Soixante-dix ans après, c'est une vision
inédite de cette période troublée de notre histoire que donne «Paroles de l'ombre», livre- document nourri des archives privées de nos
lecteurs
Des peintures d'enfants évoquent l'exode. Le récit d'un fils ressuscite un père milicien. Le journal d'un
maquisard tapi au fond des bois nous ramène à Noël 1943. Les notes et crayonnés d'une jeune résistante nous font revivre comme en direct son évasion de l'hôpital de la Petite
Roquette, un nourrisson dans les bras. Et des lettres griffonnées à la hâte nous remémorent la tragédie des condamnés à la déportation rassemblés à Pithiviers ou à Drancy... En feuilletant «Paroles de l'ombre», le grand
livre-témoignage des Français sous l'Occupation, c'est la vraie vie d'une époque troublée et troublante qui nous happe. Lettres, carnets et photos issus des archives privées des Français ou
documents mémorables, cet album d'un nouveau genre, savamment composé, contient de nombreux fac-similés glissés dans des enveloppes ou collés dans les pages. «Nous avons voulu faire
un livre vivant qui permette à tous les Français d'avoir l'histoire entre les mains, de posséder d'authentiques archives d'une époque clé», explique Laurent
Beccaria, directeur des éditions Les Arènes.
Les lecteurs du «Nouvel Observateur» (et de «Ouest-France») ont joué un rôle clé dans cette aventure éditoriale. Ils ont répondu à l'appel lancé dans nos colonnes par l'historien Jean-Pierre Guéno. «J'ai reçu des mètres de courriers et de mails. Des milliers de dossiers. De quoi faire quatre livres !», s'enthousiasme le fondateur de la collection «Paroles de...», qui a déjà rassemblé, par le même moyen, les Mémoires des poilus ou des soldats du débarquement. Quelle image se fait-on aujourd'hui de l'Occupation ? «Celle d'une époque où les Français n'ont été ni tout noirs ni tout blancs, où les choix ont été difficiles Que faire quand on est occupé ? La réponse est forcément complexe, et les Français d'aujourd'hui commencent à le comprendre», résume l'historien Jean-Pierre Azéma (lire ci-contre), conseiller de la série «Un village français» (France 3, les mardis, 20h35) qui retrace avec justesse l'évolution d'une bourgade jurassienne depuis le traumatisme de la défaite jusqu'à la Libération.
Mais dans ces «Paroles de l'ombre», il y a aussi l'émotion brute. Celle qui nous saisit, par exemple, en lisant la dernière lettre à sa fille d'un Maurice Popouneau, résistant de la première heure exécuté en 1944 : «Ne conserve pas de haine pour mes exécuteurs, travaille au contraire dans ta sphère et à chaque fois que tu pourras à l'union de tous les hommes quelles que soient leur race et leur nationalité.» Pour Jean-Pierre Guéno, un message primordial doit être transmis : «A notre époque d'individualisme forcené, nous devons nous souvenir que dans les deux heures qui ont précédé leur exécution ces héros authentiques n'ont fait que penser aux autres».
Lettres, photos, dessins et carnets.
Comment les français vivaient l'occupation
Sylvain Courage, Nicole Pénicaut
Le Nouvel Observateur