Document archives du 01/11/2005 - Entretien avec Christian Carion, le réalisateur du film
Historia - L'idée du film Joyeux Noêllremonte à votre enfance...
Christian Carion - Je suis né près de Bapaume où¹ mon père exploitait une trentaine d'hectares. Dans cette région, on compte de très nombreux cimetières militaires britanniques. Quand vous étes enfant, ce sont des lieux qui vous marquent. Ils sont dans un état impeccable : le fameux gazon anglais. c'aurait pu étre des aires de jeu, mais l'on nous expliquait pourquoi ils se trouvaient au milieu des champs : les Anglais étaient enterrés là où ils tombaient. Mon père cultivait un champ avec soixante tombes au milieu, ce qui obligeait à quelques manoeuvres au moment des labours et des récoltes.
H. - Comment avez-vous eu connaissance de l'épisode de fraternisation ?
Ch. C. - Il y a dix ans, je suis tombé par hasard sur un livre d'Yves Buffetaut, Batailles de Flandres et d'Artois, 1914-1918 (Guides Historia/Tallandier), qui racontait les combats dans le secteur de mon enfance. Dans cet ouvrage, il y avait une page sur l'incroyable Noêl de 1914. J'ai été fasciné de lire qu'un match de foot avait été organisé entre adversaires (les Britanniques avaient toujours un ballon dans leur sac) et qu'un ténor allemand avait chanté dans la nuit de Noêl, puis était sorti de la tranchée et s'était avancé vers les soldats ennemis qui avaient applaudi.
Je suis entré en contact avec Yves Buffetaut et nous avons mené une enquéte au War Museum de Londres, aux archives de l'armée française à Vincennes, et à Nanterre où est encore conservée une partie des archives allemandes.
H. - Quelles étaient les archives les plus importantes ?
Ch. C. - Les archives anglaises. Les Britanniques ont un rapport à cette guerre complètement différent du nôtre. A l'époque, les Français étaient dans la revanche ; c'était presque passionnel. Les Anglais, eux, n'étaient pas vraiment concernés par l'Alsace et la Lorraine. Mais, à partir du moment où les armées allemandes ont envahi la Belgique, les Britanniques ont décidé de franchir la Manche, non pas pour libérer les Belges, mais pour empécher les Allemands d'accéder à la mer du Nord, aussi vitale pour eux que la Méditerranée l'était pour Rome dans l'Antiquité.
H. - Quels enseignements avez-vous tiré de ces archives ?
Ch. C. - A travers les lettres, les documents militaires, les journaux de l'époque, les photos, je voulais rassembler les anecdotes et comprendre l'état d'esprit des soldats. En plusieurs endroits, indépendants les uns des autres, des soldats ont fraternisé. Mais j'étais persuadé qu'on n'arriverait pas à faire un film uniquement sur des faits, si incroyables soient-ils. D'où un deuxième travail, plus difficile, de création. J'ai donc imaginé des personnages, français, britanniques et allemands pour les placer dans une situation de fraternisation qui avait réellement existé. D'autres personnages m'ont été inspirés par des lectures, comme le lieutenant Audebert (interprété par Guillaume Canet) trouvé dans le superbe livre de Maurice Genevoix, Ceux de 14 .
H. - Vous avez tout rassemblé en un seul lieu et en une seule date, 1914, pourquoi ?
Ch. C. - D'autres tentatives de fraternisations ont effectivement eu lieu en 1915. Mais les états-majors avaient retenu la leçon. En 1914, ils avaient été pris de cours. Alors, en 1915, ils ont fait bombarder les secteurs où ils jugeaient les hommes susceptibles de fraterniser, ou bien ils y ont envoyé des types très durs. Il faut comprendre que Noêl 1914 est vraiment un moment particulier : la guerre n'a commencé que depuis cinq mois et le paysage ressemble encore à ce qu'il était avant le conflit. Ce n'est pas le décor lunaire qui apparaît à partir de 1916-1917 après les vagues de bombardements. c'à m'intéressait de montrer quelque chose qui ne soit pas de l'imagerie classique, si l'on peut dire, de Verdun. J'ai vu beaucoup de films sur 14-18 : je savais que décembre 1914 n'était en rien comparable à ces reconstitutions.
H. - Vous voulez construire un monument à la mémoire de ces soldats, pourquoi ?
Ch. C. - L'association Noêl 14, présidée par Bertrand Tavernier, a acheté un terrain à Neuville-Saint-Vaast, à quelques kilomètres d'Arras. Parce que c'est là qu'un soldat français, Louis Barthas, a écrit : " Qui sait ! peut-étre un jour sur ce coin de l'Artois on élèvera un monument pour commémorer cet élan de fraternité [...]. " Je suis fasciné par cet homme capable d'imaginer ces mots au début de la guerre. c'à m'émeut aux larmes que des gens qui se tuent, suspendent le conflit, à la faveur de deux ou trois bougies, quelques sapins et un peu de neige. Je trouve ça magique. J'ai donc voulu porter à l'écran mon émotion en espérant la faire partager. J'ai voulu également comprendre, en lisant les documents et les lettres, l'état d'esprit des soldats. Ils ne fraternisent pas par rébellion. Ce ne sont pas des lâches. Les soldats français et allemands qui sont sur le terrain comprennent, contrairement à leurs états-majors, qu'ils vivent la méme chose. Ils se sentent solidaires. Ce sont des personnes ordinaires, un boulanger, un coiffeur, qui ont décidé cette fraternisation, sans leur hiérarchie. Le temps d'une nuit, ils ont fait l'Europe des peuples. Ensuite, après deux guerres et d'immenses massacres, les politiques ont entrepris de construire l'Europe.
En m'intéressant aux fraternisations, j'ai compris aussi pourquoi et comment cette guerre avait été entièrement décidée par le pouvoir politique en Allemagne, en France et en Grande-Bretagne. Le commun des mortels ne la voulait pas. Nombre d'historiens affirment désormais qu'à Noêl 1914, on pouvait trouver la paix. Benoît XV, le pape de l'époque, appelait de tous ses voeux un accord à la faveur de Noêl. C'était alors réalisable. Il ne fut pas entendu. Parce que les trois puissances politiques ne le voulaient pas.
Par François Quenin (Propos recueillis par) pour HISTORIA
Le temps d'une nuit, les soldats de 1914 ont fait l'Europe
http://www.historia.fr/content/recherche/article?id=9103
Monument des fraternités
L'association Noêl 14 travaille avec la Délégation des arts plastiques du ministère de la Culture sur son projet de monument des fraternités à Neuville-Saint-Vaast (Pas-de-Calais) qui devrait étre concrétisé en 2006.
La guerre de 1914-1918 comme jamais nous ne l'avions encore vue au cinéma. Dans Joyeux Noêl, Christian Carion choisit de célébrer le silence des armes. Le cinéaste d' Une hirondelle a fait le printemps plante d'abord le décor : un élève de chaque nationalité, allemande, britannique, française, récite un poème qui justifie la haine de l'ennemi. La déclaration de guerre surprend les personnages chez eux. En Ecosse, le père Palmer (Gary Lewis) décide de s'engager comme brancardier. En Allemagne, le ténor Nikolaus Sprink (Benno Fàermann) voit arriver au cours de son récital un militaire qui annonce le début des hostilités aux spectateurs. Plus tard, au front, le lieutenant français Audebert (Guillaume Canet), mort de trouille, conduit son bataillon à l'assaut. Dans ce coin du nord-est de la France (reconstitué en Roumanie puisque Carion n'a pas obtenu l'autorisation de l'armée française de tourner sur un terrain militaire près d'Angouléme), des chants montent des tranchées dans la nuit de Noêl. Et l'impensable se produit : le ténor allemand Sprink entonne Douce nuit tandis que l'accompagnent les cornemuses écossaises. Soldats allemands, français, britanniques se réunissent alors hors des tranchées pour célébrer la messe de minuit... Le lendemain, la tréve se poursuit pour enterrer les morts. Les protagonistes de cette fraternisation spectaculaire furent dispersés à Verdun et sur le front russe.
Christian Carion leur rend justice dans un film bouleversant. F. Q.
Avec également Diane Kruger, Lucas Belvaux, Bernard Le Coq, Suzanne Flon et Michel Serrault. 1 h 55, sortie le 9 novembre.