Document 2010 - Fils de coquin, coquin lui-même et frotté à plus coquin que lui, don Pablos de Ségovie tente de se faire une place dans la cité. Quevedo nous décrit
les mésaventures souvent cruelles, toujours cocasses, de ce jeune homme confronté aux impossibilités d'une ascension sociale, dans une Espagne surendettée où la hiérarchie des ordres le cède peu
à peu aux rapports de classe : l'unique noblesse, désormais, est celle que procure don Dinero, c'est-à-dire l'Argent.
Satire corrosive de la société urbaine du Siècle d'or, la Vie du truand don Pablos de Ségovie, vagabond exemplaire et
modèle des filous se présente à la manière de sketchs décapants, qui reprennent les situations et les modèles en vogue dans la littérature de l'époque pour les caricaturer jusqu'à l'extrême. Un
livre de divertissement, donc, où mots d'esprit et calembours donnent au texte une liberté provocante.
Né à Madrid en 1580, mort à Villanuerva-de-los-Infantes en 1645,
Francisco de Quevedo est l'un des plus grands écrivains du Siècle d'or espagnol. Ce
contemporain de Cervantès brilla dans les genres les plus variés : poésie, philosophie, critique littéraire, roman, politique, théâtre, religion, etc. Publié en 1626, le texte satirique El buscón
(La Vie du truand don Pablos de Ségovie) circula sous forme de copie manuscrite dès 1611, sorte de littérature underground où la créativité s'élaborait à l'abri de la censure.
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La revue de presse Philippe Lançon - Libération du 25 novembre 2010
Francisco de Quevedo est l'un des premiers écrivains du Siècle d'or et son meilleur poète. Le Buscón ouvre sa veine
sarcastique : de l'expressionnisme pur, sans intériorité romanesque, où le héros, fils d'un barbier voleur exécuté et d'une sorcière juive brûlée, neveu du bourreau ivrogne et anthropophage qui
exécuta son père, se perd dans un flot de gerbe et de verbe, de merde et de vomissures, entre putes et voleurs, chevaliers faméliques et séducteurs de nonnes, faux prêtres et mauvais poètes,
jusqu'à sa fuite vers le Nouveau Monde...
C'est le dernier des trois romans fixant un genre qu'il achève par le mépris et dans la virtuosité, le genre picaresque.
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Les courts extraits de livres : 06/12/2010
Qui raconte qui et d'où je suis - Moi, monsieur, je suis
de Ségovie. Mon père, natif lui aussi de cette ville, se nommait Clémente Pablo (Dieu l'ait en Sa sainte garde). Tous ceux qui l'ont connu vous le diront : il était barbier de son état. Mais il
avait un si noble coeur qu'il trouvait ce terme offensant et préférait dire qu'il était tondeur de joues et tailleur de barbes. On dit aussi qu'il était de bonne souche, de vigne fort
probablement, vu son goût pour la boisson.
Il avait pour femme Aldonza de San Pedro, fille de Diego de San Juan, et petite-fille d'Andrés de San Cristobal. Les mauvaises langues prétendaient qu'elle n'était pas chrétienne de longue date, mais elle, alléguant les noms et prénoms de ses aïeux, affirmait qu'elle descendait d'une lignée irréprochable. Elle avait été très belle, et si connue en son temps que presque tous les chansonniers d'Espagne la célébrèrent à leur façon.
Au début de son mariage et même par la suite, elle eut à souffrir de la médisance, certains faisant courir le bruit que mon père savait plumer l'oie sans la faire crier. Il fut prouvé que toutes les fois qu'il coupait une barbe, pendant qu'il rinçait les joues de l'homme qu'il rasait en lui tenant haut le menton, un de mes jeunes frères, âgé de sept ans, en profitait pour lui vider les poches. Le pauvre enfant mourut en prison sous le fouet. Mon père en éprouva un grand chagrin, car le chérubin ravissait le cœur de tous ceux qu'il approchait.
Lui-même fut jeté au cachot pour de simples vétilles ; encore que, à ce qu'on m'a dit par la suite, il y fut honoré, car il en sortit plus violet qu'un évêque, mais sans le titre de «Monseigneur». Les dames, paraît-il, se mettaient aux fenêtres pour le voir passer, car mon père avait toujours eu belle allure, à pied comme sur une monture. Et n'allez pas croire que je cherche à me vanter, tout le monde vous dira que ce n'est pas dans mon caractère.
Ma mère aussi connut quelques malheurs. Un jour, voulant me chanter ses louanges, la vieille qui prenait soin de moi me dit que ma mère avait tant d'attraits qu'elle ensorcelait tous ceux qui la fréquentaient. Mais, ajouta-t-elle, comme on avait parlé à son propos de pieds fourchus et de sabbat, elle avait bien failli être emplumée, et obligée à d'autres ébats, sur la place publique cette fois. Elle n'avait pas sa pareille pour refaire des virginités, pour redonner une jeunesse aux femmes en dissimulant leurs cheveux blancs. Certains l'appelaient ravaudeuse de plaisirs ; d'autres chirurgienne d'amours disloquées, ou tout simplement maquerelle. Les uns disaient qu'elle avait la main crochue, les autres la main pleine, mais qu'à tous les coups, elle faisait main basse sur la mise. Il fallait la voir s'esclaffer quand on le lui disait en face : il y avait de quoi vous réjouir le coeur !
Auteur : Francisco de Quevedo
Préface : Edmond Cros
Traducteur : Aline Schulman
Date de saisie : 06/12/2010
Genre : Romans et nouvelles - étranger
Éditeur : Fayard, Paris, France
Collection : Littérature étrangère
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