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Nouveau portrait du jour : Caroline Chemarin 

Culture et justice développe la rubrique Portrait du jour, ouvre ses pages aux fidèles lecteurs de la page et reçoit avec infiniment de plaisir Caroline Chemarin 

Après plusieurs récits pour la jeunesse, Caroline explore la façon dont les territoires transmettent leur mémoire. Prix Méditerranée Roussillon pour les « Facéties et paysages contés en Pyrénées-Orientales », recueil paru aux Presses Littéraires en 2020, ...

Prix Méditerranée Roussillon 2021

Prix Odette Coste 2023

Pré-sélection Prix

Les Imaginales des Bibliothécaires 2024

Bienvenue Caroline sur le très prisé et discret Culture et justice

Vous êtes auteu​r de livres très différent​s, destinés à des lecteurs de tous les âges et attirés par​ des genres divers. Pourriez-vous définir une constante, dans votre travail ?

Il y a d’abord le plaisir d’écrire et le désir de partager ce plaisir.

Or, le fait d’être enseignante m’apprend chaque jour qu’on ne naît pas lecteur. Il est donc très important pour moi d’accorder du temps à la petite enfance, et tout particulièrement à la transmission du langage et des langues, comme nous avons choisi de le faire grâce à la collection “Les Petits Polycontes” (Scitep jeunesse).

​Dans la mesure où la langue est l’un des supports de l’identité,​ les livres que j’ai écrits pour les enfants en âge de fréquenter l’école primaire, comme “Cabosse”​ (Scitep jeunesse) ou “Louise et la poupée de madras” (Orphie) sont principalement centrés sur la découverte, le rapport aux autres et l’esquisse de sa propre image dans le grand monde.

Viennent enfin les narrations de paysages, avec les “Facéties”, et le roman Fantasy “L’Étoile”, tous deux parus aux Presses Littéraires. L’appréhension​ de l’environnement par le langage ainsi que la construction du récit collectif y ont une grande place.

Langage, identité et récit collectif… Pourquoi ces trois points d’ancrage ?

J'ai beaucoup vécu​ dans des territoires où la mémoire des uns s’accommode mal de celle des autres, les Antilles ou la Catalogne par exemple​​. Des sujets comme la soumission, les revendications indépendantistes ou, tout simplement la narration de l’histoire commune y demeurent épineu​x. Leur traitement dans lieux de transmission des connaissances, dans les ​interactions sociales ou dans les réseaux peuvent prendre des proportions qui finissent par nourrir une certaine forme de violence, de la frustration et beaucoup de douleur.

Avez-vous des exemples ?

Je me souviens d’un auteur parisien, “descendu” pour présenter un livre en 2018​, et de l’hostilité froide suscitée par l’une de ses remarques sur les velléités d’indépendance de la Catalogne. Beaucoup d’auditeurs n’étaient pas des​ catalanistes engagés ce jour-là. Pourtant, le jugement asséné comme une sentence venue de la capitale (dont personne n’ignore ici la racine latine “tête” que l’on retrouve en catalan dans “cap”) a provoqué un mouvement parmi le groupe des auditeurs : des regards, des changements soudains de position…​ Une sorte de repli communautaire contre celui qui évoque ici, d’un là-bas qui nous semble si lointain, un sujet pour lequel il n’a pas pris le temps d’écouter comme nous l’écoutons nous, captifs de sa parole et de sa notoriété.

De la même façon, plusieurs de mes amis ont fini par disparaître purement et simplement de réseaux sociaux après des insultes ou jugements à l’emporte-pièce dont ils avaient été les cibles sur ces sujets, qu’ils aient été d’un avis ou d’un autre. Ils se sont tout simplement effacés pour se protége​r.

Si le langage est un extraordinaire matériau de construction, c’est aussi une arme redoutable, capable de provoquer la dilution totale de l’êtr​e.

Dans ce cadre, je crois que j’écris pour essayer de comprendre et de réparer. Je lis et espère transmettre le plaisir de lire pour la même raison…

En tout cas, c’est le récit que j’aime me raconter parce qu’il me fait du bien.

Comprendre, réparer​ en lisant ? Comment cela se manifeste-t-il en pratique ?

Je vous répondrai par un exemple. En 2020, j’ai abordé en classe des extraits de “La Transmission”, d’Eugène Ébodé (Gallimard) avec des jeunes majoritairement portugais de nationalité, de langue et de culture. L’action du roman se situe au Cameroun, en Afrique. Or, beaucoup de mes élèves​, scolarisés dans le système français mais dépositaires d’une mémoire familiale spécifique​​, assimilaient l’Afrique aux atrocités commises en Angola.

​Au début du récit, le narrateur a plus ou moins leur âge. Comme le titre l’indique, il est soudain confronté aux ​découvertes et aux choix​ qu’implique le passage à l’âge adulte.​ C’est une initiation. Plusieurs passages décodent par ailleurs des émotions​ que nos jeunes éprouvent quotidiennement : l'identification a été immédiate.

J’aime ce mot “identification” parce qu’effectivement, lorsqu’on se reconnaît dans un autre que nous, il est question de l’identité et des formes très variées​ qu’elle peut prendre sous nos yeux​…

L’auteur a accompagné cette lecture par une rencontre physique et des “messenger”. ​Leurs échanges m’ont beaucoup intéressée… Et nous avons tissé des liens autrement plus complexes que le pouce levé ou baissé sur la foi desquels s’affirment ou se distendent tant d’”amitiés” autour de nous.

 

Est-ce un réquisitoire contre les réseaux ​?

Non… Comme le langage, les réseaux ne sont que ce que nous choisissons d’en faire.

En revanche, on y constate une limitation de l’expression par le cadre qu’ils proposent​… C’est fou ce qu’une pensée réduite en tout et pour tout à sept signes (j’aime, je n’aime pas,j’adore, je compatis, je suis en colère, cela m’étonne, trop drôle) peut provoquer de malentendus et de douleurs… C’est d’autant plus inquiétan​t si l’on considère que de l’analyse première du support qui est partagé avec nous, sa compréhension, on passe en réalité très vite à l’émotion, et puis au jugement.

La lecture est l’exact inverse de ce processus. C’est une rencontre de longue durée. C’est une écoute consentie.

Que vous apporte l’écriture,​ que vous auriez envie de partager ici ?

Le plaisir, évidemment, et tout ce qui le nourrit, en particulier le récit. L’espace. Le temps.

J’y dessine aussi ma petite définition personnelle de l’être humain​ inscrit dans ces trois réalités.​

Lorsque j’étudie la colonisation, l’esclavage ou les relations entre un pouvoir central et les revendications d’espaces désignés par lui comme périphériques​​, quoique je puisse penser de ces problématiques et qui n’a pas sa place ici, le matériau qui me passionne, c’est la façon dont l’histoire transmise à l’école est reçue et puis traitée comme information par chacun de nous…

Parce que nous ne sommes pas les purs produits de notre école.

Parce que les valeurs d’une communauté, les traumatismes transmis consciemment ou non par la famille, les non-dits dont l’attrait morbide est plus tenace ​encore que les souffrances ou les fautes qu’ils cachent, le poids des groupes d’influence plus ou moins évaluable sur les réseaux, la récupération par la littérature ou l’audio-visuel de motifs,​​ sont autant de filtres à l’information, elle-même.

Or l’information a souvent déjà été​ ​traitée en amont, consciemment ou non. Quelquefois,il s’agit seulement qu’elle corresponde aux valeurs que nous voulons transmettre afin de cimenter notre société autour de modèles​ figés dans la rigidité soi-disant éternelle des​ statues ou la fixité de l’écrit…

C’est une fixité figée depuis longtemps dans une locution bien connue : “scripta manent”, les écrits restent​.

Pourtant, comme dans la réalité, les immenses bibliothèques brûlent, au début de votre fantasy, “L’Étoile”, et les statues échappent de peu à la destruction… Tout un peuple disparaît sur un claquement de doigt…

C’est vrai… Et tout recommence inlassablement : chaque révolution écrit son mythe fondateur avant d'agiter son palimpseste comme un étendard.

On reprise ici, on applique une autre étoffe là, on retaille et voilà que naît le texte nouveau ; un textile d’une autre facture. Est-ce un mensonge ? Est-ce un acte de résilience ? Est-ce une prise de pouvoir ou un renoncement ?

En réalité, sous l’étoffe, ce qui m'intéresse, c’es​t nous.

Nous en tant qu’espèce ; nous en tant qu’unique animal capable de se raconter.

Donc nous en tant que récit.

Et fatalement… Nous en tant que parole qui porte ce récit​.

Ouf… Nous voilà en train de glisser​ subrepticement vers la linguistique et de revenir au tout début de notre rencontre : le partage des langages.

 

Culture et justice rassemble des informations relatives à l’actualité culturelle sur les questions de justice. Histoires, romans, portraits du jour, salon de livres... Page indépendante sans but lucratif administrée par Philippe Poisson et Camille Lazare, membres de l'association Criminocorpus.

A propos du site : Musée - Histoire de la justice, des crimes et des peines | Criminocorpus propose le premier musée nativement numérique dédié à l’histoire de la justice, des crimes et des peines. Ce musée produit ou accueille des expositions thématiques et des visites de lieux de justice. Ses collections rassemblent une sélection de documents et d’objets constituant des sources particulièrement rares ou peu accessibles pour l’histoire de la justice."

Relecture et mise en page Ph.P

Tag(s) : #Coup de coeur du jour, #portrait du jour criminocorpus
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