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2010 - " Chasse les prostituées, aussitôt les passions troubleront tout " : le second Moyen Âge semble une méditation
sur ces paroles de saint Augustin.
Ribaudes et grandes courtisanes, ruffians et maquerelles, étuves privées et bordels publics : le monde des amours vénales, bien visible, marquait alors les sociétés occidentales de son
omniprésence. Vingt ans après son ouvrage fondateur, la Prostitution médiévale (Flammarion, 1988). Jacques Rossiaud renouvelle ses
analyses à la lumière de la recherche récente. En une synthèse magistrale. il brosse le tableau non plus de la, mais des prostitutions au Moyen Âge, mettant en évidence la complexité des
pratiques qui relèvent de la vénalité, et la multiplicité des consonances sociales que celle-ci revêt.
Broché
Paru le : 20/10/2010
Editeur : Aubier
Collection : historique
L'auteur en quelques mots en 2010 ...
Jacques Rossiaud, historien médiéviste, est professeur émérite à l'université Lumière Lyon II.
Spécialiste d'histoire urbaine et du Rhône médiéval, il a consacré à ce dernier un dictionnaire (Centre alpin et rhodanien d'ethnologie, 2002) et un essai, Le Rhône au Moyen-Age (Aubier 2007).
Pas facile d'être "transgenre", ni tout à fait homme, ni vraiment femme, au Moyen Age. Rolandino Ronchaia le paya d'une condamnation à mort. Ce Vénitien du XVe siècle, élevé comme un enfant mâle, avait en
réalité une allure très féminine, et même des seins. Son mariage fut un échec, faute sans doute d'avoir pu honorer sa femme. Rolandino quitte alors la Sérénissime pour Padoue où il s'ébat avec un
homme avant de revenir en "Rolandina" à Venise. Rolandino/Rolandina se prostitue autour du Rialto avant d'être découvert par les autorités. C'était là trop de ruptures avec les normes.
Bienvenue dans les bas-fonds des XIIe-XVIe siècles. A vrai dire, ce monde médiéval de l'amour tarifé dans lequel nous fait plonger le livre de Jacques Rossiaud (en photographie) est d'une grande variété. Guidés par un expert, dont les premiers travaux sur le sujet remontent aux années 1970, vous parcourrez les bordels et les étuves, de Séville à Stralsund, en compagnie de souteneurs, de filles de joie endurcies, d'épouses déviantes et de clients festifs.
C'est que dans les bonnes maisons, les gentilshommes apportent les provisions, viandes, pâtés "à la sauce chaude", "coquasses de vin et pots d'hypocras". Rossiaud, qui a le sens des formules, décrit en profondeur l'"économie libidinale" dite encore "économie prostibulaire", jusqu'en haut du panier, où de grandes dames forment "l'aristocratie de la chair palpable". Sans oublier aléas et cycle de vie comme le disent cruellement des vers du XVIe siècle : "A vingt ans putain rusée/à vingt-cinq ans putain infaicte (...) A trente-cinq ans putain usée (...) A cinquante ans hôtesse bordelière (...) A soixante ans quêtant son pain."
Reste que "la misère fut de tout temps la grande pourvoyeuse", rappelle-t-il. Comme le dit du reste un chroniqueur messin : en une période de cherté (1419), les femmes étaient à "si bon marché qu'on en avait quatre pour un oeuf".
Toutefois, vous ne voyagerez pas en sot ou en voyeur. Le médiéviste montre combien et comment la prostitution s'est développée et institutionnalisée entre le XIIe et le XVe siècle, comment aussi les sociétés chrétiennes ont dû composer avec des pratiques considérées comme "indéracinables et quasi naturelles", quelles justifications théologiques en particulier ont accompagné ces évolutions, interrompues par le XVIe siècle et ses réformes.
Un bon indicateur de la "normalisation" des amours vénales tient dans l'histoire des signes distinctifs imposés aux prostitués, ces signes qui choquent tant notre présent. Ils ne furent cependant pas utilisés partout et présentèrent une grande diversité formelle. Surtout, ces marques tendent à perdre de l'importance à la fin du Moyen Age, par des dispenses, comme à Avignon, ou des substitutions : à Toulouse, on passe d'un chaperon à cordon à une discrète lisière de couleur sur la manche. Ainsi ce monde de l'entre-deux, si trouble et si légitime à la fois, ne cesse-t-il de mêler "condamnations et compréhensions".
LE MONDE DES LIVRES | 28.10.10 | 10h08 • Mis à jour le 28.10.10 | 10h08
AMOURS VÉNALES. LA PROSTITUTION EN OCCIDENT, XII-XVIE SIÈCLE de Jacques Rossiaud. Aubier, "Collection historique", 384 p., 25 €.
Nicolas Offenstadt