Le courrier des auteurs : 03/05/2011
1) Qui êtes-vous ? !
Je suis le passeur, l'auteur des « Paroles de... » (Paroles de poilus, Paroles de détenus, Paroles d'Etoiles, Paroles du
Jour J, Paroles d'enfance, Paroles de femmes, Paroles de l'Ombre, La vie en toutes lettres) ainsi que de nombreux livres illustrés valorisant les plus beaux textes et les plus beaux manuscrits de
l'histoire et de la langue française, tels De Gaulle à Londres, ou les Diamants de l'histoire. J'aime à me définir comme un «passeur» de traces et de mémoire et je vais traquer les trésors qui
composent mes ouvrages dans le jardin secret des plus grands auteurs comme dans celui de nos familles. J'aime à rappeler que ce ne sont pas seulement les «têtes d'affiche» de nos livres de classe
qui font l'histoire mais ces «figurants» qu'étaient nos parents et nos ancêtres, et que la mémoire du peuple a tendance à nuancer «l'histoire officielle» tout en redonnant à l'histoire la part de
vie et d'émotion qu'elle mérite. Mais à force de transmettre la vibration de l'âme et de l'intime des «figurants», j'ai découvert que les mêmes techniques fonctionnaient aussi avec les têtes
d'affiche !
Ancien élève de l'École Normale Supérieure de Saint Cloud, j'ai dirigé pendant 7 ans le développement Culturel de la
Bibliothèque Nationale aux côtés d'Emmanuel Le Roy Ladurie puis les Editions de Radio France pendant plus de 12 ans.
2) Quel est le thème central de ce livre ?
Cinquante ans ont passé depuis la fin de la guerre d'Algérie. Entre 1956 et 1958, des centaines de lecteurs du Monde ont
écrit à leur journal et à son directeur Hubert Beuve-Méry pour décrire ce qu'ils vivaient. En devenant les victimes, les acteurs ou les témoins de la torture, tous étaient devenus des torturés de
l'âme. Tous avaient endossé des fardeaux mémoriels qu'ils ne déposeraient jamais. Le courrier des lecteurs ou la tribune libre opinion de leur journal devenaient pour eux le lieu d'une thérapie
par la transemission. Il fallait que le monde sache que la torture était activée dans les deux camps, plus comme une arme de terreur et d'inquisition réciproque, que comme un outil de
renseignement, alors même qu'elle avait été abolie en France par Louis XVI en 1780 et en 1788, et qu'elle avait été déclarée illégale par la Convention Universelle des droits de l'homme en 1948,
après avoir largement sévi pendant la seconde guerre mondiale.
Les témoignages envoyés au monde ont été équilibré par d'autres sources, France Observateur, l'Express, publications
algériennes clandestines, livres interdits : il convenait de rendre compte du phénomène de la torture pratiquée et dissimulée dans les deux camps, et utilisée dans les deux camps comme un moyen
de terreur plus que comme un outil de renseignement.
3) Si vous deviez mettre en avant une phrase de ce livre, laquelle choisiriez-vous ?
Est-il possible qu'il existe deux races sur cette terre, rien que deux, mais toujours et partout ? Les hommes de la raison
exigeante et rebelle et leur appétit de justice, les bêtes de la volonté native de la jungle et leur appétit de puissance ? Est-il possible qu'on trouve les uns et les autres jusque dans nos
propres rangs ? [...] Est-il possible que même dans la résistance, et même dans les camps, et même parmi les combattants pour la justice, les deux races coexistent comme partout ailleurs ? Et
qu'elles continueront de se perpétuer, toujours et en tous lieux, jusqu'à la fin des temps ? Ne pourra-t-on jamais se reposer, enfin se reposer ?
Vercors
4) Si ce livre était une musique, quelle serait-elle ?
Ce serait la musique, la petite musique de l'âme issue d'un poème écrit par Marianne Cohn dans les geôles nazies en 1943,
11 ans avant que l'apocalypse ne se redéclenche à l'occasion de la Guerre d'Algérie.
Marianne Cohn est née à Mannheim en 1922 dans une famille d'universitaires de gauche et d'origine juive. En 1934 sa famille
s'est exilée en Espagne, puis en France en 1938. Ses parents étant internés au camp de Gurs, Marianne et sa soeur ont été prises en charge par les Éclaireurs Israélites de France. Marianne a
rejoint la Résistance sous le nom de Colin. Elle sest mise à exfiltrer vers la Suisse des enfants juifs... Arrêtée une première fois en 1943, Marianne a été arrêtée le 31 mai 1944, alors qu'elle
convoyait 28 enfants. Elle a refusé d'être libérée par la Résistance craignant une vengeance contre ses protégés. On a retrouvé son corps mutilé et martyrisé dans un charnier de Haute-Savoie.
Marianne avait été violée avant d'être achevée à coups de bêche... Elle avait 23 ans.
Je trahirai demain, pas aujourd'hui.
Aujourd'hui, arrachez-moi les ongles
Je ne trahirai pas !
Vous ne savez pas le bout de mon courage.
Moi, je sais.
Vous êtes cinq mains dures avec des bagues.
Vous avez aux pieds des chaussures avec des clous.
Je trahirai demain. Pas aujourd'hui,
Demain.
Il me faut la nuit pour me résoudre.
Il ne me faut pas moins d'une nuit
Pour renier, pour abjurer, pour trahir.
Pour renier mes amis,
Pour abjurer le pain et le vin,
Pour trahir la vie,
Pour mourir.
Je trahirai demain. Pas aujourd'hui.
La lime est sous le carreau,
La lime n'est pas pour le bourreau,
La lime n'est pas pour le barreau,
La lime est pour mon poignet.
Aujourd'hui, je n'ai rien à dire.
Je trahirai demain.
Marianne
Poème écrit en cellule en novembre 1943
5) Qu'aimeriez-vous partager avec vos lecteurs en priorité ?
Aujourd'hui ces témoignages écrits il y a plus de cinquante ans ont une valeur essentielle : ils nous rappellent que la
barbarie peut toujours être activée dans les coulisses feutrées de nos démocraties. En ces temps de réforme des procédures de garde à vue, les témoignages des années 50 semblent surgir d'un autre
âge : celui des ténèbres de l'inquisition. Ils nous parlent pourtant, d'une époque récente, de la seconde moitié du vingtième siècle, de la toute fin du Baby Boom qui vit l'apparition des
premiers ordinateurs français, la généralisation de la troisième semaine de congés payés, l'arrivée sur notre territoire des premiers disques d'Elvis Presley, le triomphe de Dalida, la naissance
de l'Europe des six et les premiers jaillissements de pétrole dans le Sahara.
Qu'ils aient subi des sévices corporels, des sévices psychologiques ou des spoliations, qu'ils en aient été les auteurs,
prenant des initiatives ou obéissant aux ordres, qu'ils en aient été les simples témoins, qu'ils aient oeuvré dans le camp du FNL, de l'armée, de la police française, ou de l'OAS, qu'ils aient
été juifs, pieds noirs, ou plus généralement rapatriés d'Algérie, tous les acteurs de la guerre d'Algérie sont des «torturés» de l'Histoire, et garderont en eux jusqu'à la fin de leur vie les
séquelles de la tragédie dont ils ont été les acteurs actifs ou passifs, méritant à ce titre une empathie et une compassion sauvant de l'oubli la trace de leurs souffrances et incitant les
générations actuelles et futures, celles de nos enfants et de nos petits enfants à bannir définitivement la torture des pratiques humaines, à en faire une arme radicalement prohibée.
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Les présentations des éditeurs : 03/05/2011
Ouvrage comportant des témoignages inédits sur la torture durant la guerre d'Algérie.
Auteur : Jean-Pierre Guéno
Date de saisie : 03/05/2011
Genre : Documents Essais d'actualité
Éditeur : Jacob-Duvernet, Paris, France
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