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"Ce film, réalisé en 1956, obtint dès sa sortie un immense succès à la fois public et critique, consacrant Robert Bresson comme l’un des plus grands auteurs français. Cinq ans après Journal d’un curé de campagne, Un condamné à mort s’est échappé achève d’imposer le style de Bresson, et lui vaut une reconnaissance internationale – le film reçoit le prix de la mise en scène au Festival de Cannes. Avec une remarquable économie de moyens, et une rigueur exemplaire, Bresson atteint une extraordinaire intensité dramatique et transforme un minutieux récit d’évasion, inspiré d’une histoire vraie, en une exaltation de la volonté humaine individuelle.
Robert Bresson, malgré son souci d’authenticité et de vérité, s’éloigne aussi bien du néo-réalisme que du documentaire. Il décide de tourner dans les lieux même de l’action (la prison du fort de Montluc), utilise des accessoires ayant servi à l’évasion, s’adjoint les services du protagoniste réel, André Devigny, comme conseiller technique, et réunit pour la première fois une distribution exclusivement composée de non-professionnels. Bresson informe le spectateur, par la présence d’une phrase manuscrite précédant le générique, que cette histoire est véritable est qu’il la donne comme elle est, sans ornements. Pourtant, comme le souligne Jacques Lourcelles dans son Dictionnaire des films, il est permis de ne pas prendre une telle assertion à la lettre. La mise en scène de Bresson, par son antinaturalisme radical, atteint à une forme d’ascèse inédite, qui conduit à un lyrisme aussi intense que paradoxal. Bresson, par un montage elliptique, la fragmentation des corps et de l’espace, une direction d’acteurs atonale, une utilisation du Kyrie de la Grande Messe de Mozart invente ses propres ornements, crée un nouvel art de la mise en scène qu’il appelle désormais « cinématographe », par opposition au « cinéma » qui présuppose une contamination, voire une domination du théâtre, l’ennemi intime du cinéaste. Ainsi, Un condamné à mort s’est échappé peut revendiquer à double titre l’appellation de film de résistance. Son héros transforme en actes une idée orgueilleuse – une prison est faite pour s’évader – tandis que Robert Bresson place son film sous le signe du refus : refus d’un cinéma conventionnel, refus d’appliquer d’autres règles que les siennes. Dans les deux cas, l’insoumission conduit à la liberté. « Le vent souffle où il veut », parole de Jésus à Nicodème (Jean, 3.8) est le sous-titre du film.
On connait l’importance des mains dans l’œuvre de Bresson, parties du corps chargées d’une valeur et d’un sens refusés à d’autres. Dans sa plus stricte acception, le fétichisme cinématographique propose au spectateur des objets – et des images – de substitution. C’est le cas exemplaire du cinéma de Robert Bresson qui fragmente les corps dans un souci d’expressivité passive, refusant la théâtralité du visage ou de la voix, accordant aux mains seules le soin de désigner les affects de ses modèles. Trois ans avant Pickpocket, Bresson filme dans Un condamné à mort s’est échappé des mains qui contiennent l’énergie du refus et de la résistance. Il s’agit pour Fontaine de ne pas accepter un sort qui semble inévitable – mourir sous les balles de ses geôliers allemands, comme d’autres prisonniers avant lui – le film est scandé par les sinistres bruits, hors champs, des pelotons d’exécution. Ses mains vont littéralement incarner cette idée du dégoût du renoncement, et du plaisir de la désobéissance, par une succession minutieuse de tâches – transformer une cuillère en ciseau à bois, démonter les planches de sa porte de cellule, fabriquer une corde avec sa paillasse et un fil de fer… qui visent toutes un seul objectif : la liberté.
Un condamné à mort s’est échappé est sans doute le film le plus optimiste de Bresson. Cette célébration universelle du courage, guidé par la foi divine, n’oublie pas d’inclure à cette trajectoire individuelle le thème de la rencontre et de la solidarité humaines. Sans Jost, l’adolescent déserteur qu’on lui impose dans sa cellule, Fontaine n’aurait sans doute pas mené à bien son plan d’évasion solitaire.
L’idée de transcendance est loin d’être étrangère au cinéma de Bresson. La matérialité des choses et des êtres, telle qu’elle est minutieusement et longuement filmée par Bresson, est le passage qui permet d’accéder à la spiritualité. Bresson fait un détour et emprunte un « drôle de chemin » par l’enregistrement du réel pour accéder à la grâce."
Un condamné à mort s'est échappé de Robert Bresson - Olivier Père
Ce film, réalisé en 1956, obtint dès sa sortie un immense succès à la fois public et critique, consacrant Robert Bresson comme l'un des plus grands auteurs français. Cinq ans après Journal d...
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