"Mérimée eût été un homme de premier ordre s'il n'eût pas eu d'amis. Ses amis se l'approprièrent." (Renan, Souvenirs d'enfance et de jeunesse, Œuvres complètes).
Mérimée fait preuve, en effet, d'une fidélité absolue, aveugle, en amitié. L'affaire Libri en est l'exemple éloquent. En 1852, Guillaume Libri (mathématicien, professeur au Collège de France, membre de l'Académie des sciences, inspecteur général de l'Instruction publique et des Bibliothèques), est accusé d'avoir volé des livres dans les bibliothèques qu'il était chargé d'inspecter.
Un rapport de 1848, retrouvé dans le bureau de Guizot en 1850, est à l'origine de l'affaire. Libri a fui à Londres. Il sera condamné par contumace à dix ans de réclusion. En dépit de l'évidence de la culpabilité de son ami, Mérimée prend sa défense avec vigueur. À la suite d'un article qu'il publie dans la Revue des Deux Mondes, le 15 avril 1852, il est condamné pour outrage à la magistrature à quinze jours de prison et 1000 F d'amende. La femme de Libri, que Mérimée a connue dans sa jeunesse, n'a certainement pas été étrangère à cet engagement irraisonné.
Son emprisonnement à la conciergerie laisse de bons souvenirs à Mérimée. Il partage sa réclusion avec son ami Édouard Bocher. "Je ne me suis pas ennuyé en prison. C'est un endroit très frais et excellent dans les grandes chaleurs. J'y ai passé quinze jours à travailler et sans un moment d'ennui." (À Joly-Leterme, 5 juillet 1852). "M. Bocher et moi nous recevons tant de visites que nous avons bonne envie de demander qu'on nous mette au secret." (Au chancelier Pasquier, 15 juillet 1852.) La prison ne calme pas son ardeur à défendre Libri. Sénateur, il interviendra en assemblée plénière pour plaider la cause de la pétition présentée par la femme de son ami.
Palais de Justice, la cour des anciennes cuisines de la Conciergerie. Lithographie de Engelmann d'après un dessin de Schmit (prisons). Musée de l'histoire de France © Centre historique des archives nationales.
Lettre de Libri au doyen de la faculté des sciences, 10 octobre 1849 © Centre historique des archives nationales, F17 21184 34