Paris possède "Une tribu d’Apaches dont les hauteurs de Ménilmontant sont les Montagnes Rocheuses" : Henry Fouquier, 1900. "Apache" est le terme générique désignant une bande de jeunes coupables d'actes délictueux qui rendent la ville insécure. Pourquoi sont-ils en rupture avec l'ordre social ?
Les émeutes qui ont eu lieu en juillet 2023 ont alimenté des commentaires qui s'inscrivent dans le droit fil des discours précédents sur la délinquance juvénile. On se souvient qu'en 1998, le ministre socialiste Jean-Pierre Chevènement s'en était pris aux mineurs coupables de délits en les traitant de "sauvageons". En 2005, Nicolas Sarkozy, qui était alors ministre de l'Intérieur, s'adressa aux habitants d'une cité d'Argenteuil en disant : "Vous en avez assez de cette bande de racailles ? On va vous en débarrasser".
L'incapacité des gouvernants à accueillir correctement la jeunesse.
L'usage d'un vocabulaire spécial pour désigner les mineurs coupables d'actes délictueux s'est imposé au début du XXe siècle, lorsque des bandes de jeunes en rupture avec l'ordre social ont commencé à apparaître. Le développement industriel ayant accentué l'exode rural, les villes ont été confrontées à un afflux de population, que les gouvernants étaient incapables d'accueillir correctement, la pénurie de logements, le déracinement, la rupture des liens familiaux ont fait basculer une petite partie de la jeunesse populaire dans la délinquance et la criminalité. L'appellation générique qui s'est alors imposée pour nommer ces jeunes est le mot "Apaches", en phase avec l'image que l'on se faisait des Amérindiens, vus comme des sauvages.
En 1900, un journaliste du Matin écrit dans la presse une définition du terme "Apache".
Une définition du terme a été donnée en décembre 1900 par Jacques François Henry Fouquier, un journaliste du Matin : "Nous avons l’avantage de posséder, à Paris, une tribu d’Apaches dont les hauteurs de Ménilmontant sont les Montagnes Rocheuses". (…). Ce sont de jeunes hommes pâles, presque toujours imberbes, et l’ornement favori de leur coiffure s’appelle les rouflaquettes. Tout de même, ils vous tuent leur homme comme les plus authentiques sauvages, à ceci près que leurs victimes ne sont pas des étrangers envahisseurs, mais leurs concitoyens français. Les Apaches du Nouveau-Monde ont coutume, lorsqu’ils ont tué un Européen, de le scalper, c’est-à-dire de lui enlever la peau de la tête, avec une mèche de cheveux (…). Les Apaches des hauteurs parisiennes poussent parfois les choses plus loin et vont jusqu’à découper en quatre ou cinq morceaux l’homme qu’ils ont tué. Enfin, le peuple français étant un peuple galant, sa galanterie se manifeste, ainsi que la chose s’est faite hier, en violant, à trois ou quatre, une fille, 14 ans, qui s’était égarée, tard dans la soirée, sur le territoire des Apaches".
Le thème de l'insécurité exploité par le politique.
Ce genre d'articles qui conjuguent les préjugés raciaux et sociaux rendait compte d'une dégradation réelle des rapports sociaux dans de grandes villes comme Paris. L'alcool et la drogue contribuaient à alimenter l'extrême violence des marginaux. La guerre des gangs était alimentée par les conflits pour le contrôle de la prostitution. On estime qu'il y avait à l'époque plus de 100 000 prostituées à Paris. Parmi elles, des fillettes d'à peine dix ans. Les conservateurs, qui exploitaient déjà le thème de l'insécurité comme fond électoral, brandirent la menace des Apaches pour discréditer celles et ceux qui, dès cette époque, plaidaient pour interdire la peine de mort. Mais en 1912, ils ne purent empêcher le vote de la première grande loi sur la protection de l’enfance, qui aboutit à la mise en place des tribunaux pour enfants et adolescents.
Bibliographie
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Régis Pierret, "Apaches et consorts à l'origine des tribunaux pour enfants", Vie sociale, 2013, n°4, pages 79 à 96.
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Comment les "Apaches" sont-ils devenus des "sauvageons et des "racailles" ?
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