Qui s’occupe du maintien de l’ordre dans les pays d’Afrique noire ? La police, certes, mais surtout des organismes privés et des milices.
Marc-Antoine Pérouse de Montclos étudie les recompositions du monopole de la violence légitime sur le continent africain.
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L’État et la sécurité en Afrique (PDF - 43.5 ko)
par Hervé Maupeu
Recensé : Marc-Antoine Pérouse De Montclos, États faibles et sécurité privée en Afrique noire. De l’ordre dans les coulisses de la périphérie mondiale, Paris, L’Harmattan, 2008.
Article publié en partenariat avec la revue Politique africaine.
Depuis plus d’une décennie, les travaux sur la gestion de la sécurité en Afrique se sont multipliés et l’ouvrage de Marc-Antoine Pérouse de Montclos en offre une synthèse utile, d’autant plus que l’auteur s’appuie sur une expertise de terrain dans de nombreux pays africains. Ce livre s’adresse à un lectorat divers : les universitaires bien sûr, mais également les diplomates et les membres de nombreuses ONG et OIG présentes sur le continent africain. L’auteur possède une connaissance intime et ancienne du sujet, ce qui le conduit parfois à dériver vers le style d’écriture de l’essai, rendant ainsi la lecture toujours stimulante.
Cet ouvrage étudie les différentes organisations qui participent à la gestion de la sécurité, principalement la police, les entreprises privées de sécurité et les milices, que de nombreux auteurs analysent séparément. Il décortique leurs rapports avec l’État qu’il caractérise comme « faible », un étiquetage souvent frustrant mais qui permet ici un comparatisme à l’échelle continentale. Sa démarche de politiste le conduit d’abord à évaluer les principales problématiques de politiques publiques sur le sujet. Après avoir rappelé qu’en Afrique le partage entre public et privé est relativement flou, il réfute la théorie libérale des vases communicants qui veut que les carences du secteur public de la sécurité soient immédiatement compensées par le développement du secteur privé. Pérouse de Montclos reprend notamment les arguments de la théorie pluraliste qui soulignent que la forte croissance des structures privées traduit moins un défaut d’État que de nouvelles collaborations entre opérateurs publics et privés. On assisterait ainsi à une reformulation du monopole de l’État sur la violence ; tout au long des chapitres qui suivent, l’auteur s’emploie à décrire les modes d’organisation qu’amène cette fragmentation du monopole étatique sur la violence.
Les premiers chapitres portent sur les forces de police, dont l’auteur évalue les dysfonctionnements au regard de divers registres. Il s’efforce de caractériser les « polices tropicales » par rapport aux trajectoires historiques des armées africaines. À travers un détour par l’époque coloniale, il montre que ces polices ne se sont pas développées en tant que service public mais avant tout en tant qu’instrument de répression, souvent doté d’une fonction paramilitaire, parfois au service d’intérêts privés. Ce détour par l’histoire permet de mieux appréhender le référentiel et les modes d’action des polices contemporaines. Pérouse de Montclos nuance les approches qui soulignent le rôle des démocratisations dans les dynamiques actuelles des forces de l’ordre. On peut regretter que l’auteur ne s’appuie pas davantage sur les très riches travaux d’histoire sociale des africanistes britanniques comme Andrew Burton et J. Lewis [1] sur la gestion de l’ordre public dans les espaces urbains. Ces historiens mettent l’accent sur les spécificités du registre policier dans les villes par rapport aux zones rurales, et ils soulignent notamment le rôle de l’État colonial policier dans la structuration sociale des espaces urbains.
Les chapitres suivants sont consacrés aux organisations privées qui participent à la gestion de la sécurité. Pérouse de Montclos propose une classification de ces groupes à partir de deux entrées : les organisations « alternatives » et le secteur « privé » à but lucratif. Dans le premier ensemble, il distingue les initiatives d’autodéfense individuelles des initiatives d’autodéfense collectives. Dans la seconde catégorie, il différencie les organisations défensives des organisations offensives. La portée heuristique de cette classification n’est pas explicitée car l’auteur est d’abord intéressé par l’analyse de certains de ces groupes. Il fait ainsi un utile lien historique des principales multinationales de gardiennage que l’on trouve en Afrique. Il rappelle l’implication des grandes compagnies militaires privées dans de multiples conflits récents (par exemple au Libéria ou en Sierra Leone) – et leur participation à ce qu’il appelle une « diplomatie par procuration ». Son approche se veut descriptive et elle évite d’entrer dans les débats théoriques sur les supposées « nouvelles guerres ».
Le chapitre sur les groupes d’autodéfense ramène Pérouse de Montclos vers sa problématique de départ. De la très riche littérature sur les milices et les groupes de vigilantes, il fait une lecture stato-centrée. Il s’efforce de situer leurs rôles dans l’espace politique, notamment en période de démocratisation partielle et inachevée. Il y voit des structures qui ne sont guère en concurrence avec l’État et qui sont d’autant plus indispensables qu’il ne croit guère dans les réformes de la police. Il s’établirait des partenariats risqués, avec des dérives mafieuses, mais qui s’appuient sur un ordre moral « néo-traditionnel » – ce qualificatif rappelle que les milices se réfèrent volontiers au rôle de guerrier des jeunes de l’époque pré-coloniale – plutôt légitime. Il en appelle donc à un contrôle sinon à une régulation par l’autorité publique dont il s’efforce de cerner les contours en étudiant notamment quelques tentatives d’institutionnalisation des relations États/milices.
On devine que certaines formes d’États sont plus propices que d’autres à ces types de collaboration. Pourquoi le Kenya est-il si rétif à ces formes d’institutionnalisation alors que la Tanzanie organise des coopérations pragmatiques entre la police et les milices ? La sociogenèse de ces États amène quelques réponses (à travers notamment le traumatisme de la crise Mau Mau [2 et la persistance d’un système clientéliste hiérarchisé toujours efficace dans le cas du Kenya). Pérouse de Montclos nous suggère de nombreuses pistes de recherches mais qu’il renonce à défricher. Il reste dans des problématiques de science politique et ne cherche pas à intégrer dans sa réflexion les nombreux travaux d’anthropologie sur les milices, notamment ceux de Claire Médard sur leur rôle dans l’apparition de nouvelles plateformes identitaires et l’affirmation d’identités emboîtées dans la Rift Valley kenyane [3].
Une première version de ce texte a paru dans dans la revue Politique africaine.
par Hervé Maupeu [21-10-2009]
Notes
[]1 Andrew Burton, African Underclass. Urbanisation, Crime & Colonial Order in Dar es Salaam, Oxford, James Currey, 2005.
[2] Dans les années 1950, le pouvoir colonial britannique s’est heurté au Kenya à une guérilla aux fortes composantes anti-coloniales, préfigurant le mouvement d’indépendance ; dans le même temps, ce mouvement faisait partie d’une véritable guerre civile au sein des Gikuyu, l’ethnie dominante dans cette révolte.
[3] Claire Médard, « Quelques clés pour démêler la crise kenyane : spoliation, autochtonie et privation foncière » in Jérôme Lafargue (dir.), Les Élections générales de 2007 au Kenya. Les Cahiers d’Afrique de l’Est, n° 37 (2008), IFRA-Nairobi, p. 81-98.
http://www.laviedesidees.fr/L-Etat-et-la-securite-en-Afrique.html
A partir d'exemples majoritairement puisés en Afrique noire, ce livre analyse les dilemmes de la sécurité publique dans les États faibles.
Il montre notamment que si les polices des pays en développement sont rarement considérées comme des objets de recherche dignes de considération, elles constituent en fait un enjeu fondamental de
la construction de l'État. Leurs défaillances relèvent en effet de problèmes structurels et pas seulement conjoncturels. Elles ne sont ni récentes, ni limitées géographiquement. De façon
empirique, le visiteur de passage ou l'expatrié ne peut certainement pas les ignorer.
Les check points de police qui lui barrent la route sont bien visibles. Appelés bouchons en Afrique francophone, ils mettent en évidence toute une économie politique de la violence et du racket
qui consiste à rançonner la population au nom de l'État et au service d'intérêts privés. Ces pratiques d'extorsion ne sont pas de simples bavures : au vu de leur caractère systématique, il
convient assurément de les avoir à l'esprit si l'on veut réformer en profondeur les appareils sécuritaires des pays en développement.
Dans le même ordre d'idées, il importe également de dépasser les habituels lieux communs sur la prétendue " nouveauté " des phénomènes de privatisation de la sécurité depuis la fin de la
guerre froide. Historiquement, le monopole weberien de la " violence légitime " n'a été qu'une référence lointaine dans le cadre colonial d'États inachevés et jamais hégémoniques.
Autrement dit, parler aujourd'hui d'une " privatisation " de la sécurité perd beaucoup de son sens quand on sait que les polices coloniales défendaient déjà les intérêts d'une frange
minoritaire de la population, à défaut d'avoir été conçues comme un véritable service public.
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L'absolue nécessité d'un contrôle de l'autorité publique
L'auteur en quelques mots ...
Chargé de recherche à l'Institut de recherche pour le développement (1RD) et docteur en sciences politiques, Marc-Antoine Pérouse de Montclos travaille sur les conflits armés, les déplacements forcés et l'évaluation de l'aide humanitaire en Afrique subsaharienne.
Diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris où il enseigne, il a vécu plusieurs années au Nigeria, en Afrique du Sud et au Kenya et accomplit régulièrement des missions d'études en
Afrique. Il est l'auteur de nombreux articles et livres dont Le Nigeria (1994), Violence et sécurité urbaines (1997), L'aide humanitaire, aide
à la guerre ? (2001), Villes et violences en Afrique subsaharienne (2002), Diaspora et terrorisme (2003) et La guerre des
autres (2007).