Les présentations des éditeurs : 21/03/2011 - L'affaire Dreyfus n'a-t-elle été qu'un débat d'intellectuels ? Face à l'indifférence d'une grande partie des Français ou à leur confiance en « la chose jugée », peut-on discerner une opinion, une géographie, une sociologie du dreyfusisme ?
L'étude des pétitions publiées dans les journaux et des lettres envoyées au capitaine Dreyfus, à son épouse et à ses
principaux défenseurs permet de tracer le portrait collectif de quelques dizaines de milliers d'« inconnus », dont des femmes, qui, loin des milieux les plus concernés ou les plus en vue, ont
choisi le camp dreyfusard. On découvre leur conception des événements, les motifs de leur engagement, les modes de leur mobilisation, jusque dans une France rurale que l'on croyait peu attentive
à l'Affaire. C'est cette expérience vécue, son impact intime sur une partie de l'opinion, que ces témoignages graves ou enthousiastes, chargés d'émotion et d'intelligence démocratique, donnent à
voir. La crise dreyfusarde a été pour ces militants spontanés le moment d'une épreuve citoyenne : dans cette lutte contre la « raison d'État » et la violence de certaines foules, s'invente rien
moins que le modèle d'une opinion républicaine, qui se veut réglée par la raison et la vérité.
Marie Aynié,
agrégée d'histoire, est docteur en histoire de l'université de Toulouse-Le Mirail. Elle s'intéresse principalement à la construction de l'opinion, aux modes de mobilisation et à l'expression
politique à la fin du XIXe siècle. Les amis inconnus est son premier ouvrage aux Éditions Privat.
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La revue de presse Dominique Kalifa - Libération du 23 juin 2011
Alfred Dreyfus eut nombre de défenseurs illustres, à commencer par les «intellectuels» qui, on le sait, naquirent dans la tourmente de cette affaire. Mais Marie Aynié n'a pas voulu se satisfaire de ce constat, ni de son corollaire, selon lequel le dreyfusisme n'aurait guère touché la France profonde. Elle est donc partie à la recherche des «amis inconnus» du capitaine injustement accusé...
Pour tous ces anonymes, conclut ce livre novateur, le dreyfusisme a été « un moment d'investissement affectif, mais aussi
un moment fort d'expérimentation de leur citoyenneté ».
Les courts extraits de livres : 21/03/2011
Extrait de l'introduction - « Qui ça Dreyfus ? » La question peut paraître saugrenue tant l'Affaire, inscrite dans les programmes scolaires, objet d'une historiographie aussi riche que vivante, régulièrement évoquée dans la presse généraliste, citée comme référence dès qu'il est question d'une erreur judiciaire, « paradigme de l'affaire », appartient au patrimoine commun. L'exemple de « l'Affaire » est en effet fréquemment invoqué pour dénoncer tous les scandales, pour ériger les injustices individuelles en causes à défendre collectivement. En 1921, André Berthon reprend la formule de Zola à la une de L'Humanité pour dénoncer la responsabilité du colonel Bernard et du général Boyer dans l'affaire des fusillés de la Grande Guerre. Sartre y fait référence dans l'ouvrage qu'il consacre à l'affaire Henri Martin en 1953. Plus récemment encore, la figure de Dreyfus a été invoquée dans la presse ou dans le prétoire comme archétype de l'erreur judiciaire a propos des cas d'Yvan Colonna ou de Cesare Battisti, pour revendiquer ou récuser la comparaison.
Posée par un contemporain de l'Affaire, garde-barrière à la Rablais, près de Rennes, lors du retour d'Alfred Dreyfus en
France, au début de l'été 1899, cette question révélée par Le Figaro et La Petite République du 2 juillet 1899 ricoche dans plusieurs ouvrages. Citée en note dans l'Histoire de l'affaire Dreyfus
de Joseph Reinach, elle a d'abord été relevée par l'historien américain Guy Chapman comme typique de la France rurale de l'Affaire. Nombre de Français n'auraient pas pris position dans le conflit
des «deux France», parce qu'ils en auraient ignoré les motifs et les enjeux. Les débats n'auraient vraiment secoué que les milieux intellectuels parisiens et les élites provinciales. Michael
Burns et Pierre Birnbaum reprennent tous les deux cet exemple dans le livre de Chapman, l'un pour aller dans son sens et comme un exemple prouvant sa thèse d'une relative imperméabilité des
campagnes aux polémiques de l'Affaire, l'autre pour discuter la représentativité de cette anecdote. Il est remarquable que cette question ait déjà soulevé la curiosité des contemporains des
événements. Outre l'ouvrage de Joseph Reinach, cette histoire est par exemple racontée dans Curieux mémoires, l'île du Diable, un recueil d'extraits de lettres d'Alfred Dreyfus accompagné d'un
résumé de l'Affaire où le garde-barrière devient un « brave » garde-barrière. L'anecdote telle que la rapporte Le Figaro est frappante en effet parce qu'elle montre un décalage entre
l'obnubilation de la presse partisane pour le procès qui se prépare à Rennes et l'indifférence complète, et même l'ignorance, d'un homme ordinaire. Le 2 juillet, Le Figaro donne «le récit textuel
[...] point par point» du directeur de la Sûreté générale chargé d'escorter Dreyfus de Quiberon à Rennes :
« Il est cinq heures trente quand nous arrivons au passage à niveau, à deux kilomètres et demi de Rennes. En constatant que
nous nous arrêtons, le garde-barrière n'en croit pas ses yeux. On lui dit qu'il va voir passer Dreyfus : "Qui cela, Dreyfus ? fait-il très sincèrement, je n'en ai jamais entendu parler." Heureux
homme ! »
Le lendemain, le journaliste Charles Chincholle interroge ce même garde-barrière sur l'effet que lui a fait Dreyfus,
voulant savoir «comment cela se peut» qu'il n'en ait jamais entendu parler. Celui-ci répond : « On n'a pas de l'argent de trop pour acheter les journaux ! On vit en famille à soigner ses poulets
et ses légumes, quand on n'a rien à faire. »
Auteur : Marie Aynié
Date de saisie : 24/06/2011
Genre : Documents Essais d'actualité
Éditeur : Privat, Toulouse, France
Collection : Histoire