Document 09/02/2013 - Que
sait-on de l'expérience des jurés populaires amenés à siéger en cour d'assises et à juger des personnes accusées d'avoir commis un crime ? Pour le citoyen ordinaire, devenu « juge d'un jour »,
cette expérience lui révèle le monde social sous diverses facettes et l'interpelle sur sa capacité et sa légitimité de juger. Les interactions entre les jurés et les juges professionnels, en
l'occurrence les présidents de cour d'assises, mettent en relief des rapports de pouvoir et de domination, sur fond de rituel judiciaire.
Lors du délibéré, le fait que les jurés soient censés juger des faits et de la peine selon leur «bon sens» et leur «intime
conviction» tandis que les magistrats jugeraient selon le «droit» et la «raison» révèle une hiérarchie subtile au sein de cette association échevine. Cet ouvrage, issu d'une enquête sociologique
de terrain, met en évidence des rapports sociaux différenciés à la justice pénale, mêlant enchantement et désillusion quant au caractère démocratique de la cour d'assises. Il interroge les effets
de cette socialisation qui génère des tourments moraux, tout en contribuant au sentiment d'avoir été reconnu comme citoyen-juge.
Sociologue, Aziz Jellab est inspecteur général de l'Éducation nationale. Il a
été professeur des universités à Lille 3 et a dirigé le CERIES (Centre d'étude et de recherche, individus, épreuves, sociétés).
Ethnologue et réalisatrice, Armelle Giglio est maître de conférences à Lille
3. Elle a été jurée d'assises en 2008.
INTRODUCTION GÉNÉRALE
La cour d'assises défraie souvent la chronique, qu'il s'agisse du jugement des «crimes» les plus cruels, des passions et
controverses engendrées par des verdicts jugés parfois «scandaleux» ou encore des erreurs judiciaires, comme en témoigne «l'affaire d'Outreau» et ses prolongements médiatiques et politiques. Mais
outre le fait que la cour d'assises ne couvre qu'une infime partie des faits jugés par la justice pénale, elle semble largement traitée sous son angle judiciaire et saisie au prisme des
magistrats professionnels et des avocats plus ou moins médiatiques, faisant passer au second plan les jurés populaires, sans doute parce qu'ils occupent un statut profane et moins légitime.
Pourtant, ils constituent un collectif à l'importance non négligeable lorsqu'il s'agit de juger un prévenu puisqu'ils sont majoritaires par rapport aux magistrats professionnels.
UNE EXPÉRIENCE JUDICIAIRE COMPOSITE
Comment en vient-on à devenir juré et quelles sont les manières dont le «citoyen», devenu juge en l'espace d'un temps
record, se socialise-t-il à un univers judiciaire qu'il ne connait habituellement qu'au rythme des «affaires» traitées à distance par les médias ? La participation à un jury d'assises ne
confronte pas seulement aux crimes à juger, aux témoins et aux experts, aux accusés, aux victimes, aux autres jurés, aux magistrats posés comme réalités indépendantes ou «désincarnées». Cette
participation met le juré face à des réalités sociales, à des rituels et à des épreuves perçues et vécues qui le travaillent parfois plusieurs années après les assises. C'est en quelque sorte
toute une dramaturgie sociale qui se construit sur fond d'interactions, d'enchantement, de déceptions et de tensions plus ou moins maîtrisées. Cette expérience apprend aussi sur soi car le juré
ne manque pas de faire un retour sur lui-même, sur ses valeurs, sur son monde social apparaissant bien éloigné de ceux auxquels appartiennent les accusés, les victimes et parfois les autres
jurés. Cette expérience inédite confronte le juré à une pluralité d'épreuves qui vont de l'appréhension de son rôle de juge «naïf» (Michel, Willemez, 2007) à la confrontation aux rituels
judiciaires et à leurs codes implicites, en passant par la rencontre des crimes dont la narration orale - agrémentée parfois de la présentation de photos des faits incriminés - suscite des
affects et des émotions indignées ou compatissantes. Cette expérience est aussi celle de l'échevinage entre des citoyens profanes et des juges professionnels, ce qui lui confère un caractère
«politique» comme l'avait déjà souligné Alexis de Tocqueville (1986). Cette expérience politique est celle du «pouvoir de juger» reposant sur «l'intime conviction» et le vote secret. Mais ce vote
n'a lieu qu'après un délibéré organisé et supervisé par le président, ce qui peut favoriser des jeux d'influence, voire des stratégies perçues comme manipulatoires. Aussi, c'est cette multitude
d'épreuves vécues par les jurés qui caractérise leur expérience et se prête à une pluralité de questionnements sociologiques. Qu'il s'agisse du processus de socialisation à la cour d'assises et
aux pratiques judiciaires, qu'il soit question des dilemmes moraux qui ne manquent pas de travailler des jurés s'interrogeant sur la «juste peine» et sur le risque de récidive ou encore, qu'il
soit question des rapports de pouvoir qui structurent les relations entre juges professionnels et jurés profanes, plusieurs objets sociologiques se présentent à l'observateur. Traiter de
l'expérience des jurés suppose non seulement d'identifier les étapes de leur socialisation à un rôle inattendu et d'en saisir l'importance et les effets sociaux et individuels, mais aussi de
l'inscrire dans des rapports sociaux et institutionnels qui en modalisent les configurations. Ainsi, l'expérience des «citoyens-juges» est inséparable des modes d'accueil par les auxiliaires de
justice tels que l'huissier et le greffier, du travail mené par les magistrats, de la manière dont ceux-ci organisent les audiences et les débats. De même, la façon dont les jurés se socialisent
à la cour d'assises et leur sentiment d'avoir plus ou moins pesé sur les jugements, varient selon leur statut social, leur parcours biographique et les ressources dont ils disposent. Si les jurés
disent pour la plupart être sortis «changés» par cette expérience, c'est parce qu'elle contribue à asseoir une certaine légitimité et une reconnaissance qui contrastent parfois avec l'ordinaire
de la vie sociale. Les effets de cette expérience sont multiples : de la redéfinition des relations avec autrui à l'engagement dans l'espace public, du sentiment d'être plus légitime socialement
après cette parenthèse «exceptionnelle» à l'implication plus soutenue face aux affaires judiciaires, la socialisation à la cour d'assises s'apparente à une «rupture biographique» dont il convient
d'apprécier sociologiquement la teneur. Pourtant, l'enchantement généré par la cour d'assises peut cohabiter avec un désenchantement. Certains jurés expriment ainsi une critique acerbe à l'égard
du pouvoir des juges, des experts et des enquêteurs aux compétences parfois douteuses, ou encore vis-à-vis des autres membres du jury perçus comme peu aptes à juger de manière
«intelligente».
Des citoyens face au crime : les jurés d'assises à l'épreuve de la justice alerte
Auteur : Armelle Giglio | Aziz Jellab
Date de saisie : 11/12/2012
Genre : Sociologie, Société
Editeur : Presses universitaires du Mirail-Toulouse, Toulouse, France
Collection : Socio-logiques
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