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Nouveau portrait du jour Jean-François Pré

Culture et justice développe la rubrique Portrait du jour, ouvre ses pages aux fidèles lecteurs de la page et reçoit avec infiniment de plaisir  Jean-François Pré

Jean-François Pré fut longtemps chroniqueur hippique à TF1 et au Parisien, il se consacre désormais à l’écriture.

Il a reçu en 2016 le Prix de la région Normandie pour son roman Double JE.

Bienvenue  Jean-François sur le très prisé et discret Culture et justice

 

Interview de Jean-François Pré par Langsamer.

Georges Langsamer : Salut JF. Ma première question va être brutale : pourquoi m’as-tu créé ? 

Jean-François Pré : C’était en 2014, un éditeur m’avait commandé une série de nouvelles policières. Il fallait un personnage récurrent et voilà ! Tu es né.

GL : Pourquoi ne pas avoir inventé un personnage moderne ? Tu sais, le genre de flic ou de privé qu’on voit dans les séries. Quadra, beau gosse, avec ses problèmes de couple et ses mômes qui partent dans tous les sens, familles recomposées comme c’est la mode aujourd’hui, tout le tralala, quoi…. Moi, tu m’as fait plutôt ringard, même – et surtout – dans mon aspect vestimentaire. On dirait que je viens d’une autre époque…

JFP : C’est exactement ça… mais je ne dirais pas ringard, c’est trop péjoratif. Je préfère « rétro ». Dans les salons du livre, je t’appelle « mon rétro-détective ». C’est plutôt affectueux, non ? Tu aurais préféré que je te façonne dans le moule de tous ces types mal rasés, en jeans et en baskets qui fleurissent sur les écrans ? Tu m’en aurais voulu et tu aurais fini par me demander de te faire mourir dans un roman. Tu es un être raffiné, Georges, et ta marginalité se mesure à l’aune du bon goût. Le célibat et le bénévolat sont les prix à payer pour ton indépendance. Personne n’a de prise sur toi et c’est ce qui fait ta force. 

GL : Oui, et puis si tu avais fait de moi un flic moderne, je crois qu’on ne se serait jamais entendu. Car toi aussi, cher créateur, tu es un peu décalé. Lors de tes séances de dédicaces, par exemple, tu es le seul à porter la cravate. N’y aurait-il pas un peu de provocation, là-dessous ?

JFP : À l’origine, non, car j’aime la cravate. Je l’estime indispensable à l’élégance masculine, le complément de la chemise et de la veste. Je suis très sensible à l’apparence extérieure, à l’harmonie dans la parure. J’aime quand le tableau est parfait. Nous avons des yeux pour voir, non ? Nous nous extasions devant des paysages, de beaux monuments, des expositions, des mises en scène… et une fois dans la rue, notre regard doit être confronté à tout ce laisser-aller, ces mélanges improbables, ces fautes de goût ? Je dis non ! C’est vrai que, à la longue, c’est devenu une provocation, tu as raison… et même une ségrégation. La cravate s’est transformée en message : je n’appartiens pas à votre monde !

GL : Il te déplaît tant que ça, ce monde ? 

JFP : Autant qu’à toi, mon cher Georges. Nous avons peu ou prou le même âge et nous avons connu les belles années 70. Après, tout s’est mis à dégringoler. 

GL : Alors, toi aussi tu fais partie de ceux qui clament, haut et fort, que c’était mieux avant… et tu m’as créé à ton image ! Tu te rends compte, JF, que tu me prives de tout un lectorat. Ces jeunes qui bouffent chez MacDo et qui fument du shit… ils ne suivront jamais mes exploits !

JFP : Pas plus que ceux de tes confrères. Dans le meilleur des cas, la lecture ne les intéresse pas, et dans le pire… ils ne savent pas lire.

GL : Là, je trouve que tu y vas un peu fort mais bon… compte tenu du fait que je suis lié à toi, je préfère me taire. OK, j’ai bien compris que tu as choisi un créneau. Mais je trouve que tu me fais un peu trop ressembler à Hercule Poirot ? Dans les salons du livre, quand tu dédicaces mes enquêtes, j’entends souvent des lecteurs me comparer au célèbre Hercule, mais aussi à Maigret ou à Columbo. 

JFP : Tu devrais être flatté, Georges. Maigret et Columbo sont mariés. Toi, tu ne l’es pas. Je t’ai au moins épargné ça, tu devrais me remercier. Maigret enquête dans les bas-fonds de Paris. Moi, je te confronte à l’aristocratie et à la haute bourgeoisie…

GL : Cela ne veut pas dire qu’ils valent mieux !

JFP : Certes non… mais ils sont propres sur eux et ils sentent bon. Au moins, je ménage ton odorat. Je te fais toujours enquêter dans des endroits magnifiques où la saleté n’est pas apparente. 

GL : Oui, mais tu sais bien que je vais gratter le vernis et finir par la dévoiler au grand jour, cette saleté. 

JFP : Ben oui. C’est la finalité des romans noirs. Si ça t’indispose, Georges, il faut changer de métier ! Non, non, ne panique pas… je rigole. J’ai l’intention de te garder private eye (tu aimes bien quand je te fais parler anglais, hein !) encore très longtemps. Du moins, aussi longtemps que je vivrai… et même au-delà, si je trouve un disciple pour reprendre la plume. 

GL : Tout de même… je trouve que je ressemble un peu trop à Poirot. 

JFP : Cela te gêne ? 

GL : Non, car je l’admire… mais j’aurais bien aimé n’avoir eu aucun modèle avant moi. Être unique, quoi !

JFP : Désolé, mon vieux, mais je suis un enfant du 20ème siècle. Beaucoup de choses ont été écrites avant ma naissance. Et, de toute façon, dans l’histoire de l’art, tout le monde s’est toujours inspiré de tout le monde. Avant Mozart, il y a eu Bach, avant La Fontaine, Ésope, avant Rodin, Michel-Ange, etc. J’adore – non, je vénère – Agatha Christie. Je ne pouvais concevoir un personnage qui n’eût pas un peu de Poirot…. Navré pour ton petit ego, vieux ! 

GL : Et si encore tu t’étais arrêté là !... Pourquoi tu m’as fait gros et moche ? 

JFP : Parce que je ne voulais pas qu’on t’admire pour ton physique, comme un James Bond, un Mike Hammer ou un Philip Marlowe. Je voulais qu’on t’aime pour ton intelligence, ton sens de l’observation, tes facultés de déduction. Et j’ai réussi, au-delà de mes espérances. Mes lectrices sont folles de toi, oui mon vieux ! Et je ne peux pas te faire faire ou te faire dire n’importe quoi… sinon, je me fais engueuler !

GL : Admettons. Mais tu as aussi fait de moi un gros bourgeois…. Parfois, j’ai l’impression qu’on me prend pour un réac. 

JFP : Erreur. Tu n’es pas un homme d’argent et quand on t’envoie un gros chèque, tu le reverses à une association. C’est ça un réac ? Quant au gros bourgeois… tu aurais préféré que je te fasse bobo-gaucho, adepte du wokisme et de la cancel culture ? Bon, dis-moi Georges, tu ne voudrais pas qu’on change de sujet ? Tu ne trouves pas qu’on a assez parlé de toi ?   
GL : Si tu veux. Mais, je te préviens, je suis meilleur en interrogatoire qu’en interview… si tu vois ce que je veux dire. C’est toi l’ancien journaliste, JF. Tiens, au fait, comment es-tu passé du journalisme à la littérature ? 

JFP : C’est une question que j’entends souvent dans les salons du livre.

GL : Excuse-moi de ne pas être original. 

JFP : Allons, ne prends pas la mouche, Georges ! Ce que tu peux être susceptible, parfois. 

GL : C’est ta faute, tu me sors de mon rôle. Mais OK, soyons beau joueur. Alors, tu réponds à ma question ? 

JFP : Parce que c’est toi, je vais te livrer un scoop. Je vais t’avouer une chose que je n’ai jamais dite en public. J’ai toujours aimé écrire mais je n’étais pas fait pour le métier de journaliste. C’est la fiction qui m’intéresse… tricoter des intrigues, inventer des personnages, façonner des psychologies. Relater des évènements réels ne m’a jamais vraiment excité. Je l’ai fait pour servir la cause du cheval. C’est lui qui m’a amené au journalisme. C’est la passion du cheval qui m’a fait entrer à TF1. 

GL : En fait, si tu avais mesuré 1,60 mètre, tu n’aurais jamais tenu un micro… mais une cravache !

JFP : Oui, c’est à peu près ça. Sauf que… il y avait l’écriture. Le maniement des mots, l’enchevêtrement de la syntaxe… je le répète : j’adore écrire… et lire aussi, forcément. Je suis un fou de littérature. Je lis tout – tous styles et toutes époques – pour peu que ce soit des romans. Rien que des romans ! 

GL : C’est pour cela que ton éditeur te surnomme « le Dick Francis français » ? 

JFP : Oui… enfin, je ne suis pas dupe, il y a du marketing là-dessous. Mais ça fait partie du jeu et puis… c’est très flatteur pour moi. Dick Francis est la référence mondiale du polar hippique. Il a une façon incomparable de reproduire l’atmosphère des écuries de courses. C’est un très grand écrivain, hélas disparu. Son fils, Félix, a pris le relais mais je ne suis pas sûr qu’il ait autant de talent. Ce qu’il écrit reste néanmoins très supérieur à la moyenne. 

GL : Justement, en parlant de moyenne, que penses-tu du niveau de la littérature policière aujourd’hui ? 

JFP : Tu vas être étonné, Georges, mais là, je ne te dirai pas que c’était mieux avant. Agatha, Simenon, Steeman, Boileau-Narcejac, Chandler et quelques autres… c’était de très beaux arbres qui cachaient une maigre forêt. Aujourd’hui, des auteurs de ce niveau… t’en ramasses à la pelle ! Et contrairement à cette époque, ce ne sont pas les plus lus. Enfin, pour moi. Je ne lis aucun auteur du « Top 10 ». Soit, je prends les classiques (comme ceux précités), soit je ferme les yeux, je me bouche les oreilles et vais à la pêche aux découvertes. Et crois-moi, il y en a qui mériteraient vraiment d’être affichés sur les panneaux des grandes villes, à la place de soi-disant vedettes. 

GL : Tu peux citer des noms ?

JFP : Ce que tu me demandes est forcément subjectif… tu as bien compris que je ne m’érige pas en grand juge de la littérature policière. 

GL : Tout le monde a compris. Alors ? 

JFP : Chez les Français, j’adore ce que font Franck Leduc et Stéphane Oks. En ce qui concerne les étrangers, si vous ne le connaissez pas, lisez Abir Mukherjee. C’est un Indien du Bengale qui tisse des intrigues autour de la période pré-indépendance du sous-continent. Essayez aussi Declan Hughes, un Irlandais qui vaut les meilleurs auteurs anglophones.  

GL : Et toi, alors, tu te places où ? 

JFP : Tu te moques de moi, Georges ? Tu ne t’attends quand même pas à ce que je réponde à cette question ! 

GL : Essaie quand même !

JFP : Ah, ça non ! Il n’est de pire juge que soi-même pour apprécier son propre travail. C’est pas sympa de me poser ce genre de questions ! Tu ne veux quand même pas que je te dise que je suis un génie méconnu !  

GL : Génie… peut-être pas mais inconnu, tu ne l’es pas. 

JFP : Ma notoriété doit beaucoup aux 28 ans que j’ai passés à TF1. Aujourd’hui, c’est une chaîne comme une autre mais dans les années 90, elle surpassait toutes les autres audiences cumulées. Un passage à l’antenne et tu devenais une star. Pas étonnant que les gens se souviennent de moi.

GL : Tu ne crois pas qu’ils t’identifient à travers ta nouvelle carrière.

JFP : Si, je pense que ça commence. Mais pour beaucoup, je reste le « Monsieur cheval » de la télé.

GL : Rassure-moi… nos enquêtes ne se vendent quand même pas mal ?  

Je te rassure … nous sommes dans la très bonne moyenne. Mais, puisque tu y tiens, je vais te faire un aveu. Et j’espère sincèrement que tu seras d’accord avec moi. Dire que je préfère la qualité à la quantité est une formule éculée, dénuée de sens profond. En revanche, quand un lecteur entre dans une librairie et te cherche dans les rayons, ou passe une commande, c’est infiniment plus valorisant qu’un client lambda qui s’empare du livre au-dessus de la pile qu’on met devant lui, à l’entrée du magasin. Autrement dit, je préfère être « cherché » que placé dans une main errante par un roi du marketing. Tu vois ce que je veux dire ? 

GL : Je vois très bien. Pour conclure, si tu me parlais de notre dernière enquête ? Aux lecteurs qui ne nous ont pas encore lu, pourrais-tu donner une raison de nous « chercher » ? 

JFP : Ta dernière enquête s’intitule : « Qu’un sang bien pur abreuve nos salons ». Tout est dans le titre.

GL : Tu ne trouves pas que c’est un peu maigre, comme promo ?

JFP : Je voulais te faire enrager. 

GL : C’est réussi. Alors, tu passes à table ? 

JFP : C’est vrai que nous avons l’amour de la bonne chère en commun, Georges. Donc, l’intrigue de ce dernier roman tourne autour de l’Histoire de France et plus particulièrement de Marie-Antoinette. Mais ce n’est pas un polar historique car il s’agit d’une pièce que montent un couple de milliardaires sur le sujet des amours adultères de la reine avec le beau Fersen. Là où ça se corse, c’est que les héros de cette pièce, qui sont tous descendants des personnages qu’ils incarnent, disparaissent les uns après les autres. Et c’est là que tu interviens.

GL : Oui et, pour la première fois depuis que nous travaillons ensemble, je vais risquer ma vie ! Car je pressens qu’il doit exister un parallèle entre la sélection des comédiens et celle des chevaux – je devrais dire des pur-sang – du mari de la productrice de la pièce. D’où le titre : « Qu’un sang bien pur abreuve nos salons. » Ici, le sang est synonyme d’hémoglobine… mais aussi de filiation. Et les deux vont se mélanger ! 

JFP : Excellent résumé, Georges ! Je m’offre un petit cocorico pour finir. Le roman est à peine sorti (25 novembre 2022) qu’il figure déjà dans les dix meilleurs polars de l’année 2022 sur le site de référence Polarmaniaque.

GL : Je suis très fier d’avoir contribué à cette distinction, comme de t’avoir aidé à obtenir le Prix du Polar Normand 2020 avec « Les 9 jours du cafard », ton best-seller. Tu sais que je viens de finir une enquête pour toi. Très différente des précédentes…. Tu as envie d’en parler ?

JFP : Non car ta prochaine enquête paraîtra chez Lajouanie (comme les autres) en novembre ou décembre 2023. Nous en sommes loin. Nous en parlerons en temps voulu, si tu as la gentillesse de me proposer une autre interview. 

GL : Be my guest ! Merci JF.   

Culture et justice rassemble des informations relatives à l’actualité culturelle sur les questions de justice. Histoires, romans, portraits du jour, salon de livres... Page indépendante sans but lucratif administrée par Philippe Poisson et Camille Lazare, membres de l'association Criminocorpus.

A propos du site : Musée - Histoire de la justice, des crimes et des peines | Criminocorpus propose le premier musée nativement numérique dédié à l’histoire de la justice, des crimes et des peines. Ce musée produit ou accueille des expositions thématiques et des visites de lieux de justice. Ses collections rassemblent une sélection de documents et d’objets constituant des sources particulièrement rares ou peu accessibles pour l’histoire de la justice."

Relecture et mise en page Ph.P 

Tag(s) : #Coup de coeur du jour, #portrait du jour criminocorpus
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