19/11/2007 -La guerre d'Algérie fait l'objet d'un réinvestissement mémoriel de plus en plus massif, en même temps qu'elle commence à devenir un objet d'histoire à part entière. Ce livre est une contribution majeure au processus d'historisation de cette guerre.
Il traite d'une question très sensible, méconnue et trop souvent abordée de manière polémique et partiale : les victimes et les internés au cours de ce conflit si particulier, guerre civile et révolutionnaire, où tout habitant est suspecté à un moment ou à un autre de soutenir les partis en présence.
On observe une sorte de «concurrence des victimes» où chaque catégorie décuple ses pertes : au million de martyrs de la révolution algérienne fait pendant quelques dizaines de milliers de Français et de Harkis disparus.
Sur cette question lancinante, ce livre apporte un éclairage nouveau et des révélations fondées sur des archives inédites. Son auteur a pu, pour la première fois, accéder au rapport d'enquête du CICR (Comité International de la Croix-Rouge) sur les disparus, rapport tenu secret par l'Etat Français depuis 1963. Ainsi stimulé, le CICR, en Suisse, a bien voulu ouvrir ses archives dix ans avant le délai réglementaire de 50 ans.
On peut enfin avoir connaissance des rapports des délégués du CICR qui permettent de faire la lumière sur les détenus musulmans et européens, sur les harkis et les prisonniers aux mains du FLN, sur les violations des conventions de Genève, mais aussi sur les secours apportés aux victimes par l'organisation internationale humaine. Plus de 30 documents ont été reproduits, pour que le lecteur puisse lui-même entrer de plain-pied avec les sources vives de cette histoire.
La carrière militaire du général Maurice Faivre l'a souvent conduit à exercer des responsabilités importantes dans l'exploitation du renseignement. En 1962, il servait au 2e Bureau du Commandant supérieur en Algérie.
Docteur en sciences politiques, il a écrit de nombreux ouvrages de référence. A la tête d'une équipe d'historiens, il a rédigé un rapport, à la demande du Premier Ministre Dominique de Villepin, qui pour la première fois dresse un bilan sérieux du nombre de pieds-noirs enlevés et tués au moment de l'indépendance.
Il a publié aux éditions Lavauzelle, en 2006 : Le Renseignement dans la guerre d'Algérie (préface de l'amiral Lacoste).
- Les courts extraits de livres : 19/11/2007
Extrait de l'introduction : Suspecté de me «laisser aller à la victimisation», je me dois de corriger cette fausse réputation en ouvrant le champ de ma recherche à des catégories de victimes peu connues, ou traitées de façon superficielle. J'ai eu recours pour cela à des archives ignorées ou dispersées, que je me suis efforcé de rassembler et d'analyser.
Toute guerre entraîne son cortège de victimes, et les guerres du XXe siècle ont amplifié le phénomène en y incluant les populations civiles, désormais soumises aux bombardements aériens, aux déplacements, au travail obligatoire (STO) et à la déportation. La guerre d'Algérie, guerre civile et révolutionnaire, n'échappe pas à cette inflation de la souffrance, tout habitant de l'Algérie étant suspecté à un moment ou à un autre de soutenir un des partis en présence. Il en résulte que chaque parti au conflit se laisse aller à la «victimisation», et que les propagandistes décuplent leurs pertes : au million des martyrs de la révolution algérienne font pendant plusieurs dizaines de milliers de Français et de Harkis disparus.
Selon Stéphane Courtois, auteur du Livre noir du communisme, «le décompte des victimes est un des éléments importants de l'appréciation historique». Les premières sont les pertes au combat, qui ont été décomptées, avec quelques différences d'appréciation, dans trois journaux officiels successifs. Elles ont été calculées également par plusieurs historiens, parmi lesquels le plus objectif est Guy Pervillé. Rappelons les ordres de grandeur : l'armée française a eu 15000 tués au combat dont 4500 musulmans, 9 000 morts par accident ou maladie, 60 000 blessés, un nombre de disparus et de prisonniers dont le décompte est encore incertain. Il faut y ajouter ceux qui sont morts après le cessez-le-feu : 145 soldats français, une soixantaine de disparus et plus de 60000 supplétifs. Quant à l'armée de libération algérienne (ALN), elle a eu environ 150000 tués et a perdu au combat 43000 prisonniers.
Les pertes au combat ou par attentat étant mises de côté, l'inventaire des victimes offre une variété de situations qui ne s'additionnent pas :
- les détenus (algériens et français) se trouvent dans les établissements pénitentiaires, certains sont assignés à résidence dans des centres d'hébergement (CH), après être passés par des centres d'interrogatoire et des centres de tri et de transit (CTT) ;
- les prisonniers européens sont promenés dans le djebel, souvent enchaînés, de mechta en mechta, de grotte en grotte, pour échapper à la surveillance des unités militaires françaises ;
- la population civile subit les attentats terroristes, l'imposition de cotisations et d'amendes, elle est soumise parfois à un tribunal révolutionnaire, déplacée de gré ou de force pour ne pas être complice de la rébellion, desserrée dans des bidonvilles, regroupée dans des centres inconfortables avant qu'ils ne deviennent des villages rénovés en centres ruraux ;
- les personnes enlevées, avant et après le cessez-le-feu du 19 mars 1962, deviennent en grand nombre des disparus dont on perd la trace ; (...)