Bien avant la sortie du film de Dany Boon, Paul
Deschaume avait choisi le titre de son roman :« Un Ch'ti chez les joyeux ». Un récit autobiographique né
d'une lettre qu'il voulait écrire à ses enfants et que n'aurait probablement pas renié Alan Parker lorsqu'il réalisa « Midnight
Express », tant son héros, Billy Hayes, a de traits communs avec lui. Itinéraire de 77 ans de vie exceptionnelle.
1931, P'tit Paul voit le jour à Lille. À l'âge de huit mois il est abandonné par sa mère qui le dépose devant la porte de ses grands-parents.
Un baraquement tout en bois de la rue Jeanne-Hachette, sans confort. Un toit pour protéger la famille des intempéries, mais pas du froid. L'eau, on la tire à la pompe, dans la rue. Les WC, une planche trouée posée sur une fosse. Pour s'éclairer, des bougies. Paul a pour domaine les fortifs, les terrains vagues, la rue où l'on apprend tout, le bien comme le mal, mais aussi la lecture, il grandira dans la pauvreté. Une pauvreté qui va le faire sortir du bois comme la faim en fait sortir les loups. 1940, les Allemands envahissent Lille. Le rationnement accentue la misère dans le quartier et Paul veut améliorer l'ordinaire. Avec sa bande de gosses, durant quatre ans, il dévalisera les camions allemands, distribuant le fruit de ses larcins aux riverains.
1944, l'année du certif, de la Libération, du premier boulot, de ses premières filles. Lille est en ruine, ses remparts ont disparu et Paul a perdu sa jeunesse. À 14 ans, il découvre le poker et ses montées d'adrénaline. Cela le conduit en prison après un casse raté à Lambersart. Paul est devenu un flambeur et il lui faut de l'argent, beaucoup d'argent. Sorti pour la troisième fois de Loos, il est appelé pour faire ses trois jours, mais estimant qu'il peut prendre un peu de bon temps, il ne répond pas. Les gendarmes le recherchent durant trois ans et un beau matin de 1954, ils l'embarquent, direction Médenine, en Tunisie. Un camp disciplinaire où il va subir brimades et tortures. Le bat' d'Af où, au milieu du désert, à l'abri des regards, le moindre petit galon donne tous les droits. Où l'on vous oblige à chanter en revenant de corvée (d'où le nom de Joyeux). Où la moindre incartade vous conduit à la section disciplinaire. Paul y vivra cinq mois d'enfer sous les ordres d'un caporal chef sadique, dans un cachot de 1 m sur 2,5 m, sans lumière. Mais il oubliera son corps meurtri, conservera une parcelle de vie, gardera sa dignité. Il ne tombera pas.
Puis c'est la délivrance, le retour à Lille. Il retrouve ses « vieux » le cœur gonflé d'amour. La rue Jeanne-Hachette a disparu, remplacée par des HLM. Il devient représentant. Mais l'armée le rattrape, il lui doit encore six mois, qu'il fera dans les commandos, dans le désert tunisien dont il tombera follement amoureux. Nouveau retour à Lille, grand-père, grand-mère, les copains pour qui Paul revêt son habit de clown. Il fait rire, trop peut-être pour cacher un coeur qui pleure. Un mariage raté, six enfants, un dernier séjour en prison, suite à une dénonciation calomnieuse, et Paul trouvera enfin le bonheur auprès de Monique. Installés à La Madeleine, à deux ils élèveront leurs huit enfants et auront une petite Nadège. Le petit jaune d'oeuf qui va lier la sauce, aime-t-il à dire. Depuis il est retourné à Médenine : à la place de la caserne se dresse un collège, la section disciplinaire a été rasée, mais le désert, son désert lui tend toujours les bras. • SERGE CARPENTIER (CLP)
« Un Ch'ti chez les joyeux » : l'incroyable destin de Paul F. Deschaume
dimanche 04.01.2009, 04:45 - La Voix du Nord
> « Un Ch'ti chez les joyeux » de Paul F. Deschaume, en vente à la librairie du Moulin à La Madeleine et sur Amazon.fr
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