La violence de la dictature Pinochet à travers
l’autopsie de ses victimes : Santiago 73, post mortem , du jeune réalisateur chilien Pablo Larrain.
Le 11 septembre 1973, Mario Cornejo se rend à l’institut médico-légal de Santiago du Chili, où il retranscrit les rapports d’autopsie. C’est un homme comme tout le monde, costume-cravate, cheveux plats, oeil triste ; un fonctionnaire de la mort ordinaire. Sa seule passion est d’être secrètement amoureux de sa voisine, Nancy, une danseuse de cabaret aux sympathies communistes.
Le destin insignifiant de Cornejo croise cependant la grande histoire. A 3 heures du matin, ce même 11 septembre, Valparaiso, la deuxième ville du pays, se trouve aux mains des putschistes. Le 9, dans ce pays agité par la crise économique, le coup d’État militaire a été minutieusement réglé par le général Pinochet, chef de l’armée de terre en qui Salvador Allende, le président socialiste élu en 1970, avait placé sa confiance.
A 6 heures du matin, l’opération militaire s’est étendue à tout le pays à l’exception de Santiago. A 9 heures, la Moneda, siège de la présidence chilienne, est assiégée. Allende y est retranché depuis 7 heures avec une quarantaine de gardes. Le vice-amiral Patricio Carvajal lui propose par téléphone un sauf-conduit pour quitter le Chili avec sa famille. Il refuse, convaincu qu’il s’agit d’un piège, et déclare que « le président de la République élu par le peuple ne se rend pas » . Allende fait néanmoins évacuer sa famille et le personnel. Peu avant midi, deux avions de chasse bombardent la Moneda. Les chars suivent. A 14 heures, le palais est envahi mais Allende est déjà mort : il s’est suicidé.
De ce coup d’État, le troisième film du Chilien Pablo Larrain ne montre que quelques carcasses de voitures calcinées dans les rues de Santiago, ou des cadavres gisant sur un trottoir défoncé par le passage des chars. De l’histoire qui fait une tragique irruption, le cinéaste ne retient que le point de vue de son personnage, Mario Cornejo. Mais la morgue est un espace soudainement investi par la politique un jour de coup d’État. Et la précision clinique des rapports d’autopsie prend une teneur subversive. Une mort causée par une raffale de mitraillette, un passage à tabac, une fusillade : autant de pièces à conviction que la dictature voudra faire disparaître ou maquiller.
Bientôt, arrive à la morgue le corps même de Salvador Allende, dont l’autopsie constitue la séquence centrale du film. Deux voix s’opposent, celle de Mario - « Il s’est suicidé » - et celle de sa collègue Sandra - « On l’a assassiné » . Le cadavre et son ouverture sont ici une métaphore de l’histoire du Chili : Sandra fera partie des victimes de la dictature que Pinochet instaure dès le 13 septembre en supprimant les libertés publiques, proclamant l’état d’urgence, instaurant le couvre-feu, abolissant la liberté de la presse. La répression est violente ; 130 000 personnes sont arrêtées et une note interne à la junte militaire établit à 320 le nombre des exécutions ayant eu lieu dans la période du 11 au 30 septembre.
Mario Cornejo, lui, poursuit sa carrière. Il était là lors de l’autopsie d’Allende, témoin de ce moment clé de l’histoire du Chili, dactylographiant les traces des blessures mortelles du président martyr, mais personne ne se souvient plus de lui. C’est depuis cette place - celle du mort - qu’est filmé Santiago 73, post mortem .
Autopsie d'une dictature
Par Antoine
de Baecque
publié dans L'Histoire
n° 361 - 02/2011 +