Document 2006 - Longtemps, le métier des armes est resté l'affaire des mercenaires et de quelques ambitieux qui, comme d'Artagnan, avaient assez de chance, de patience et de valeur pour mériter la faveur du roi.
Mais lorsque Louis XIV secondé par Louvois entreprit de proportionner l'appareil militaire à ses ambitions, il fallut multiplier les régiments et mettre sur pied une armée permanente. L'engagement dans la carrière militaire cessa alors d'être le privilège de quelques-uns pour devenir, à la fin du règne, le lot commun de 20 000 officiers. L'administration de cette armée gigantesque exigea l'application de procédures et de principes nouveaux.
Comment, à l'école de la guerre, la monarchie apprit-elle à concevoir les bases encore fragiles d'un véritable service
public rendu au roi et à la nation ? Comment, de leur côté, les gens de guerre firent-ils leur apprentissage ? Une culture nouvelle avec ses exigences de discipline, d'économie et d'exactitude
prit place parmi les traditionnels idéaux guerriers, pour former l'archétype du parfait officier, aussi ponctuel que courageux.
Or c'est dans l'univers social des gentilshommes, a priori le plus rétif à l'égalitarisme niveleur et à la docilité, que
s'enracina cette éthique du service dont notre fonction publique est - ou devrait être - l'héritière. Au terme de ce processus d'acculturation, l'honneur noble finit par intégrer la loi du
mérite. Non sans soulever quelques paradoxes. Car c'était parfois au nom du service que certains officiers prenaient le risque de se battre en duel et d'outrepasser ainsi les prescriptions
royales.
L'honneur, dont Montesquieu nous apprend qu'il était le principe même de la monarchie, pouvait introduire dans la culture
du service l'idée d'un dépassement, le rêve d'une ambition, la susceptibilité d'un amour propre et peut-être, an fin de compte, cette part d'irréductibilité qui faisait, pour beaucoup, l'essence
de la noblesse. Ce qu'on appelle l'impôt du sang.
L'impôt du sang - Le métier des armes sous Louis
XIV
Hervé Drévillon
Paru le 5 janvier 2006 aux Editions Tallandier
L'auteur en quelques mots en 2006 ...
Hervé Drévillon, agrégé d'histoire et docteur ès lettres, est maître de conférences en histoire moderne à l'université de Paris I-Sorbonne.
On lui doit une courte biographie de Nostradamus (avec Pierre Lagrange,
Gallimard, Découvertes, 2003), une Histoire culturelle de la France, 16e-18e siècle (Armand Colin, 2002), et surtout deux livres novateurs sur
la France du Grand Siècle (Champ Vallon, 1996) et Croiser le fer : violence et culture de l'épée dans la France
moderne (avec Pascal Briorist et Pierre Serna, Champ Vallon, 2002).