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"C’est comme un foyer éducatif mais derrière les murs. De fait, nous avons peu de contacts avec les agents pénitentiaires que l’on retrouve seulement au mess. Ces mêmes garçons m’initieront à l’argot, au verlan et au javanais pour ceux d’entre eux qui le bagoule. Je garderai de cette époque une dizaine de petits carnets dans lesquels je notais chaque jour des mots, des expressions à eux. Presque quarante après, c’est à eux que je penserai quand je publierai « L’Argot des Prisons ». Cette « initiation » ne durera quelques mois car mon statut d’intermittent de l’éducation contrainte m’expédie dans un autre trou (administratif) à combler. Je me retrouve dans les sous-sols du tribunal de grande instance de Paris…au fameux dépôt. Là, question odeurs malfaisantes, c’est pire ! Nous vivons en permanence dans des odeurs de pisse et de vomissures..."

Jean-Michel Armand, l'inlassable traqueur des criminels du Lot et Garonne... et fidèle parmi les fidèles du  très discret et prisé Culture et justice

 

"Un CV dans les langes !

Il ne fait pas bien chaud en ce début mars 1974 lorsque je me présente à la porte de la maison d’arrêt de Fresnes où l’administration centrale de l’Éducation Surveillée vient de m’affecter en qualité d’éducateur-contractuel. Le portier a beau remonter du doigt la liste des personnes attendues ce même jour, de toute évidence, je n’y figure pas. Ça commence bien ! Débarquant de ma province tel un Lucien de Rubempré délivré du souci de la conquête de Paris, je n’en mène pas large lorsque je remonte le couloir du grand quartier foulant au passage l’étoile du berger en mosaïque qui en orne l’entrée. Sera –t-elle pour moi aussi, une bonne étoile ? En tous cas, je décrypte d’autor la symbolique de l’ouvrage. Intuition confirmée lorsque j’apprendrai quelques jours après que le directeur de la prison, son adjoint et le chef de détention sont appelés « les rois mages » par les détenus qui, à cette époque encore, savaient être facétieux. Direction la troisième division où est installée le CSOES, le Centre Spécial d’Observation d’Éducation Surveillée. Bien que sortie du « ventre » de l’AP en 1945, l’éducation surveillée a dû, contre son gré, renouer avec l’enfermement des mineurs qui n’est vraiment pas dans ses gênes. Les éducateurs qui y travaillent sont battus froid par leurs collègues qui, eux sont sans doute de …purs esprits éducatifs. « Pas d’éducation en prison ! » clame le syndicat majoritaire (le SNPES), porte-voix du sentiment partagé même au plus haut degré de la hiérarchie de cette administration.

« Je rentre en prison » écris-je à ma chérie de l’époque. Je ferai grâce au lecteur d’en passer par les premières impressions que laisse un tel endroit à un jeune homme (22 ans) pas vraiment préparé à une telle confrontation. Ah ! si quand même, les odeurs ! Ces tenaces remugles de choux cuit et de serpillières mal rincées qui vous collent au corps même après s’en être éloigné.

Heureusement, il y a les gosses…c’est comme ça qu’on les nomme ou bien encore les tapirs, oui comme ce mammifère périssodactyle d’Asie qui fonce droit devant lui…la comparaison leur va bien !

Ils m’accueillent d’abord avec méfiance (on ne sait jamais ?) puis, jour après jour, la suspicion se relâche et les liens se tissent. Chacun raconte son histoire…à sa façon. La plupart sont écroués préventivement, quelques-uns exécutent une peine souvent courte…un, deux mois…parfois plus quand les sursis ont dégringolé à la dernière audience du Tribunal des Enfants. Malgré le confinement, l’ambiance n’est pas triste. On partage finalement une grande partie de leur journée.

C’est comme un foyer éducatif mais derrière les murs. De fait, nous avons peu de contacts avec les agents pénitentiaires que l’on retrouve seulement au mess. Ces mêmes garçons m’initieront à l’argot, au verlan et au javanais pour ceux d’entre eux qui le bagoule. Je garderai de cette époque une dizaine de petits carnets dans lesquels je notais chaque jour des mots, des expressions à eux. Presque quarante après, c’est à eux que je penserai quand je publierai « Jean-Michel Armand, L'Argot des prisons ... - Criminocorpus ». Cette « initiation » ne durera que quelques mois car mon statut d’intermittent de l’éducation contrainte m’expédie dans un autre trou (administratif) à combler. Je me retrouve dans les sous-sols du tribunal de grande instance de Paris…au fameux dépôt. Là, question odeurs malfaisantes, c’est pire ! Nous vivons en permanence dans des odeurs de pisse et de vomissures.

Notre bureau était une cellule réaffectée aux fins d’accueil des mineurs déférés au « petit parquet ». Ce service s’appelait la CATS, le centre d’accueil et de tri spécialisé. Car ici, on tente de « trier » le délinquant déjà d’habitude du « p’tit loulou » embringué dans une histoire qui le dépasse. On trie aussi les informations sociales et éducatives qu’on peut réunir…le plus souvent sur le seul déclaratif des intéressés. Sur ces bases, on établit une fiche avec des orientations possibles pour éviter le mandat de dépôt dès lors qu’il était requis par le parquet. Au juge des enfants de trancher en audience de cabinet. Bien que l’endroit fût sordide, j’en garde de bons souvenirs. Nous étions jeunes tout comme les avocats le plus souvent commis d’office. Notre blague préférée était de nous accrocher aux barreaux d’une salle commune donnant sur le quai de l’Horloge en hurlant : « Je suis innocent ! » au grand ahurissement des touristes déambulant sur le trottoir du dessous. Là aussi, la séquence ne dura que quelques mois et on me réexpédia dans mon Nord où cette fois j’atterris dans un centre d’observation public de l’Éducation Surveillée. Structure pavillonnaire sécurisée, chambrettes (c’est le terme administratif) cellulaires et…120 garçons de 16 à 19/20 ans (et oui ! incrédule jeune lecteur, la majorité est encore à 21 ans en ces époques pompidoliennes !).

Adoubé par mes pairs « on » me juge assez dégrossi pour passer le concours d’entrée à l’ENFPES. J’y entrerai le 1er septembre 1974. Après ce sera le parcours d’abord classique des éducs de cette époque : IPES, Foyers d’action Educative, Milieu ouvert et enfin le graal du métier à cette époque le Service Éducatif Auprès du Tribunal où je ferai la connaissance d’un adolescent déjà différent des autres…Redoine FAÏD. En désaccord avec l’idéologie dominante à la PJJ, je passe en 1997 chez le cousin réprouvé …l’Administration Pénitentiaire. Mais c’est là une autre histoire."

 

 

Jean-Michel ARMAND, ancien formateur au Centre de ressources sur l’histoire des crimes et des peines (CRHCP) à l’École nationale d’administration pénitentiaire située à Agen.

Vous pouvez retrouver également les travaux récents  de Jean-Michel Armand sur Le Lien n°7 mai 2017 : 100 ans de criminalité en Lot-et-Garonne

Tag(s) : #Evènements, #Coup de coeur du jour
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