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http://ordesiles.com/wp-content/uploads/2010/08/surprise.jpgDocument février 2011 - Je ne suis, pas née esclave. Il s'en est fallu de très peu, mais c'est un fait, et cela change tout !

Lumina s'écarta du corps fatigué de ce mari que la colonie lui avait octroyé, ce bagnard dont la peau, couverte de tatouages, se lisait comme un livre d'images. Des six transportées expédiées en Guyane, ces pétroleuses ainsi qu'on les nommait en référence aux femmes révoltées de la Commune de Paris, elle était la dernière à s'être mariée. Il faut dire que son caractère de chien-fer que rien, et certainement pas la morgue des maîtres blancs - car République ou non, abolition ou pas, les maîtres étaient restés les maîtres - n 'aurait pu faire plier, éloignait d'elle, sinon la sympathie, du moins la simple idée d'une accointance. Elle, Marie Philomène Roptus, dite Lumina Sophie, ou plus communément Surprise, n'avait jamais rompu devant personne. A bientôt trente ans, les huit dernières passées au bagne, elle était demeurée la femme-flamme qui, la torchère à la main, le plus souvent devant les hommes, avait parcouru les riches propriétés du Sud, ces insolentes habitations, pour y bouter le feu.

Ainsi commence le nouveau roman de José Le Moigne dans lequel il s'attache, au travers du portrait flamboyant de Lumina Sophie, la Jeanne-d'Arc créole, à magnifier le petit peuple martiniquais en lutte pour sa dignité.

José Le Moigneest né en janvier 1944 à Fort-de-France d'un père Breton et d'une mère Martiniquaise. Auteur de plusieurs recueils de poésie, d'essai et de romans, José Le Moigne est aussi auteur-compositeur de chansons qu'il interprète en s'accompagnant à la guitare. Avec On m'appelait Surprise, José nous montre une autre face de son immense talent.

 

  • Les courts extraits de livres : 15/02/2011

- Je ne suis pas née esclave. Il s'en est fallu de très peu, mais c'est un fait, et cela change tout !

Lumina s'écarta du corps fatigué de ce mari que la colonie lui avait octroyé, ce bagnard dont la peau, couverte de tatouages, se lisait comme un livre d'images. Des six transportées expédiées en Guyane, ces pétroleuses ainsi qu'on les nommait en référence aux femmes révoltées de la Commune de Paris, elle était la dernière à s'être mariée. Il faut dire que son caractère de chien-fer que rien, et certainement pas la morgue des maîtres blancs - car République ou non, abolition ou pas, les maîtres étaient restés les maîtres - n'aurait pu faire plier, éloignait d'elle, sinon la sympathie, du moins la simple idée d'une accointance. Elle, Marie Philomène Roptus, dite Lumina Sophie, ou plus communément Surprise, n'avait jamais rompu devant personne. À bientôt trente ans, les huit dernières passées au bagne, elle était demeurée la femme-flamme qui, la torchère à la main, le plus souvent devant les hommes, avait parcouru les riches propriétés du Sud, ces insolentes habitations, pour y bouter le feu.

- Qui se souvient de moi ?

En ces jours de mars, les derniers de sa courte vie, Lumina n'avait aucune envie de sonder l'avenir. L'Histoire ne s'écrivait pas pour elle en chapitres structurés, liés entre eux par l'ordonnancement de la longue durée, mais dans une trâlée de souvenirs s'enchevêtrant au rythme de sa vie. Tant que quelqu'un pouvait la raconter, l'Histoire continuait à exister, dès qu'il n'y avait plus personne elle s'effaçait comme s'effaçaient de la surface des derniers cimetières d'esclaves, les tertres anciens bordés de conques de lambis. Et son fils, ce petit Théodore dont on ne lui avait laissé que le temps d'apprendre le prénom avant qu'on ne le lui arrache, dès le cordon tranché, pour le confier, étrange orphelinat, aux religieuses de la prison de Fort-de-France ; ce fils, dont elle doutait parfois qu'il fût encore vivant, quelle mémoire pouvait-il bien avoir des siens ?

Lumina, caressa sa poitrine de fille-la campagne où battait, comme le tambour bèlè creuse le vent en rafales guerrières, tout ce qui lui restait de jeunesse et de vie.

C'était là son dernier sabbat et pas un seul instant elle n'avait mesuré ce que ce geste pouvait avoir de symbolique maternelle.

Une peau-cabri sonnant le glas à l'infini : c'est ça qu'elle était devenue.

On m'appelait Surprise

Auteur : José Le Moigne

Date de saisie : 22/01/2011

Genre : Romans et nouvelles - français

Éditeur : Ibis rouge, Matoury, Guyane Française

http://www.lechoixdeslibraires.com/livre-99445-on-m-appelait-surprise.htm#273822

 

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