Document 26 octobre 2011 - Malgré l'enrichissement indéniable des thématiques historiques liées à l'étude du crime et des criminels, un parent pauvre reste particulièrement délaissé par les chercheurs en sciences humaines : il s'agit de la police scientifique et technique.
Les études historiques spécifiquement consacrées à ce sujet sont encore rares ; on peut parler d'un profond déficit
historiographique en la matière. Cet ouvrage consacré à l'émergence de la criminalistique, en tant que pratique et discipline, entend combler cette zone d'ombre. Loin de s'enferrer dans un carcan
réducteur, cette recherche s'inscrit à la croisée de l'histoire des sciences, de la police, de la justice, de l'enseignement et des représentations du corps.
Où situer l'instant de la genèse de la police scientifique et technique ? Faut-il en faire remonter l'origine à
l'anthropométrie et aux procédures signalétiques inventées à Paris par A. Bertillon dans les années 1880-1890 ? Doit-on plutôt prendre en compte l'institutionnalisation académique de la
discipline et choisir pour point de départ la création d'un diplôme universitaire à Lausanne en 1909 ? Ou se tourner vers un filon plus ancien encore en mettant l'accent sur le rôle des auteurs
de romans policiers ou sur les avancées des médecins légistes en matière de constatation de l'identité ? Et que dire alors des auteurs médiévaux de traités de chasse qui écrivent des chapitres si
détaillés sur l'analyse des traces du gibier pour aiguiser le regard cynégétique ? Cette étude prend le parti de ne pas se limiter à une analyse de la phase institutionnelle de la police
scientifique et technique européenne, caractérisée par la création d'instituts académiques, de chaires, de laboratoires et d'écoles de police.
Dans l'optique panoramique proposée ici, il s'agit de partir bien en amont de ces filières d'enseignements spécialisés et
de ces structures académiques ou policières. La naissance du regard indicial et de ses évolutions inscrites dans la longue durée forme le fil rouge de l'ouvrage. Cette enquête débute avec l'étude
des traités médiévaux de chasse où l'on détecte les prémices des techniques d'identification à partir des traces de pattes.
Ainsi, on évite de créditer les hommes de laboratoire du début du XXe siècle de tous les mérites dans la naissance de la
criminalistique. Certes, cette discipline leur doit beaucoup, notamment son ancrage institutionnel, la mise sur pied de cursus, de manuels, de revues spécialisées, de colloques et de techniques,
mais d'autres acteurs les ont devancés en s'adonnant à des pratiques indiciales dignes d'intérêt.
Il nous a donc paru juste de braquer la lumière de notre projecteur sur leur contribution en sortant du champ proprement
scientifique. Parmi ces hommes ayant conçu et appliqué des techniques d'identification figurent les chasseurs d'animaux et de sorcières, les physiognomonistes, les photographes, les chimistes,
les médecins légistes, les littérateurs, les anthropologues, les critiques d'art, les policiers et les psychologues expérimentaux.
Pour éviter que la diversité des acteurs impliqués dans l'émergence de ce processus indicial ne nous fasse perdre de vue
notre objet d'études, nous avons gardé comme thème unificateur les modalités du regard porté sur le corps à des fins signalétiques. Nous achevons notre parcours par une étude de cas consacrée à
la fondation de l'Institut de police scientifique de Lausanne et à son premier directeur, Rodolphe Archibald Reiss, personnage incontournable de la criminalistique en Europe, tant il donne les
impulsions décisives à l'essor de sa discipline et cumule de casquettes : photographe, chercheur, professeur, rédacteur, expert, vulgarisateur, organisateur, et bâtisseur.
Sur les traces du crime - De la naissance du regard indicial à l'institutionnalisation de la police scientifique et technique en Suisse et en France. L'Essor de l'institut de police scientifique de l'Université de Lausanne
Par Nicolas Quinche