambre de la jeune fille met en scène cet imaginaire domestique de la virginité, de la douceur, de la piété et des travaux d’aiguille. La réclusion féminine, subie ou désirée, peut toutefois se muer en potentialité, si l’on considère la chambre comme un espace à soi, vecteur d’indépendance et de liberté créatrice, dans la lignée du livre de Virginia Woolf (Une chambre à soi, 1929).

La chambre des écrivains et des artistes est l’une des déclinaisons de cette créativité. C’est en effet dans le calme de la chambre qu’on peut lire, méditer, et écrire, aussi bien sa correspondance que son journal intime, ou même une œuvre littéraire. Lieu immobile par excellence, la chambre devient ainsi le lieu du voyage imaginaire, dans le temps et dans l’espace, à travers les bien nommés "livres de chevet". La chambre devient un cocon propice à la concentration et à l’écriture, loin du bruit du monde et de ses vicissitudes.

La chambre est aussi le lieu privilégié du plaisir, de la masturbation ou de la sexualité partagée, qu’elle soit conjugale ou adultère. Elle peut également renvoyer à l’espace du bordel et des maisons de prostituées. De la chambre de passe à la chambre d’hôtel en passant par la chambre de bonne où le maître vient séduire ou agresser les domestiques, sans oublier la garçonnière ou la chambre conjugale, les modalités sexuelles camérales sont variées.

Les chambres n’ont pas la même superficie, la même organisation ni la même décoration selon les classes sociales. La chambre de bonne est l’exemple par excellence de la chambre étroite, sous les toits, mal isolée, qui signale la frontière entre la famille bourgeoise et les domestiques. La chambre bourgeoise au contraire se pare de meubles luxueux, de décoration, de tentures et de papier peint. La chambre des travailleurs et travailleuses au 19ᵉ siècle, dans les mondes ouvriers ou paysans, est souvent une chambre partagée avec toute la famille, synonyme de promiscuité, et bien souvent de misère. De l’autre côté du monde social, la chambre du roi est l’espace théâtral d’un rituel et d’une mise en scène de prestige et de puissance. Le lever et le coucher du Roi-Soleil, auxquels assistent les courtisans, en est le point culminant. L’intimité de la chambre peut ainsi se révéler toute relative.

L’activité la plus associée à la chambre est peut-être celle du sommeil et du rêve. La chambre a en effet une porte, qui peut être fermée et même verrouillée. C’est l’espace même de l’abri et du repos, qui protège les malades. C’est enfin le lieu ultime de l’agonie, que l’on meure chez soi ou dans une chambre d’hôpital.

Pour en savoir plus

Michelle Perrot est historienne, professeure émérite des universités.

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Tag(s) : #Les incontournables de Culture et justice, #Femmes dans la société
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