Meurtre au Figaro : l'affaire Caillaux

Document 2007 - Meurtre au Figaro - Le 16 mars 1914, vers 17 heures, une bourgeoise élégante descend d'une voiture à cocarde tricolore et pénètre dans l'immeuble du Figaro, rue Drouot. À peine entrée dans le bureau de Gaston Calmette, le directeur du journal, elle dégaine un browning de son manchon et vide son chargeur sur l'infortuné journaliste.

Un fait divers ? Loin de là ! La meurtrière n'est pas n'importe qui : la propre femme du ministre des Finances, Joseph Caillaux, le chef du parti radical qui est en passe de prendre en main les destinées du pays. Commence alors le plus grand scandale politique que la France ait connu depuis l'Affaire Dreyfus.

À partir des archives du procès, Jean-Yves Le Naour retrace les dessous judicaires de cette affaire, qui tourne à un grand déballage entre vie privée et vie publique où le sang, le sexe et les coups bas politiques sont étroitement liés.

Jean-Yves Le Naour, historien et spécialiste de la Première Guerre mondiale, a publié de nombreux ouvrages parmi lesquels Le Corbeau (2006) et Claire Ferchaud, la Jeanne d'Arc de la Grande Guerre. (2007)

• Les courts extraits de livres : 05/12/2007

Je reçois toujours les femmes - Le 16 mars 1914, à cinq heures du soir, une automobile s'arrête devant l'immeuble du Figaro, au 26 rue Drouot. La femme qui en sort, élégamment vêtue dans sa robe de satin noir, est âgée de tout juste quarante ans. Les cheveux blonds, l'air hautain, elle se dirige avec détermination vers le bureau de Gaston Calmette, le directeur du quotidien. Comme elle se présente devant l'huissier Étienne Nicet, elle apprend que le patron est absent. Qu'à cela ne tienne : elle attendra. S'installant d'autorité dans le salon du premier étage, elle se dérobe quand l'employé ose lui demander son identité : Gaston Calmette la connaît, assure-t-elle, et par conséquent il la recevra. Étienne Nicet s'efface donc, comme un domestique congédié, sans se douter que la visiteuse dissimule un revolver dans le manchon où elle a enfoui ses mains.

Personne n'a reconnu en elle la femme du ministre des Finances Joseph Caillaux, que le journal accable d'injures depuis bientôt quatre mois. Et pour cause : avant de se faire conduire au Figaro, dans cette caverne de plumitifs acharnés à la perte de son mari, elle a pris la précaution d'ôter la cocarde tricolore qui orne son véhicule et risquerait de trahir son identité. Pendant une heure, elle reste assise, droite et silencieuse, d'un calme imperturbable, sans jamais donner signe d'une quelconque nervosité. C'est à peine si elle feuillette d'un air distrait les quelques magazines illustrés abandonnés sur un coin de table à la curiosité des visiteurs. Et pourtant, Henriette Caillaux est troublée et émue, même si elle n'en laisse rien paraître. En effet, lorsqu'un dessinateur et un agent publicitaire discutent à proximité de gravures de mode que l'on devra insérer dans un prochain numéro du Figaro, Mme Caillaux croit entendre le nom de son mari et l'annonce de la parution d'un article violent à son encontre pour le lendemain. En proie à la surexcitation sous un dehors glacial, elle est tout simplement victime d'hallucinations auditives.

À 18 heures, son attente s'achève. Gaston Calmette (en médaillon) arrive enfin. Mais il n'est pas seul : sur ses talons, l'écrivain mondain et académicien Paul Bourget, qui vient l'entretenir d'une affaire personnelle. Les deux hommes sont pressés. Calmette passe en coup de vent dans son bureau récupérer son courrier, s'entretient cinq minutes avec son ami, et repart aussitôt. Comme Bourget dispose d'une voiture, il propose à Calmette de le déposer sur l'avenue des Champs-Élysées où le directeur du Figaro a rendez-vous avec une personnalité politique de premier plan qui alimente quotidiennement sa campagne de presse contre Caillaux. Il est 18 heures passées de quinze minutes quand Gaston Calmette, qui vient de poser la main sur la rampe de l'escalier, est rattrapé par l'huissier.

«Une femme vous attend, lui glisse-t-il à l'oreille.

• Des visites ? Vous en aurez toute la journée. Moi je suis pressé, venez donc», objecte l'écrivain

• Mais le directeur du quotidien est intrigué : Nicet vient de lui remettre une enveloppe bordée de noir portant la vignette de la Chambre des députés. Cette enveloppe, Henriette Caillaux l'a préparée à son domicile pour éviter toute publicité sur sa présence au Figaro. Calmette fait un pas en avant, ouvre le pli, et s'arrête brusquement devant les marches, comme stupéfait.

• «Non !», s'exclame-t-il.

  Bourget, interloqué, voit subitement le visage de son ami se crisper, gagné par la préoccupation. «Je ne dirai pas du tout une inquiétude, précisera-t-il plus tard, mais l'hésitation d'un homme qui se demande ce qu'il va faire». Aussi l'écrivain l'interroge-t-il :

  «Mais enfin, qui est-ce donc ?»

  Lentement, Calmette fait glisser la carte de visite contre l'enveloppe jusqu'à ce que le nom de la mystérieuse visiteuse apparaisse. Cette fois, c'est au tour de l'académicien d'être abasourdi :

  «Vous allez la recevoir ? Mais qu'est-ce qu'elle peut avoir à vous dire ?»

  Et aussitôt Bourget songe à une scène pénible, des supplications, des menaces, des pleurs peut-être, pour que le Figaro cesse la campagne politique entreprise contre Joseph Caillaux.

  Mais Calmette a pris sa décision :

  «Je reçois toujours les femmes.»

  Et il fait signe à Nicet de faire entrer la dame en question dans son bureau. Bourget le presse de faire vite, et, par discrétion, se détourne afin de ne pas croiser le regard d'Henriette Caillaux quand elle passe à côté de lui.

Auteur : Jean-Yves Le Naour

Date de saisie : 03/10/2007

Genre : Histoire

Éditeur : Larousse, Paris, France

Collection : L'histoire comme un roman

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