La nationalisation du canal de Suez par l’Égypte, annoncée par le colonel Nasser
dans un grand discours à Alexandrie le 26 juillet 1956, a été accueillie avec stupeur et colère à Londres et à Paris. Le gouvernement britannique d’Anthony Eden, qui, six semaines plus tôt, avait
retiré ses derniers soldats de la zone du canal, considère cette décision comme une intolérable provocation. Pour sa part, le gouvernement français de Guy Mollet souhaite une action vigoureuse
contre l’Égypte, qui soutient l’insurrection algérienne et héberge au Caire l’état-major du F.L.N. Dès le 31 juillet, le projet d’expédition militaire commune est lancé. Le 31 octobre, après le
rejet d’un ultimatum par le colonel Nasser, l’aviation franco-britannique commence à attaquer les objectifs militaires égyptiens. L’opération proprement dite, commandée par le général Keightley
assisté de l’amiral Barjot, débute le 5 novembre au matin par le saut des parachutistes du 2e R.P.C. aux abords de Port-Saïd et de Port-Fouad. Le lendemain, les forces terrestres françaises,
confiées au général Beaufre, débarquent à Port-Saïd selon les plans prévus et ne rencontrent d’ailleurs qu’une faible résistance.
Les réactions internationales à l’intervention militaire franco-britannique ne tardent pas. Dans la nuit du 5 au 6 novembre, l’U.R.S.S. envoie à Londres et à Paris un ultimatum évoquant des possibilités de riposte nucléaire. De leur côté, les États-Unis ont mis en alerte leur VIe flotte de Méditerranée et exigent un cessez-le-feu immédiat. La France et l’Angleterre doivent s’incliner et ravaler leur humiliation. Les troupes débarquées à Port-Saïd et à Port-Fouad seront relevées par les « casques bleus » de l’O.N.U. le 22 novembre.
http://www.historia.fr/content/evenements/article?id=29237
Document 2010 - En matière de relations internationales, il est des millésimes qui comptent plus que d'autres. En février 1956, Nikita Khrouchtchev profita du 20e congrès du Parti communiste soviétique pour dénoncer la "terreur stalinienne". Mais ceux qui croyaient que les "démocraties populaires" allaient enfin mériter leur nom ne tardèrent pas à déchanter, comme le prouva l'entrée des chars soviétiques dans Budapest au mois de novembre. A l'Est, l'année se terminait dans le sang.
De l'autre côté du rideau de fer aussi, 1956 fut une année de bouleversements géopolitiques. L'événement majeur, ici, fut la crise de Suez, à laquelle l'historien Denis Lefebvre consacre une synthèse rigoureuse et illustrée de nombreux documents d'archives.
Le 26 juillet 1956, Gamal Abdel Nasser décrète la nationalisation de la Compagnie universelle du canal de Suez, dont les capitaux sont majoritairement français et britanniques. A Paris et à Londres, cette décision unilatérale du président égyptien, officiellement motivée par la nécessité de financer la construction du haut barrage d'Assouan, provoque des réactions passionnées.
Même si Le Caire assure le contraire, on veut croire que la liberté de circulation sur le canal de Suez est menacée. Nasser est comparé à Hitler. Le laisser faire équivaut donc à se comporter en "munichois". L'historien montre bien comment le syndrome de Munich - en référence aux accords de 1938 qui entérinèrent l'annexion de la région tchécoslovaque des Sudètes par l'Allemagne nazie - a pesé dans la décision prise par les Français et les Britanniques de réagir avec fermeté. Bel exemple d'instrumentalisation de l'histoire à des fins politiques.
Agir, donc, mais comment ? Paris et Londres se mettent finalement d'accord pour intervenir militairement, tout en liant leur action à une attaque préventive d'Israël contre l'Egypte. Celle-ci a lieu dans la nuit du 29 au 30 octobre. Le lendemain, les troupes franco-britanniques interviennent. Les Américains sont furieux. Les Soviétiques - qui soutiennent Nasser - vont jusqu'à évoquer des représailles nucléaires. L'ONU s'en mêle. Un cessez-le-feu est accepté le 6 novembre.
La leçon est claire : lâchées par les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne doivent s'incliner. La crise de Suez symbolise ainsi le déclin des vieilles puissances coloniales sur la scène mondiale.
Rarement dans l'histoire, pourtant, Paris et Londres n'avaient agi en si étroite liaison. On sait depuis les années 1980 que, au plus fort de la crise, Guy Mollet, alors président du Conseil, proposa à son homologue britannique Anthony Eden que la France adhère au Commonwealth.
Simple "foucade", comme l'expliqua, en 1989, Christian Pineau, l'ancien ministre des affaires étrangères de Guy Mollet ? Non, répond Denis Lefebvre, dont le livre a pour mérite de rappeler qu'une telle idée était alors prise au sérieux par certains militants de la cause européenne, comme le comte Richard de Coudenhove-Kalergi (1894-1972), fondateur dans les années 1920 du mouvement Paneurope.
| 02.09.10 | 18h29 • Mis à jour le 03.09.10 | 16h46
www.lemonde.fr/livres/article/2010/09/02/la-c...
Les Secrets de l'expédition de Suez (1956) de Denis Lefebvre. Perrin, 296 pages, 22,90 €