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http://www.histoire-immigration.fr/upload/file/ext_actu_image_606_Saigon-Lot.jpgEnquête sur les derniers rescapés de l'Indochine vivant dans un camp près d'Agen – Article de Doan Bui, disponible dans le Nouvel Observateur du 7-13 octobre 2010, pp. 34 - 38 incluses.


 

En 1954, les troupes françaises s’enlisent à Ðiện Biên Phủ, au Nord-ouest du Vietnam. Devant cette cuisante défaite, la France organise son retrait. 3000 Indochinois, fuyant la victoire du Viêt Minh, sont rapatriés par bateau jusqu’en France et parqués dans des « centres d’accueil », comme celui de Sainte-Livrade-sur-Lot. Rencontre avec ces rescapés de l’histoire.

 

Les naufragés de Sainte-Livrade

PAR Fabienne Thiry - Altermondes

http://www.altermondes.org/IMG/rubon66.jpg?1282638309

Il est midi à Sainte-Livrade-sur-Lot. Comme tous les vendredis, les habitants de cette petite ville du Lot-et-Garonne flânent le long des étals du marché. Au rond-point un homme, sac plastique à la main, regarde les voitures passer avant de s’engager sur la voie, l’air absent. Il a les yeux légèrement bridés, la peau mate et les cheveux noirs de jais. Nous continuons notre route. Rien dans la ville ne trahit l’existence, tout près, d’un camp d’accueil. Rien n’invite le voyageur curieux à rendre visite à l’histoire, à lever le voile de pudeur dont la France a recouvert sa honte, à emprunter la route qui mène devant les portes du Centre d’Accueil des Français d’Indochine (CAFI).

Entre fuite et désillusion

La voiture s’engouffre timidement dans ce lieu chargé d’histoire. Là où cinquante années plus tôt des bus déversaient par centaines des familles éclatées, fragilisées par la guerre. Là où cinquante années plus tôt un petit garçon de quatre ans pleurait dans les bras de sa mère, et refusait de descendre du car en répétant « c’est ça la France ? ». Là où aujourd’hui les pelleteuses remuent la terre et les souvenirs pour convertir les baraquements gris et bas, couverts d’un simple toit de tôle, en logements sociaux modernes. _Pour tous, l’arrivée au CAFI fut une expérience douloureuse : l’histoire d’un déracinement, d’un espoir aveugle mais surtout d’une désillusion. « On croyait qu’ici c’était le Paradis, qu’on aurait tout ce qu’on voulait  », explique Tu Mi, arrivé à l’âge de sept ans. «  On pensait que c’était provisoire  », renchérit Daniel Frèche, président de la Coordination des Eurasiens de Paris (CEP). «  La France nous a trahis  », confie Bernard Merlet, le regard sombre, la voix chargée d’amertume, qui est arrivé avec sa mère et ses sept frères et sœurs quand il avait seulement six mois et demi.

Chez Gontran, le restaurant au style asiatique « approximatif », Indochinois et régionaux déjeunent à la même table. Des spécialités vietnamiennes importées. Bien que le CAFI ait progressivement ouvert ses portes sur l’extérieur, le sentiment d’exclusion, de non intégration transparaît encore dans les discours. « On était un peu considéré comme des sauvages en arrivant ici, explique Thierry, né ici à la fin des années 60. Imaginez ! Des gens arrivent ici en pantalon kunta et chapeaux coniques. Certaines mamies ne parlaient pas un mot de français. C’est sûr qu’au début ça a dû paraître bizarre  ». Pour Bernard, qui a vécu toute sa vie dans la « Cité indochinoise  » comme il l’appelle, les Indochinois sont des Français que la France a toujours reniés, qu’elle a laissé dépérir sous un manteau d’oubli. « Il n’y avait aucun blanc ici. Que des blancs jaunes comme moi  ».

Dehors, Patricia, retraitée du camp, nous fait signe de la rejoindre. Nous la suivons dans une ruelle vide où le passé hante les murs des baraques encore debout. Des toilettes extérieures en tôle, aux cadenas rouillés par le temps, trahissent les conditions de vie difficile des premiers arrivants. «  Vous savez pourquoi les Indochinois appellent le CAFI « le camp » ?, lance-t-elle au creux d’un silence prolongé. Parce qu’en 1956, quand ils sont arrivés, tout était barbelé. Ils n’avaient pas le droit de recevoir des gens, ni de regarder la télévision. Ils n’avaient droit à rien  ». Pris au piège entre quatre murs, soumis à la tutelle de l’Etat, jusqu’au début des années 80, les habitants du CAFI subissaient sans rechigner les termes d’un contrat qu’ils n’avaient pas choisi. « Les directeurs qui nous commandent ici, ce sont des Français colonialistes  », rapporte Jacqueline Le Crenn, 98 ans, la doyenne du camp, qui remonte le fil de son passé, le bonnet de laine enfoncé sur la tête, les yeux plissés dans un effort de mémoire considérable. « On nous a mis ici pour nous surveiller ».

Un enracinement difficile

Au rythme du tic tac de l’horloge familiale, elle revient sur l’organisation de la vie au camp. « On nous a tous mis dans des baraques. Le toit est en tôle. Il n’y a pas de plancher. Il y a des puces qui nous piquent la nuit. On nous donne à chacun un lit, une assiette, quelques casseroles et des fourchettes militaires… Et un poêle à charbon pour nous chauffer, mais on ne sait pas comment l’utiliser ! Alors on dort tous les quatre avec mes trois enfants, serrés comme des petits cochons, dans des couvertures militaires  ».

« Nos parents manquaient de tout », explique Thierry, alors que nous longeons le petit jardin du camp où poussent encore des plantes exotiques, semées par les premiers rapatriés il y a cinquante ans. « Quelques jours après notre arrivée, on nous a envoyés cueillir des haricots au champ », dit Jacqueline. L’Etat avait en effet donné son accord aux paysans de la région pour qu’ils viennent se servir en main d’œuvre bon marché. « On était payé un franc de l’heure, treize heures par jour. Et pour nourrir huit enfants ! », ajoute Simone Franzi, 84 ans, ancienne gardienne de la Pagode du camp. L’été fini, les champs cédaient la place au travail à l’usine, «  à monter des boîtes de conserve de viande glacée, dès quatre heures du matin. Et interdit de mettre des gants. Il faut emboîter vite, très vite », raconte Jacqueline.

Pour les enfants, la vie aussi était difficile : « tous les enfants travaillaient dans l’usine de haricots  », explique Patricia. «  J’ai vécu les étés où tu allais dans une famille d’accueil pour travailler, se souvient Thierry. On venait te chercher en 4L. Tu ne savais même pas chez qui tu débarquais et, parfois, tu ne voyais pas tes frères et sœurs pendant quatre mois ». Les enfants ont cependant réussi à s’épanouir, dans l’ignorance des souffrances endurées par leurs parents. « Ce sont les parents qui souffraient, explique Tu Mi. Mais ils ne disaient rien. Et moi, je ne comprenais pas ce qui nous arrivait ! ». Thierry intervient : « Moi j’ai plus de bons que de mauvais souvenirs. On avait peut-être tout perdu mais on avait cette grande richesse d’être tous ensemble  ».

De l’envol au pèlerinage

Si le camp accueillait à ses débuts 1500 personnes, il souffre aujourd’hui de son dépeuplement et du vieillissement de sa population : seulement 300 Indochinois y vivent encore, laissant les trois-quarts des habitations inoccupées, certaines portes murées par peur d’être franchies, des ruelles à l’abandon. « Aujourd’hui, tu as l’impression que c’est plus pour des retraités. Les gens sont partis car il n’y avait pas de travail ici  », explique Thierry, revenu au camp après avoir travaillé dix ans sur Paris. Pour beaucoup de jeunes, l’expérience d’une vie hors du camp leur était imposée pour la survie de leur famille : « Ils savaient que derrière il y avait les parents, les frères et sœurs qui attendaient qu’ils trouvent du travail pour envoyer de l’argent à la maison  ».

Étrangement, les enfants des enfants du CAFI - comme Thierry - gardent un lien très fort avec le camp : « On est le village des irréductibles. Tant qu’il restera ne fut-ce qu’un Eurasien ici, ça restera « le camp  » ! » « On attend avec impatience le 15 août, déclare Patricia, enthousiaste. C’est le moment où se retrouvent tous ceux qui sont partis et ceux qui sont restés  ». L’occasion de se rassembler autour de la mémoire d’un lieu que les travaux engagés par le Conseil régional menace de dénaturer. « C’est la fin d’une histoire, confie Patricia, alors que nous marchons vers la voiture. L’âme du CAFI ne sera plus comme avant  ».

Entamés en 2008, les travaux de rénovation transformeront bientôt le « camp des oubliés » en résidence modeste, à la population mixte. Que restera-t-il, alors, du CAFI et de sa mémoire ? Deviendra-t-il un quartier ordinaire ? Pour Daniel Frèche, cette rénovation ne fait que s’ajouter à l’absence de volonté politique du Gouvernement de reconnaître les souffrances morales et matérielles endurées par les Français d’Indochine depuis leur rapatriement. Les jeunes sont moins hostiles. « Ça va changer des choses, concède Thierry. Peut-être en mieux, peut-être en pire. On verra bien le moment venu. En tout cas, on ne peut pas rester éternellement comme ça ».


Pour empêcher la disparition de la mémoire du CAFI, la CEP a entamé des négociations pour obtenir la réhabilitation du camp en « lieu de mémoire  », musée vivant pour que perdure, au-delà du départ de ses enfants, le souvenir d’une communauté trop longtemps laissée dans l’oubli.

http://www.altermondes.org/spip.php?article868

 

 

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