Document 2010 - La bande à Bonnot, Landru, Violette Nozière, l'affaire Stavisky : toutes ces affaires demeurées célèbres ont eu pour témoin direct le commissaire Marcel Guillaume qui, de près ou de loin, contribua à leur élucidation et les consigna par écrit dans ses mémoires. Ce même policier qui officia au 36, quai des Orfèvres servit de modèle au personnage phare de Georges Simenon, Jules Maigret.
« Vous demandez de quel Maigret il s'agit ? Je parle du vrai. bien entendu. Ou plutôt du faux, puisqu'il ne s'appelle pas Maigret. mais Guillaume. Ou plutôt non. j'avais raison. il s'agit bien du vrai. puisque c'est lui Maigret. »
Georges Simenon, 1937.
Dernier grand représentant des flics de la « vieille école ». Marcel Guillaume inspira à Georges Simenon le personnage du commissaire Maigret.
Dans ce document exceptionnel. publié en feuilleton dans le grand quotidien Paris-Soir en 1937. il raconte sa traque de la bande à Bonnot. les crimes passionnels et crapuleux de son temps. sonde l'âme mystérieuse de Landru. confesse Violette Nozières et dévoile les secrets de l'affaire Stavisky.
Le commissaire Guillaume invite le lecteur à participer à ses enquêtes et apporte un soin particulier à décrire l'ambiance des interrogatoires dans son bureau du 36. quai des Orfèvres. Une atmosphère digne des meilleurs Maigret !
- Mes grandes enquêtes criminelles de la bande à Bonnot à l'affaire Stavisky
- mémoires
- Guillaume, Marcel
- commissaire Marcel Guillaume
- édition présenté et annotée par Laurent Joly
- Ed. des Equateurs , Sainte-Marguerite-sur-Mer (Seine-Maritime)
- Parution : octobre 2010
Qui se Souvient du commissaire Guillaume, le « flic le plus célèbre de l'entre-deux- guerres », que la presse populaire surnommait « l'As de la PJ », et qui servit de modèle au Maigret de Simenon ?
A la lecture du passionnant document dont on doit la publication à l'historien Laurent Joly, on comprend d'autant moins pourquoi ce personnage haut en couleur a presque totalement disparu de la mémoire collective des Français.
On tente alors de se rassurer, en cherchant le nom de celui qui traqua la bande à Bonnot, qui sonda l'âme de Landru, confessa Violette Nozières ainsi que l'assassin du président Doumer, sans oublier ses investigations au moment de l'affaire Stavisky, dans l'imposant ouvrage Histoire et dictionnaire de la police (dans la collection «Bouquins», chez Robert Laffont).
Peine perdue ! Aucune entrée ne porte son nom. Pour les historiens de la police, Marcel Guillaume (1872-1963), ce grand bonhomme à la longue silhouette et aux moustaches gauloises, qui cumule trente-sept ans de bons et loyaux services au sein de la PJ, n'existe donc pas.
« J'avoue que j'ai eu beaucoup de chance de tomber sur les archives qui forment aujourd'hui la matière de ce document exceptionnel, explique Laurent Joly. Pour les besoins de ma thèse, j'étais allé aux archives de la Préfecture de police de Paris. Comme le personnage du commissaire Guillaume m'intéressait à titre personnel, j'ai demandé à voir son dossier administratif, ou son dossier de carrière. Il ne restait rien ! La seule chose que j'ai découverte, finalement, c'est une vieille chemise marron, contenant les « Grandes Enquêtes du commissaire Guillaume », quarante-huit articles parus entre février et avril 1937 dans le quotidien Paris Soir. Ces feuillets jaunis n'étaient même pas classés. Mais, dès la lecture des premières lignes, j'ai vite été époustouflé par le « ton Guillaume », ce mélange d'humour et d'observation psychologique. »
Dès lors, on comprend mieux pourquoi un certain Georges Simenon se sera chargé de la postérité romanesque de ce grand flic « à l'ancienne ». En 1937, alors que le commissaire Guillaume quitte le 36, quai des Orfèvres et prend sa retraite, le génial et prolifique écrivain écrit : « Vous demandez de quel Maigret il s'agit ? Je parle du vrai, bien entendu. Ou plutôt du faux, puisqu'il ne s'appelle pas Maigret, mais Guillaume. Ou plutôt non, j'avais raison, il s'agit bien du vrai, puisque c'est lui, Maigret. »
En vérité, Guillaume et Simenon sont devenus amis, à la fin des années 20. « Après la publication des trois ou quatre premiers Maigret, raconte encore Simenon, Xavier Guichard, alors directeur de la PJ, m'a prié d'aller le voir, pour me montrer des policiers en chair et en os. Et c'est le commissaire Guillaume, chef de la Brigade criminelle, qu'il a chargé de m'initier au fonctionnement de ses services. Il m'a, en particulier, parlé de la technique des interrogatoires, puis m'a mis en rapport avec un de ses anciens collaborateurs, le commissaire Massu, qui devait lui succéder quelques années plus tard. Lequel des deux a le plus « déteint » sur un Maigret déjà existant mais encore schématique ? Il me serait difficile de le dire. Néanmoins, pour moi, Guillaume n'est pas seulement un ami, c'est un peu comme un frère aîné de Maigret. »
Même si aucune ressemblance physique, ou morale, n'existe entre le commissaire Guillaume et son double romanesque Maigret, il semble évident que le grand flic charismatique a donné de l'étoffe au personnage de Simenon. Maigret et Guillaume ont en commun un flair très sûr.
Quand ils enquêtent sur le terrain, ou lors des interrogatoires de leurs suspects au «36», ils ont ce même côté bonhomme et matois, mâtiné d'humanité ronchonne. Tous deux font preuve, en outre, d'une grande finesse psychologique.
Pour revenir à Simenon, c'est la célèbre « affaire Charles Mestorino », brillamment résolue en 1928 par Guillaume, qui l'impressionne le plus. Ce grand joaillier parisien avait tué son courtier, et l'avait fait brûler dans une couverture aspergée d'essence sur le bord d'une route, aux alentours de Provins. Finalement, au terme d'un interrogatoire-marathon de vingt-sept heures, Guillaume démasque ce grand bourgeois établi, «ne manquant pas de relations». Et il finit ainsi par apprendre que Mestorino a frappé sa victime avec un triboulet (et non un « triboulot » comme écrit dans l'ouvrage), un outil d'orfèvre en forme de tige graduée servant à mesurer le diamètre intérieur des bagues. Simenon est si admiratif qu'il cite l'affaire par trois fois dans ses romans Maigret à New York (1946), Les Mémoires de Maigret (1950) et Maigret tend un piège (1955).
Ce qui a plu à Simenon chez Guillaume, analyse Laurent Joly, c'est son côté flic à l'ancienne, extraordinairement humain, contre la peine de mort, ce qui était rare à l'époque.
Guillaume s'était fait tout seul, en apprenant sur le tas, et a toujours travaillé sur le terrain, pour s'imprégner de l'atmosphère des lieux. »
Guillaume était aussi – et surtout – un fameux conteur d'histoires, à la plume alerte et fleurie. En lisant la vingtaine d'affaires criminelles qu'il narre pour Paris Soir (avec l'aide d'une «plume amie», précise tout de même Laurent Joly), on peut juger de son style haletant et de ses subtils portraits psychologiques. Quand il plonge son lecteur au coeur de la traque de la bande à Bonnot, on se croirait parfois revenu aux temps des « Brigades du tigre ». Tout en nous immergeant dans l'atmosphère des milieux anarchistes du début du XXe siècle, il parvient à brosser un saisissant portrait de l'anarchiste Jules Bonnot, mécanicien, ancien chauffeur de Conan Doyle, «avec son museau de fouine, sa moustache en croc, ses yeux gris, vifs et sournois». Il en va de même pour Landru, qui tuait des femmes d'âge mûr avant de les faire brûler dans le fourneau de cuisine de sa villa. Guillaume remarque rapidement que ce « faux bourgeois cauteleux et poli » possède un « regard d'oiseau de proie ». «Jamais je n'oublierai cette flamme d'acier bleu qui brûlait au fond des orbites creuses», note-t-il au sujet du « Barbe-Bleue de Gambais ». Voilà bien le seul criminel qui parviendra à lui faire baisser les yeux.
Nombreuses, également, sont les expressions heureuses qui viennent émailler ses récits souvent sordides. Sous sa plume, l'on voit défiler des jeunes filles un peu trop libérées, qui deviennent des « faunesses aux sourcils rasés et aux cheveux courts, tandis que les jeunes gens s'affichent avec des pantalons pattes d'éléphant ». Chez Guillaume, les Browning sont « crépitants », quelques « coquebins » du quartier Saint-Germain font « un Trafalgar du diable ».
Quant aux vieux flics, ils ne tardent pas à «prendre leurs invalides», c'est-à-dire leur retraite. Aujourd'hui, les commissaires de police de la trempe de Guillaume n'ont plus les honneurs du grand public. Le dernier en date, le commissaire Broussard, qui mit fin à la cavale de Mesrine, remonte aux années 80. Ces grands flics ont été remplacés dans l'imaginaire populaire par les «petits juges». Est-ce pour cette raison que le commissaire Guillaume est progressivement tombé dans l'oubli, malgré Simenon ? Possible. Quoi qu'il en soit, cette publication devrait réparer cette injustice...
Mes Grandes Enquêtes criminelles, mémoires de Marcel Guillaume
Édition établie et présentée par Laurent Joly
[24 novembre 2005]
Le Figaro du 24 novembre 2005 , Éditions des Équateurs. 400 p., 21,90 €.1
Olivier Delcroix
[24 novembre 2005]