Document 2001 - En 1821, le docteur Esprit Blanche
fonde une maison de santé, un asile d'un genre tout à fait nouveau, établi sur le modèle d'une pension de famille.
A Montmartre puis à Passy, les patients vont partager la vie quotidienne du médecin, de sa femme et de ses enfants, dîner à leur table, se promener dans leur parc de cinq hectares. De cette
initiative va naître l'une des institutions les plus célèbres d'Europe, refuge de la génération romantique et de Gérard de Nerval en particulier. Elle abritera les vertiges de Charles Gounod, la
mélancolie de la famille Halévy, les crises d'hystérie de Marie d'Agoult.
Théo Van Gogh, le frère de Vincent, en sera l'un des derniers patients avec Guy de Maupassant qui, atteint de syphilis, y finira ses jours après un an et demi de délires. Par l'hydrothérapie mais
aussi par un " traitement moral ", qui a peut-être ouvert la voie à la psychanalyse, Esprit Blanche puis son fils Emile ont tenté de répondre au désarroi d'une époque hantée par le spleen et la
fatalité des tares héréditaires. Grâce à la découverte d'archives inédites, détaillant des milliers de diagnostics que l'on croyait perdus, Laure
Murat nous révèle pour la première fois l'aventure d'un lieu sans équivalent dans l'histoire de la psychiatrie, maillon essentiel dans l'étude des rapports entre la folie et la
création.
Broché
Paru le : 14/03/2001
Editeur : JC Lattès
Ce titre dans d'autres formats & éditions
La maison du docteur Blanche.
Histoire d'un asile et de ses pensionnaires, de Nerval à Maupassant
(Hachette) 8,74 €
L'auteur en quelques mots...
Née en 1967, Laure Murat, journaliste et écrivain, est l'auteur de plusieurs ouvrages sur l'art et la littérature au XIXe siècle.
Elle a notamment publié Palais de la nation (Flammarion, 1993) et Paris des écrivains (Le Chêne, 1990)...
Par Cécile Pivot (Lire), publié le 14/01/2002
En 1821, le docteur Esprit Blanche fonde une maison de santé, qui deviendra l'une des
institutions les plus réputées d'Europe. Son fils, Emile, poursuivra le travail de son père. Entre la naissance du père et la mort du fils, un siècle s'est écoulé, qui sépare l'invention de la
psychiatrie institutionnelle de l'avènement de la psychanalyse. Laure Murat, journaliste et écrivain, narre l'aventure d'un lieu sans équivalent dans l'histoire de la psychiatrie.
Peu de temps avant qu’Esprit Blanche fonde son asile, l’aliéné était à peine mieux considéré qu’un animal et avait des fers aux pieds. Le couple Blanche est totalement novateur dans son concept de maison de famille. Ne les considérait-on pas comme des êtres quelque peu farfelus ?
L’idée est moderne, mais je ne pense pas qu’elle soit novatrice. Esprit Blanche n’était pas un pionnier. Avant lui, Philippe Pinel et Etienne Esquirol, les deux fondateurs, en quelque sorte, de
la psychiatrie française, recevaient déjà des patients chez eux. Les directeurs d’asiles publics vivaient avec leurs patients, même s’ils avaient leur propre pavillon. Vivre en famille
complètement, c’est vrai que c’était un peu plus révolutionnaire. Mais si vous pensez aux couvents ou aux Frères de la charité à Charenton, l’idée de vivre ensemble était dans l’air. Esprit
Blanche va apporter une infrastructure à cela. Le père et le fils étaient novateurs, courageux, énergiques, et possédaient le goût de l’initiative privée. Ce qui est remarquable, par rapport à
un service public qui battait de l’aile.
Montmartre, puis Passy (*),
accueilleront de nombreuses célébrités. Pourquoi cette dernière maison, plus qu’une autre, est-elle devenue, pour reprendre les termes de Gérard de Nerval, une sorte de villa «fashionable et
même aristocratique» ?
L’intérêt de la maison du docteur Blanche réside dans son contraste avec l’asile public, véritable mouroir. Contrairement à ce que l’on croit, beaucoup d’aliénés sont encore enchaînés et vivent
sur de la paille. Dans un rapport datant de 1870, il est suggéré de chauffer les cellules des aliénés car, sans doute, ces derniers seraient sensibles au froid et au chaud ! Cinquante ans plus
tôt, Esprit Blanche, lui, traitait les aliénés comme des patients. Par ailleurs, la notoriété de cette maison tenait à son confort. Quel luxe par rapport à l’hôpital !
Cette maison s’est même distinguée des autres institutions privées…
Les instituts privés de l’époque ne sont pas nombreux, une quinzaine, et aucun ne rivalise avec la
maison du docteur Blanche, qui est la mieux placée, et où le personnel est très nombreux. C’est une maison fort luxueuse, aux tarifs très élevés, même si les Blanche sont connus pour leur
générosité et leur désintéressement. Les militaires, les artistes et les ecclésiastiques ne paient pas. Nerval a pu y séjourner longtemps sans débourser d’argent. Ce qui la distingue également
des autres, c’est cette bienveillance à l’égard du malade et, surtout, le temps qui lui est accordé. François Leuré, grand psychiatre de l’époque, et qui exerçait je crois à la Salpêtrière,
avait calculé qu’il ne pouvait consacrer que dix-huit minutes par an à chaque patient. Les Blanche ne connaissent pas ce problème : ils accueillaient 98 malades pour 4 docteurs et une centaine
d’infirmiers.
Un chapitre passionnant est consacré à la folie des femmes. Selon les médecins de l’époque, la femme du XIXe siècle porte et développe le vice dans son sang…
C’est l’esprit du temps. Tout comme cette époque veut que le médecin a raison et le patient tort, elle décrète que le médecin a raison et la femme tort. Spinoza, dans l’un de ses ouvrages,
écrit : «Le fou, la femme bavarde et l’enfant». C’est ça, le XIXe, le regard d’une société où l’homme, tout-puissant, regarde le fou, la femme et l’enfant comme des êtres inférieurs.
Même si le docteur Blanche écoutait, la thérapie par la parole n’existait pas encore.
Elle n’était pas théorisée. On était donc très loin de la psychanalyse. A un moment, Blanche dit :
«Il faut s’efforcer de les écouter sans les interrompre», ce qui prouve bien que cela l’ennuie. Le docteur Blanche a une opinion très arrêtée de ce qui est bien ou mal, vrai ou faux, sain ou
malade. Il faut entrer dans l’une de ces catégories, un point c’est tout.
Il existe de nombreuses théories sur l’histoire de la psychiatrie au XIXe siècle. Michel Foucault explique par exemple que le fou, libéré de ses chaînes, mais enchaîné par le discours
autoritaire et monovalent du psychiatre, se retrouve bien plus prisonnier que lorsqu’il était physiquement attaché.
Parmi les patients du docteur Blanche, citons Gérard de Nerval et Guy de Maupassant. Le premier parvient à analyser sa folie, comme s’il se dédoublait, tandis que le second écrit des
romans fort prémonitoires, comme Le Horla ou Madame Hermet…
Nerval a véritablement vécu sa folie. On lui attribue une psychose maniaco-dépressive, peut-être doublée d’une schizophrénie, maladie très grave et incurable, que l’on ne soigne aujourd’hui que
par la chimie. Nerval a cette expérience double : le rêve éveillé et sa thérapie personnelle, le voyage et l’écriture. Il tente d’apprivoiser sa folie. Maupassant, lui, est fasciné par la folie
comme par un objet étranger. Il fait des expériences d’otoscopie (lorsque l’on se voit soi-même). Atteint de la syphilis, maladie organique à l’origine de la dégradation de son cerveau, il ne
se situe pas dans la catégorie maladie mentale. A l’époque, la différence entre la syphilis et les maladies mentales n’a pas été encore faite. Aujourd’hui, Maupassant aurait été admis à
l’hôpital général.
Combien de temps avez-vous mis à écrire La maison du docteur Blanche ?
Trois ans, en ne faisant que ça. Un travail passionnant, jusqu’à la promotion du livre ! (rires) Il a parfois été difficile de plonger à ce point dans ces destins si douloureux, si intimes… On
a l’impression d’entrer dans la vie des gens par effraction. Le travail d’archives a été long, patient et un peu acharné.
Jacques Blanche, à la demande de son père Emile, avait brûlé tous les dossiers de ses malades. Ça n’a pas dû faciliter vos recherches…
Il a probablement brûlé les dossiers médicaux, mais il existait par ailleurs les registres de la clinique. Ces derniers étaient conservés, la loi de 1838 régissant les aliénés en France
imposait de les conserver. Après une longue enquête, j’ai mis la main sur ces douze gros volumes. U moment très impressionnant et émouvant. Je crois qu’une découverte comme celle-là n’arrive
qu’une fois dans la vie d’un chercheur. J’ai recoupé cette source avec la correspondance familiale, qui est conservée à l’Institut de France. D’une certaine façon, le livre était fait.
*L’implantation de la clinique aura d’abord lieu à Montmartre, à la Folie-Sandrin, puis à Passy, dans l’ancien hôtel de la princesse de Lamballe.
http://www.lexpress.fr/culture/livre/laure-murat-chez-les-docteurs-blanche_805965.html