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 Archive du carnet criminocorpus en date du 01/07/2018

"Je n’écris pas des polars mais des romans d’espionnage. Et la précision mérite d’être soulignée : dans une intrigue policière si le Bien ne triomphe pas forcément, le Mal est toujours vaincu. La question ne se pose pas dans l’espionnage, une activité d’emblée illicite. Tous les pays ont des lois le qualifiant en crime. Le renseignement et l’intoxication de l’adversaire – ultime réussite dans cette profession – sont par essence des activités amorales où les scrupules n’ont pas lieu d’être. (Je ne parle pas des services actions – eux carrément criminels puisqu’ils organisent des assassinats.)"

Le Carnet de l’histoire de la justice, des crimes et des peines développe la rubrique Portrait du jour – Criminocorpus  et ouvre ses pages aux fidèles lecteurs du site.

Ce matin pour son  vingtième-deuxième  Portrait du jour – Criminocorpus le roman d'espionnage s'invite sur le carnet avec notre invité du jour Bruno Birolli, grand connaisseur de l'Asie où il a séjourné vingt-trois ans comme journaliste.

Les lecteurs du blog seront charmés par le  premier tome de La Suite de Shanghai, "une série policière aux effluves d’alcool anglais et de jazz américain dans une chaleur moite qu’un ventilateur de plafond fatigué ne parvient pas à rafraîchir"... Le Music Hall des espions – YouTube

Merci à vous Bruno Birolli pour la rédaction de ce portrait à l'intention des lecteurs du Carnet de l'histoire de la justice, des crimes et des peines.

Très cordialement. Ph.P.

"Pourquoi j’écris des romans d’espionnage et non des polars.

En 2013, une éditrice me demandait pourquoi je voulais écrire. La question m’a laissé bouche-bée : je ne me l’étais jamais posée, j’ai toujours écris et pour moi, écrire est un acte aussi naturel que de marcher. Venant à mon secours, cette femme m’a suggéré : « Pour vous exprimer ? ». Là, j’ai su quoi répondre : « Non, je n’ai rien à dire sur moi, toute existence comporte sa part de routine ennuyeuse, de ratages et d’insatisfactions qui ne méritent pas qu’on revienne dessus. Par contre, ce qui est intéressant est l’histoire des autres. »

J’ai toujours eu une grande curiosité pour le crime et je crois que c’est une curiosité très humaine car, finalement, on ne sait jamais très bien ce qu’est le Mal.

Mon père, divorcé, nous gardait un dimanche par mois et il conservait à mon intention toutes les pages faits-divers de « L’Aurore » et de « France Soir » des semaines précédentes. Pour nous occuper, il nous emmenait au cinéma mais il choisissait des films qui lui plaisaient. Ce qui a fait qu’entre 5 et 7 ans, j’ai vu tous les Eddy Constantine et autres séries B et cela a continué jusqu’à l’adolescence.

Comme je souffrais d’ortho dyslexie pour me corriger, ma grand-mère m’a ouvert sa bibliothèque. Ce qui fait que je n’ai pas plus lu de livres pour enfant que je n’ai vu de films pour enfant, mais, dès l’âge de 10 ans, je me suis plongé dans des auteurs dont certains venant de la littérature coloniale tel Pierre Benoit.

De son côté, mon grand-père m’achetait des livres racontant les grandes explorations.

Bref, les jeux étaient faits. Explorer ce que cache l’horizon était ma priorité dés mon plus jeune âge. Quand il m’a fallu choisir un métier, j’ai choisi celui de correspondant de presse en Asie - il était encore possible que des journaux payent vos escapades en contrepartie d’articles.

Je suis resté vingt-trois ans journaliste en Asie, finissant avec le titre de grand reporter d’un grand magazine français. Une partie du boulot consistait à justifier son salaire comme dans n’importe quelle profession. Mais il y avait pas mal de temps de libre et surtout d’abondantes occasions de frayer avec des personnalités intéressantes.

A Hongkong, j’ai fréquenté des policiers parce que nous étions membres du même club. J’ai connu des hommes de l’autre bord, certains assez intimement même si parler d’amitié avec des voyous est toujours risqué. J’ai croisé ce qu’on appelle pudiquement des « honorables correspondants »… Au fil des années, je me suis constitué un « bobinoscope » dans lequel je puise aujourd’hui.

Je n’écris pas des polars mais des romans d’espionnage. Et la précision mérite d’être soulignée : dans une intrigue policière si le Bien ne triomphe pas forcément, le Mal est toujours vaincu. La question ne se pose pas dans l’espionnage, une activité d’emblée illicite. Tous les pays ont des lois le qualifiant en crime. Le renseignement et l’intoxication de l’adversaire – ultime réussite dans cette profession – sont par essence des activités amorales où les scrupules n’ont pas lieu d’être. (Je ne parle pas des services actions – eux carrément criminels puisqu’ils organisent des assassinats.)

Quoi de mieux pour incarner ce vide moral que Shanghai des concessions pendant les années 1930 où tout était triple : trois municipalités (chinoise, française, internationale), trois polices, trois systèmes juridiques… En traversant une rue, en changeant de trottoir, on passait d’une juridiction à l’autre, d’un système de normes à un autre, d’une langue à une autre... S’ajoutaient les communistes qui avaient leurs propres conceptions de la justice. Ainsi que les Japonais qui jouaient leurs propres jeux…

De mes années en Asie, j’ai retenu une leçon : on ne sait jamais tout ce qui se passe, on ne comprend peut-être que 30%, le reste nous échappe. Ceux qui prétendent le contraire sont des charlatans.

Cette incertitude est au cœur de « La suite de Shanghai ». Le premier volume «Le music-hall des espions de Bruno Birolli » a paru en janvier 2017 et le second « Les terres du Mal » est prévu début 2019.

« Le music-hall des espions » tourne autour de l’idée qu’on peut, avec les meilleures intentions du monde, provoquer des catastrophes parce qu’il est impossible d’anticiper toutes les conséquences de nos décisions.

« Les terres du Mal » s’interrogent sur les frontières entre le vrai et le faux, où est la réalité et la fiction, qu’est ce qui sépare la vérité du mensonge. Ce n’est pas un hasard si ce deuxième roman se déroule dans les studios du cinéma de Shanghai, le cinéma est l’illusion la plus achevée.

Cependant un roman reste - et doit le rester - une narration, sinon il devient un essai. L’intrigue ne doit pas illustrer des thèmes abstraits, au contraire, la réflexion philosophique doit rester sous-jacente, sa présence dans les soubassements du livre le nourrit, confère à l’intrigue son épaisseur, donne au lecteur un sentiment de véracité. La littérature est l’art du plausible. En quelque sorte, écrire un roman se rapproche d’une entreprise de désinformation.

Par souci du détail, je puise dans les journaux – Shanghai avait dans les années 1930 plusieurs quotidiens anglophones et un francophone, les mémoires de résidents, les études historiques, les archives, les cartes, les photographies… et cette documentation est complétée de « choses vues » pour récréer Shanghai des années 1930. Il y a, comme dans une manipulation ourdie par un service secret, une dose de véridique dans chacun de mes romans. « Le music-hall des espions » est basé sur le drame d’un agent du parti communiste chinois dont la couverture était… magicien de music-hall.

Mais plus que la littérature, c’est le cinéma qui m’a formé. Encore adolescent, j’avais la manie d’essayer de deviner le scénario des films pendant que je les regardais, comment l’histoire « retombait sur ses pattes », si on peut dire, à la fin. Ce qu’on appelle les « films noirs » américains – notamment en noir et blanc - m’ont appris autant que le rôle de la dimension morale, l’importance de la tension afin de donner à une narration la densité du réel.

Le cinéma asiatique lui m’a enseigné un autre truc. Depuis Ulysse, la littérature occidentale suit un personnage central. Les Asiatiques sont moins attachés à ce type de construction individualisée. Ils n’hésitent pas à concevoir un scénario de la façon dont ils mangent, tous assis autour d’une table ronde où aucun dineur n’a la prééminence et où chacun se sert dans le même plat. On m’a reproché parfois un certain « flottement des points de vues », on ne sait plus qui est central, qui regarde qui… Mais j’aime ce flou venu du cinéma asiatique : il renforce cet élément d’incertitude dont je parle plus haut. Il permet des effets de miroirs qui suggèrent la psychologie des personnages à travers les relations qu’ils entretiennent. Et il autorise à glisser au milieu du récit la ville, d’en faire un personnage dont la complexité reflète l’ambiguïté des personnages qui ne sont jamais franchement bons ou mauvais."

Tag(s) : #Evènements, #Romans - Essais - Polars - Thrillers
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