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http://www.decitre.fr/gi/66/9782866457266FS.gifDocument  19/10/2010 - « Comment était-il possible de s'évader lorsqu'on était esclave des nazis et ce fait rarissime ne se terminait-il pas toujours par l'arrestation, suivie de l'exécution du coupable ? Et pourtant, Yvonne Pagniez nous a livré son témoignage, épisode singulier de sa propre histoire. Femme de caractère, d'un courage peu commun, elle apporte une grande précision dans la description d'événements vécus qui se déroulent dans une ambiance tragique qu'elle restitue d'une manière étonnante. C'est en effet au cours d'un transport en wagon à bestiaux que notre compagne s'est évadée. Suivra une longue errance dans les ruines de Berlin, souvent sous les bombardements, dans la brume glacée de l'automne. Sa parfaite connaissance de l'allemand est sa seule force et bien souvent, harassée et repérable, elle est étreinte par la peur car la Gestapo est omniprésente. Elle n'oublie pas les interrogatoires subis rue des Saussaies à Paris et la sinistre réputation du Strafblock de Ravensbrück .»



Extrait de la préface de Jacqueline Fleury



http://colau.perso.libertysurf.fr/imageH59.JPGYvonne Pagniez (1896-1981) est l'auteur avant guerre de Ouessant et Pêcheur de goémon, et après guerre - outre Évasion 44, grand prix du roman de l'Académie Française et considéré comme son ouvrage le plus marquant - de Scènes de la vie du Bagne et Ils ressusciteront d'entre les morts. Grande journaliste, elle a couvert l'Indochine comme correspondante de guerre. Ses articles seront publiés dans Études, le Journal de Genève et La Revue des deux mondes.

Association Liberté-Mémoire

CONSEIL : Raymond Aubrac, Jean-Louis Crémieux-Brilhac,
Stéphane Hessel ambassadeur de France,
François Jacob de l'Académie française,
Serge Ravanel, Pierre Sudreau président,
Germaine Tillion présidente d'honneur, Denise Vernay.


  • Les courts extraits de livres : 19/10/2010

Depuis plusieurs semaines, je cherchais le moyen de m'évader. Cette vie d'esclavage, l'humiliation de toutes les heures, et surtout l'ignorance totale où nous étions de ce qui se passait en France, de ce que devenaient, dans l'anxiété de notre absence, les êtres chers qu'une coupure brutale avait comme rejetés dans un trou noir où notre inquiétude en vain les cherchait, - ce complexe de tortures physiques et morales, je ne pouvais plus, à la lettre, le supporter. Plutôt risquer le pire que de tourner ainsi en cage en ruminant son angoisse !


Il y avait bien pour me retenir le souci des camarades, cette charité qui, nous penchant sur les autres, nous donnait à nous-mêmes la force de vivre. Mais je n'atteignais pas au degré d'abnégation qui rivait une Yvonne Baratte, une Nanouk à la chaîne des forçats pour aider les autres à traîner leur boulet. Et puis - cette pensée peut-être fallacieuse m'enlevait tout remords - est-ce qu'il ne fallait pas que quelqu'un s'échappât de cet enfer pour appeler à l'aide, pour faire éclater au jour un crime que nous avions la naïveté de croire enfoui dans les ténèbres, ignoré des sphères dirigeantes ? Ce sont les bourreaux auxquels nous sommes livrées, pensions-nous quelquefois, qui abusent cruellement de leur autorité. Il n'est pas possible qu'un gouvernement, même nazi, ordonne une si atroce extermination de femmes. Et je m'imaginais que si j'apportais en France la vérité sur notre bagne, une révolte du monde civilisé en ferait cesser l'horreur. Qui sait, à l'intérieur même de ces frontières, la Croix-Rouge avertie interviendrait peut-être...


Donc, j'étais résolue à m'enfuir. Pendant les cinq semaines que nous passâmes à Torgau, j'avais lentement, soigneusement, préparé un plan d'évasion. Ce kommando était bien moins fermé que le camp de Ravensbrück. Au lieu du haut mur bétonné, couronné d'une frise électrique, que coupait un seul portail gardé par des soldats et des chiens, nous avions ici pour clôture une double haie de barbelés, autour de laquelle tournait jour et nuit une sentinelle armée. Un autre gardien veillait, mitraillette à la main, en haut d'un mirador d'où son regard embrassait l'ensemble de notre campement.


Il était possible, par les nuits sans lune, de creuser peu à peu une tranchée avec les mains sous les barbelés, en s'aplatissant dans l'ombre quand passait la sentinelle, en cachant le jour sous des plaques de gazon le travail de sape. Une fois dehors, mon intention était de filer droit vers Leipzig, à cinquante kilomètres dans le sud-ouest. Par les prisonniers que je rencontrais en allant aux champs, avec qui j'échangeais secrètement quelques mots, j'avais des indications sur la route à suivre. La plus sûre cachette me paraissait une grande ville peuplée où je trouverais bien à me camoufler quelques jours, le temps de recueillir les renseignements, l'aide peut-être nécessaires à la poursuite de l'aventure.


Il valait mieux être deux pour affronter les risques de l'expédition. Après avoir longtemps balancé, étudié mes compagnes, je m'ouvris de mon projet à une solide Danoise avec qui je m'étais liée d'amitié. Une fille sportive, franche comme l'or, et qui n'avait pas froid aux yeux. Je parvins à la convaincre. Elle aussi préférait au collier les mille dangers de l'inconnu.


Décidément, le ciel nous aidait ! Un beau jour d'octobre, comme nous appartenions à la même équipe de travailleuses agricoles, nos amis les prisonniers nous glissèrent à chacune, derrière un silo de pommes de terre, un grand chandail que nous dissimulâmes sous nos robes, mais qui devait, endossé par-dessus la casaque de bagnarde, en cacher aux trois quarts les couleurs voyantes. Puis, il y eut ce miracle : Par une courageuse compagne embauchée à l'usine, nous entrâmes en possession d'une paire de tenailles qu'elle avait dérobée et camouflée sous ses vêtements.

 

Evasion 44, Suivi de Souvenirs inédits de la Grande Guerre

  Auteur : Yvonne Pagniez

Préface : Jacqueline Fleury

Date de saisie : 19/10/2010

Genre : Biographies, mémoires, correspondances...

Editeur : Le Félin, Paris, France

Collection : Résistance


  Femmes dans les guerres (81)

Tag(s) : #Femmes dans les guerres
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