A Pont-l'Évêque, une prison désaffectée… Au début des années 1950, une drôle d'histoire s'y est déroulée. L'édifice en a gardé son surnom de « joyeuse
prison ».
Derrière les lourdes portes grises, la grosse clé ouvre sur un autre monde. Au
coeur de la cité, la prison de Pont-l'Évêque est totalement restée dans son jus, telle qu'elle fonctionna de 1823 à 1953. Drôle d'atmosphère... Quatre cellules, des pièces symétriques d'environ
25 m2 avec fenêtres grillagées, deux pour les hommes, deux pour les femmes, le bureau des avocats, le parloir, les couloirs, les escaliers métalliques, la chapelle aux murs
défraîchis, le logement du gardien-chef et sa pompe à eau... Comme un décor de cinéma grandeur nature à l'intérieur de ce bâtiment en briques rouges, à l'architecture néoclassique du début
XIXe. « On dirait que les prisonniers viennent juste de sortir. Un tel édifice carcéral que l'on peut visiter, cela se compte sur les doigts
d'une seule main ! », sourit Pierre Sécheret, adjoint au maire de
Pont-l'Évêque, en charge de la culture.
« Combien étaient-ils de prisonniers à vivre ici ? », demande une dame. « En consultant les livres d'écrou, nous arrivons à une moyenne de quatorze détenus au début
pour passer à une centaine en 1897. Les hommes couchaient trois par trois sur des galetas. » La surpopulation carcérale ne
date pas d'aujourd'hui. Trousseau de clés en main, Gaétanne Barbenchon, guide, poursuit la visite commentée. Un engouement, ces visites. Propriétaire de l'établissement depuis 2005, la mairie
l'ouvre au public tous les jours en été, les samedis et chaque dimanche du patrimoine. « On fonctionne sur réservations, mais c'est souvent
complet ! », tempère Gaëtanne.
« C'est écrit ' La joyeuse prison ' sur le panneau indicateur du parking. Pourquoi donc ? », interroge un touriste intrigué. Éclats de rire. Une histoire dans l'histoire qui fit couler beaucoup d'encre dans les années 1950. L'incroyable gestion
du gardien-chef pontépiscopien régale alors les gazettes, intéresse les cinéastes. André Berthomieu en tire un film en 1956. Il devait s'appeler À la bonne
franquette. Le titre retenu est tout bonnement La Joyeuse Prison. Darry Cowl joue l'avocat, c'est l'un des premiers rôles. Michel
Simon incarne le personnage clé de cette histoire vraie.
Fernand Billa, alors gardien-chef de la prison de Pont-l'Évêque, applique le principe du « préjugé favorable » à tout nouveau pensionnaire. Grand précurseur de la libération
conditionnelle, Billa préfère se faire aimer que de se faire craindre. La maison d'arrêt se transforme en une pension folklorique. Les détenus utilisent librement le téléphone, tiennent les
comptes, reçoivent épouses et petites amies « à domicile », s'offrent gueuletons et permissions de jour comme de nuit, s'autodélivrent des certificats de bonne moralité. Chaque matin,
l'un d'eux va prendre son petit crème au comptoir du café d'en face. Un autre va même jusqu'à réparer les alarmes de la prison et refaire l'électricité de la gendarmerie voisine ! Un énorme
scandale judiciaire que jugera la cour d'assises du Calvados durant l'automne 1955. « Un des grands moments de la vie judiciaire
française », se souvient Jacques Lebailly, alors jeune journaliste à Ouest-France.
Dans le box des accusés, sept détenus et pas des enfants de
choeur ! Parmi eux, René La Canne - René Girier de son vrai nom - star du braquage haut de gamme, champion homologué de l'évasion, dix-sept fois en huit ans. On lui doit, entre autres, un
vol de 65 millions de francs chez le bijoutier Van Cleef ou le casse du coffre-fort du président du conseil Édouard Daladier. Appréhendé après le cambriolage d'une bijouterie deauvillaise,
il est incarcéré en mars 1949 à la prison de Pont-l'Évêque. Et se lie d'amitié avec le gardien-chef... avant de s'évader en escaladant facilement le mur d'enceinte. « Aux assises du Calvados, poursuit Jacques Lebailly, l'affaire se
termina par... un acquittement général sous les applaudissements du public. Selon l'avocat général, si l'on peut admettre que le désir des prisonniers est de prendre le large, c'est à
l'Administration de savoir s'y opposer ! » Retiré dans la région de Reims, René La Canne, décédé en janvier 2000, tiendra un
commerce de jeux électroniques où « il embauchera des jeunes à problèmes ». Quant au gardien, il fut révoqué « pour négligence dans le service ».
Tout cela ne fut pas du cinéma. Même si l'adjoint au maire de Pont-l'Évêque rêve maintenant de récupérer le film pour le projeter en boucle. Dans la joyeuse prison.
La « joyeuse prison » vous ouvre ses portes
vendredi 19 septembre 2008
www.ouest-france.fr/
Jean-Jacques LEROSIER.
Photos : Jean-Yves DESFOUX.
La prison de Pont-l'Evêque est ouverte samedi 20 et dimanche 21, à 10 h, 14 h, 15 h et 17 h. Réservations obligatoires au
02 31 64 89 33. Entrée : 1 €. Une animation pour les enfants sur le modèle du jeu de Cluedo se tiendra samedi et dimanche, à 11 h et 16 h. Réservations au
02 31 64 89 33 également.
La joyeuse prison de Pont-L'Evêque
http://philippepoisson-hotmail.com.over-blog.com/article-29171725.html