L’âme à l’amour tranché d’Anne-Marie Claire - Chronique de Christian Dorsan

"On la dit un peu fofolle, instable, son psy parle même d’hystérie en l’évoquant. Pourtant cette prof de philo mène sa barque comme elle le peut à travers les mailles de la souffrance, essayant de transformer un traumatisme, tant bien que mal , en chemin de vie. Parce que derrière ce dynamisme forcé , se cache une douloureuse réalité, un inceste. Un mot devenu tristement banal à force de médiatisation qui apporte une confusion d’être. C’est qu’au début la petite Victoria cherche un sens à la vie : pourquoi y’a-t-il quelque chose plutôt que rien, elle est intelligente, pétillante et fait la fierté de son père, militaire de carrière, entourée de des trois frères et d’une mère absente et soumise. Cette petite fille essaye d’égayer cette famille pour sans doute cacher cette relation incestueuse. Chacun sait, chacun se tait sauf le jeune frère qui s’opposera au père. Peu à peu , la question existentielle de l’identité évoluera en « pourquoi y’a-t-il la souffrance plutôt que rien ? ».

L’âme à l’amour tranché est un récit intelligent, parfois violent, jamais voyeur, Anne-Marie Claire écrit sur ses maux à son psy. Relation épistolaire, dont la seule lettre publiée du psy dira : « Réussir sa névrose, c’est avoir l’intelligence de sa folie. Et l’intelligence n’abolit pas la douleur. Mais elle permet la joie. Et la joie donne un sens à ce qui n’en a pas : la vie. ».

Oui mais voilà, personne ne peut se mettre à sa place, elle constate avec amertume que « Ce qui savent sont les pires ennemis de ceux qui souffrent. Parce qu’ils les jugent, sous leur semblant de bienveillance, se félicitant de leur courage et de leur clairvoyance. Condamnant in petto le manque de discernement de ce pauvre peuple d’ignorants que sont les déprimés et se protègent de leur négativité ? Egoïsme aveugle de la spiritualité moderne… ». Alors reste Dieu ou/et la philosophie, une quête de certitude à laquelle se rattacher pour panser les plaies, pour penser à autre chose, pour se réparer et transmettre à sa fille la difficulté d’être une femme. « Mais une femme qui ne s’aime pas, qui considère la féminité comme une infériorité qu’on tente de combler par l’emprise ne peut que mal aimer sa fille. »

Sa mère mal-aimée a-t-elle reporté son manque d’affection sur elle ? Et à son tour, a-t-elle vraiment aimé sa fille en retour ? Dans une lettre poignante, Anne-Marie Claire s’adresse à sa fille, sur le ton de la confidence, elle n’hésite pas à se dévoiler pour lui expliquer pourquoi elle a été une mère différente et qu’elle l’a laissé partir pour son bien. Ce chapitre à lui seul est exemplaire sur la condition féminine. Et que dire sur la préparation de son cours de philo sur la liberté ? On en rependrait encore un peu Anne-Marie Claire, il y a une demande d’intelligence en ce moment…

L’âme à l’amour tranché doit être un incontournable, un livre qui ne propose pas un apitoiement sur un fait divers ou une leçon de courage sur une résilience, non, ce livre est plus fort que tout cela réunis : une vie dans toute sa complexité, sa confusion, ses espérances et cette tentative, parfois désespérée, de vivre une vie bancale au milieu des autres afin de répondre à cette petite fille au pourquoi il n’y a plus rien plutôt que de l’amour.

L’âme à amour tranché d’Anne-Marie Claire Editions de L’Harmattan ( novembre 2021)"

Anne-Marie Claire vit à Mayotte. Elle enseigne la philosophie et écrit des poèmes. Ce livre est né d'une nécessité : nommer l'innommable.